Chantons la langue avec Manu Militari

Manu Militari, «Je me souviens», 2012, illustration

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Manu Militari, «Je me souviens», 2012

 

On met l’cap sur un rêve mais la traversée est longue
Combien trépassent avant d’toucher l’Nouveau-Monde
On est Breton, Normand, Irlandais
Ou peu importe, on s’mélange espérant vivre en paix

Grand-maman dit même qu’on a du sang amérindien
J’me demande si on n’a plus dans nos veines ou sur nos mains
On fait une guerre, on la perd, j’me sens trahi
Comme un flo rejeté par sa mère patrie

Mes nouveaux maîtres m’exploitent, j’commence à être écœuré
J’m’en remets à Dieu mais entre nous deux y a monsieur l’curé
Chaque jour j’laboure une terre qui m’appartenait
Chaque nuit j’rêve de violer leur accord de paix

Ma fierté est à poil et des mains sales la tripotent
J’prends les armes en r’joignant les Patriotes
Mais pendant qu’on pend mes chefs au Pied-du-Courant
Ma maison brûle sur les rives d’un Richelieu rouge sang

On m’a volé ma victoire
Craché sur c’que j’avais d’histoire
Mais j’me souviens d’où j’viens
Pourquoi jamais j’me suis battu pour rien
Parce qu’on m’a volé volé ma victoire
Craché sur c’que j’avais d’histoire
Mais j’me souviens d’où j’viens
Je me souviens

J’voudrais grimper la montagne mais y en a pas d’facile
Quand ta langue t’empêche de sortir du bas d’la ville
Faique j’me barre le dos dans leurs vieilles usines
Et la reine récolte le miel que les Queb’ butinent

Moi j’mets la table, chu remercié qu’par des miettes
J’prends des balles pour leur empire sur les plages de Dieppe
Quand une voix mondiale s’lève comme un souffle d’après-guerre
Elle dit qu’elle veut sa liberté pis qu’aucune arme la f’rait taire

Sur toute la terre les rebelles montent le ton
Mais plus les idées sont belles moins les méthodes le sont
Moi j’reste tranquille mais pense pas que j’ferme ma trappe
J’manifeste trempé jusqu’aux os sous une pluie d’matraques

J’gagne du terrain j’ai p’t’être pas toutes mes droits
Mais j’peux presque sentir mon rêve au bout d’mes doigts
On m’dit tu veux ton pays, vote pour qu’ça dépende de toi
L’occasion se présente deux fois

On m’a volé ma victoire
Craché sur c’que j’avais d’histoire
Mais j’me souviens d’où j’viens
Je me souviens

D’mande-toi pas pourquoi y a encore des gens qui s’battent
Quand dans leur propre pays leur langue reste un handicap
Et si tu cherches des preuves, elles s’révèlent parfois
Mais la majorité du peuple est aveugle par choix

La planète tourne autour d’une seule musique
Moi j’refuse d’accorder ma voix avec leur pensée unique
J’veux rester qui j’suis, j’veux qu’tu restes qui t’es
If you don’t understand me on va devoir s’quitter

Moi ma langue est sous respiration subventionnée
Je l’sais c’est pas d’ta faute si on aime pus qui on est
Pour qu’les radios jouent du francophone faut les pousser
Notre culture est une vieille fille que personne veut épouser

Même nous on danse avec une autre dès qu’on a la chance
Combien d’Queb’ renient leur accent en France
Combien disent c’est pas grave, fais-en pas toute une montagne
Quand depuis 1759 moi j’ai perdu mon calme

Mais j’ai volé les Hurons
Et autres peuples qu’eux seuls s’rappellent du nom
Abénaquis, Iroquois, Micmacs et Cris
Ainsi l’histoire s’écrit

Les canons parlent, ceux qui en ont pas font d’la place
Mais comme dirait Vigneault toutes les humains sont d’ma race
Demain j’m’éteindrai face à d’autres tribus qui naissent
J’me souviendrai qu’nos différences sont richesse

 

P.-S.—On ne confondra pas «Je me souviens» (ici) et «Je me souviens» ().

 

Chantons la langue avec French B

Dessin de French B sur Apple Music

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

French B, «Je me souviens» / «Je m’en souviens», 1989

 

Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one

Je me souviens
Je me souviens

[Voix de Charles de Gaulle] Vive le Québec, Vive le [Voix de femme] Canada
[Voix de Charles de Gaulle] Vive le Québec, Vive le [Voix de femme] Ca-Canada
[Voix de Charles de Gaulle] Vive le Qué-Québec, Vive le Québec libre !
[Voix de Robert Charlebois] Sacrament !

Je me souviens
Je me souviens

J’m’en souviens d’la langue
D’la langue de Lepage
Pis celle de Tremblay
Et je parle la langue
De Ferron, de Gauvreau et de PDG
J’me souviens à mort
Du Vent du Mont Schärr !
M’as être encore pris pour tapiner Paris
Parce que la chicane est poignée dans cabane

Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one

Je me souviens
Je me souviens

J’m’en souviens d’la langue
De la langue des french kiss
J’m’en souviens encore
Mais pour combien de temps ?
J’m’en souviens tellement
Je la mettrais dans le vinaigre
Pour qu’elle dure plus longtemps
T’en souviens-tu d’la langue ?
Do you remember when we were French ?

Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens

 

P.-S.—Outre les paroles chantées par French B, on entend aussi des phrases en anglais et en français (Jacques Parizeau, Robert Bourassa, etc.).

P.-P.-S.—La formule «la langue de x» est commune, notamment au Québec.

P.-P.-P.-S.—En 2018, Johanne Melançon — pas de lien avec l’Oreille tendue — a étudié cette chanson et son vidéoclip : «Des lieux de mémoire sont […] convoqués par les paroles et par les images; ces événements historiques et ces symboles sont rappelés à la mémoire pour nourrir un discours engagé, cherchant à sensibiliser à une certaine urgence d’agir» (§ 9).

 

Référence

Melançon, Johanne, «La chanson québécoise, vecteur de l’histoire, de la mémoire et de l’identité», dans Marc Bergère, Hélène Harter, Catherine Hinault, Éric Pierre et Jean-François Tanguy (édit.), Mémoires canadiennes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. «Des Amériques», 2018, p. 197-206. https://doi.org/10.4000/books.pur.138885

 

Hasards linguistiques

Tweet de Jean-François Roberge, 15 mars 2023

Le hasard fait (malheureusement) bien les choses.

La semaine prochaine, l’Oreille tendue sera à Halifax pour y présenter une conférence intitulée «Le français : une langue menacée ?» Parmi les menaces (supposées) qu’elle commentera, il devrait y avoir les nouvelles technologies, l’écriture inclusive, la domination mondiale de l’anglais et l’insécurité linguistique. Il sera aussi question du franglais. (Sur cette question, voir ici et .)

Hier, le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, a mis en ligne une vidéo de trente secondes, accompagnée du texte suivant :

Au Québec, le français est en déclin. Ensemble, renversons la tendance.

Voici la nouvelle publicité du Ministère de la Langue française pour susciter une prise de conscience des Québécois au déclin du français au Québec.

L’objectif de la vidéo — qui associe la langue française à un oiseau de proie vulnérable — est clairement de s’en prendre à l’utilisation par les jeunes de mots anglais quand ils parlent français. En linguistique, on parlerait d’alternance codique (code-switching), mais, depuis un pauvre livre d’Étiemble, on utilise souvent le mot franglais pour désigner ce phénomène. Exemple : «Mais malgré que ses skills de chasse soient insane, l’avenir du faucon pèlerin demeure sketch

Il y aurait beaucoup de choses à dire de cette campagne publicitaire. Retenons-en trois.

Postuler que «le français est en déclin» au Québec est un discours alarmiste. L’est-il sur tous les plans ? Partout au Québec ? Pour toutes les tranches d’âge ? Dans toutes les situations de la vie privée et publique ? Le ministre ne pèche pas par excès de nuance. (Il n’est pas le seul.)

Laisser entendre que les phrases (évidemment inventées) de la publicité ne sont pas du français, ou sont du mauvais français, bute sur un écueil : ce sont des phrases en français — mais d’un registre tout à fait particulier. L’Oreille tendue a longtemps enseigné; elle n’a jamais lu de phrases semblables dans une copie d’étudiant. Autour d’une table, dans un repas familial, au stade ? C’est autre chose.

Penser que les jeunes Québécois vont changer leurs pratiques linguistiques parce que leur gouvernement s’attaque à celles-ci ne paraît pas être la stratégie la plus sûre pour qu’ils les transforment, si tant est qu’il soit impératif qu’ils le fassent.

 

P.-S.—Cela vous rappelle une publicité électorale du Parti québécois en 2022 ? Vous n’avez pas tort.

P.-P.-S.—Autre hasard : l’Oreille découvre cette vidéo au moment où elle lit un ouvrage d’Annette Boudreau, Dire le silence (2021). L’autrice y cite notamment deux extraits de chroniques rédigées pour le journal acadien l’Évangéline par Alain Gheerbrant en… 1967 et 1968 : «si personne ne se réveille, dans quinze ou vingt ans on ne parlera plus de l’Acadie comme d’une région de langue française» (20 novembre 1967, p. 164); «Personne ne peut nier de bonne foi que l’anglicisation ne galope — surtout dans certains secteurs comme les écoles — et c’est dans ce cas-là la faute des élèves» (10 septembre 1968, p. 165). Plus ça change…

 

Référence

Boudreau, Annette, Dire le silence. Insécurité linguistique en Acadie 1867-1970, Sudbury, Prise de parole, coll. «Agora», 2021, 228 p.

La confusion des langues

Machine à sous

Les entreprises de paris sportifs polluent de plus en plus les ondes télévisuelles. Cela entraîne parfois des problèmes de prononciation.

Prenons Bet99.

Dans ses publicités, cette entreprise pratique l’alternance codique : on commence en anglais avec «Bet ninety nine», puis on continue en français avec «point net».

Un des commentateurs sportifs préférés de l’Oreille tendue a bien vu le problème. On lui doit (au moins ?) trois prononciations. La première toute en français : «Bet quatre-vingt-dix-neuf point net.» La deuxième toute en anglais : «Bet ninety nine dot net.» La troisième plus économique, mais en anglais : «Bet ninety nine.»

D’autres prononciations sont-elles possibles ? Les paris sont ouverts.

Souvenir poétiquement réactivé

Maxime Catellier, Mont de rien, 2018, couverture

 

De 1982 à 1999, Ronald Corey a été le président des Canadiens de Montréal — c’est du hockey.

Un jour, dans une entrevue en anglais, il a utilisé une expression courante du français québécois, sans même sans s’en apercevoir : faque. Il ne l’a ni traduite ni expliquée. L’Oreille tendue — allez savoir pourquoi — n’a jamais oublié cette manifestation involontaire d’alternance codique.

C’est, entre autres choses, à Ronald Corey que l’Oreille a pensé en lisant Mont de rien (2018). Dans ce Roman en trois périodes et deux intermèdes, selon le sous-titre, mais rédigé presque au complet en vers, Maxime Catellier utilise au moins huit fois l’expression «fait que», par exemple dans «à l’école je m’ennuie / parce que j’ai appris à lire / trop vite / fait que je lis / pendant que les autres / apprennent à lire» (p. 53).

Ce «fait que» pourrait être remplacé par «ce qui fait que», voire, plus simplement, par «donc». À l’oral, comme chez Ronald Corey, il devient souvent «faque».

Voilà.

P.-S.—Oui, en trois périodes, avec une prolongation…

 

[Complément du 17 novembre 2018]

Comme tout le monde, l’Oreille a vu la montée en puissance de l’expression du coup. Comme beaucoup, elle l’a déplorée.

Lisant l’entrée du jour de BiblioBabil, le blogue (hautement fréquentable) de Luc Jodoin, elle tombe sur ceci : «Faque (du coup, pour les Français)» — et elle rougit, de honte, de tous ses lobes. Comment a-t-elle pu ne pas voir le lien entre faque et du coup ? Excusez-la pour quelques heures : du coup, elle va pleurer dans son coin.

 

[Complément du 21 septembre 2022]

Il faut connaître le québécisme fait que pour réussir à comprendre une case de la bande dessinée Éléments de langage de Bertin Leblanc et Paul Gros (2022) : «Faites que je pense qu’on va se parler souvent dans les prochains mois, mon gars !» (p. 54)

 

Références

Catellier, Maxime, Mont de rien. Roman en trois périodes et deux intermèdes, Montréal, L’Oie de Cravan, 2018, 123 p.

Leblanc, Bertin et Paul Gros, Éléments de langage. Cacophonie en Francophonie, Saint-Avertin, La boîte à bulles, 2022, 208 p.