Le mélange des genres

Illustration tirée de la bande dessinée les Casseurs d’André-Paul Duchateau et Christian Denayer (1988)

 

«Tabar-fucking-nak !» dit la «coiffeuse anglo» de Nicolas Langelier (2016, p. 24).

Sur Twitter, @msoleil_ faisait remarquer un jour que «tabarfuck» est utile «en cas de rencontre petit orteil / patte de table».

Dans Facebook, @revi_redac a croisé «tabarnafuck».

Le Québec est un espace où les langues se touchent au quotidien.

 

Illustration tirée de la bande dessinée les Casseurs d’André-Paul Duchateau et Christian Denayer (1988).

 

Références

Duchateau, André-Paul et Christian Denayer, les Casseurs. Match-poursuite. Une histoire du journal Tintin, Bruxelles et Paris, Éditions du Lombard, coll. «Les casseurs», 15, 1988, 48 p. Repris dans Denayer & Dûchateau, les Casseurs. L’intégrale, Bruxelles, Le Lombard, 2010, vol. 5.

Langelier, Nicolas, «La folle aventure», Nouveau projet, 10, automne-hiver 2016, p. 19-25.

L’art de se faire des amis

Marc Cassivi. Mauvaise langue, 2016, couverture

Sous le titre Mauvaise langue, Marc Cassivi publie au moins deux livres.

Il y a son itinéraire linguistique personnel, de Gaspé au Mile-End, ce quartier montréalais que plusieurs «considèrent comme une sorte d’eldorado de tranquillité et de vivre-ensemble linguistiques» (p. 91), en passant par Westmount et le West-Island. Cet itinéraire est doublement intéressant.

D’une part, il rappelle une réalité que l’on passe trop souvent sous silence : aujourd’hui, le contact des langues est la norme, plus que l’exception. (Là-dessus, [re]lisez Parler plusieurs langues de François Grosjean.) Voilà pourquoi Cassivi, né dans une famille francophone et scolarisé en français, mais ayant grandi en partie dans un environnement anglophone, entouré de gens d’origines diverses, peut écrire en incipit de son livre : «Je parle depuis 30 ans le franglais avec mon frère jumeau» (p. 9).

D’autre part, la trajectoire linguistique de Cassivi met en relief qu’en matière de langue les effets générationnels sont capitaux : «L’anglais n’est plus, pour la plupart des Québécois de moins de 35 ans, la langue du joug des patrons d’usines méprisants des années 50 qui tenaient les francophones pour des citoyens de seconde zone» (p. 82). Refuser de prendre en compte cette transformation, c’est s’empêcher de comprendre la situation linguistique au Québec en 2016 — et de la modifier, si on le souhaite.

À côté de ce récit personnel, il y a, dans Mauvaise langue, un pamphlet. Quelles en sont les cibles ? Des personnes : Christian Rioux, Mathieu Bock-Côté, Louis Cornellier, Gilles Proulx, Denise Bombardier, les cinéastes Jean-Pierre Roy et Michel Breton. Des catégories : les «chevaliers de l’apocalypse linguistique» (p. 11), les «monomaniaques» — «du français» (quatrième de couverture), «du français et de la patrie» (p. 11), «de la langue française» (p. 53) —, les «curés» — tout court (p. 11), «de la langue» (p. 77), «de la patrie» (p. 99) —, les «puristes» (p. 12, p. 80) et les «puritains de la langue» (p. 72), les «“nationaleux” anglophobes» (p. 41) et les «nationalistes identitaires» (p. 50), les «thuriféraires» (p. 53) et les «laudateurs» du «nationalisme ethnique» (p. 58), les «colonisés» (p. 82), les «nationalistes conservateurs» (p. 85), les «réactionnaires» (p. 85), les «paranoïaques de la langue» (p. 86). L’auteur n’a pas l’air de tenir mordicus à se faire des amis.

Dans un ouvrage récent, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), l’Oreille tendue s’en prend grosso modo aux mêmes cibles, qu’elle regroupe sous l’étiquette d’«essentialistes». Elle serait malvenue de reprocher pareilles attaques à Marc Cassivi, mais elle aborde la question par un angle différent, moins rivé aux questions d’identité (personnelle, nationale).

La critique de Cassivi a ceci d’intéressant qu’il défend des positions qui pourraient être celles de ses adversaires. Il croit par exemple à la nécessité de maintenir la Charte de la loi française (p. 96) et les quotas de musique francophone à la radio (p. 82-83). Il se définit comme indépendantiste (mais un indépendantiste meurtri par les propos de Jacques Parizeau au moment de la défaite du camp du oui lors du référendum sur l’indépendance nationale québécoise de 1995). Il se méfie de l’assimilation linguistique (p. 97, entre autres exemples).

Là où il s’éloigne de ses adversaires, et radicalement, c’est au sujet du rapport à l’anglais. Pour lui, impossible de refuser le bilinguisme individuel (il n’aborde presque pas le bilinguisme institutionnel). Il a besoin de l’anglais et il ne s’en cache pas. (L’Oreille ne comprend pas très bien pourquoi on pourrait lui reprocher cela. On le lui a pourtant beaucoup reproché sur les médias dits «sociaux».)

Livre de souvenirs, donc, et pamphlet politique. En revanche, Mauvaise langue n’est pas un ouvrage de linguistique (Marc Cassivi est journaliste, pas linguiste). Il cite très peu d’études savantes dans ce domaine et il avance un certain nombre de choses contestables. Relevons-en deux.

Les Québécois parleraient la «langue québécoise» (p. 71) ou le «québécois» (p. 79) ? Non. Les francophones du Québec parlent le français — plus précisément le «français québécois» (p. 81).

À longueur de pages, Marc Cassivi parle du franglais. Cela pose un problème : qu’est-ce que le franglais ? Du «bilinguisme syntaxique» (p. 10) ? De l’«alternance codique» (p. 10, p. 35, p. 95) ? Une langue à part ou un idiome (p. 24, p. 96, p. 97) ? (Ce n’est pas la première fois que l’Oreille en a contre le flou conceptuel [euphémisme] autour de ce mot.)

Ce serait toutefois faire un mauvais procès à Marc Cassivi que de lui reprocher de ne pas avoir fait le livre qu’il n’a pas voulu faire. Dans ce bref texte — «court manifeste», dit la quatrième de couverture; «court essai», est-il écrit page 11 —, on trouve les propos d’un citoyen engagé, mais à contre-courant. Dubitatif devant le «péril linguistique» (p. 99) conjecturé par plusieurs, Marc Cassivi est nuancé sur la situation actuelle du français au Québec (p. 56). Sa position se défend. Discutons-la sans faire de lui un cheval de Troie de l’anglicisation.

P.-S. — Cassivi dit avoir la nationalité française (p. 61-62). Il se définit «féministe athée» (p. 71). Il aime la culture anglo-saxonne. Cet homme court après le trouble.

P.-P.-S. — C’est quoi, ça, un «décès éventuel» (p. 27) ? Par qui les deux «bandes rivales» de la page 76 ont-elles été «criminalisées» ? Qui a démontré que la «déprime postréférendaire des années 80 a eu pour corollaire d’inspirer nombre de groupes rock francophones à chanter en anglais plutôt qu’en français» (p. 83) ? Comment «Sacha le musicien» fait-il pour partager «son temps» entre… un seul orchestre, «torontois et montréalais» (p. 91) ?

 

Références

Cassivi, Marc, Mauvaise langue, Montréal, Somme toute, 2016, 101 p.

Grosjean, François, Parler plusieurs langues. Le monde des bilingues, Paris, Albin Michel, 2015, 228 p. Ill.

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Une langue, ça va…

François Grosjean, Parler plusieurs langues, 2015, couverture

«Le bilinguisme, une valeur ajoutée»
(la Presse, 10 novembre 2004, p. A12).

Aujourd’hui professeur émérite de l’Université de Neuchâtel, François Grosjean, qui se définit comme un «simple bilingue» (p. 190), a consacré sa carrière à étudier le bilinguisme dans une perspective psycholinguistique. Il vient de tirer d’une expérience de près de cinquante ans un ouvrage de vulgarisation, Parler plusieurs langues. Le monde des bilingues (2015), dans lequel il s’en prend aux «idées reçues» et aux «idées fausses».

En bonne méthode, il propose sa définition du bilinguisme : «le bilinguisme est l’utilisation régulière de deux ou plusieurs langues ou dialectes dans la vie de tous les jours» (p. 16). Cette définition, pas plus qu’une autre, ne fera l’unanimité, mais elle a le mérite de la clarté. À partir d’elle, on mesurera facilement l’importance du phénomène décrit : «En examinant le contact des langues en Europe mais surtout en Afrique et en Asie, il a été estimé que près de la moitié de la population du monde est bilingue ou plurilingue» (p. 13). Comment préciser cette définition ? D’au moins trois façons, qui expliquent qu’il est autant de bilinguismes que de personnes bilingues.

Le bilinguisme est affaire de besoins; ce n’est pas une essence. On devient bilingue parce que l’on a besoin de parler plus d’une langue, pour des raisons familiales, professionnelles, religieuses, etc. Le corollaire de cette position est que l’on peut cesser d’être bilingue : il est des cas où l’on perd une langue au bénéfice d’une autre. Selon l’auteur, ce phénomène est mal connu (p. 55). Les besoins changeant, «on peut devenir bilingue à tout âge» (p. 83), contrairement à la croyance populaire.

Le bilinguisme est aussi affaire de complémentarité : «Les différentes facettes de la vie requièrent différentes langues» (p. 42); «les bilingues apprennent et utilisent leurs langues dans des situations différentes, avec des personnes variées, pour des objectifs distincts» (p. 158). L’idée selon laquelle les bilingues, pour être considérés tels, devraient avoir une maîtrise égale de toutes les langues qu’ils parlent est fausse. Le rapport des bilingues à leurs langues n’a de sens que contextuellement.

Le bilinguisme, enfin, est affaire de «modes langagiers», de «continuum» des pratiques, d’«activation» et de «désactivation» de langues. Quand un bilingue parle avec un monolingue, il n’a qu’une langue à sa disposition. Avec un bilingue, il en a au moins deux. Entre ces deux situations, la palette est infinie. C’est là que se manifestent toutes les formes de l’alternance codique (code switching), le passage, dans le même énoncé, d’une langue à l’autre.

Pour étayer ses positions, François Grosjean propose des typologies, résume des expériences, synthétise des travaux, donne des masses d’exemples. Parmi ceux-ci, beaucoup concernent le Canada — dès la première page, on croise Pierre Elliott Trudeau, qui «s’exprimait avec la même aisance en anglais et en français» (p. 9) — et quelques-uns, le Québec. Le plus intéressant porte sur le code de vie de l’école secondaire Pierre-Laporte à Montréal. L’auteur est outré — et il l’était au micro d’Antoine Perraud à France Culture le 1er mars 2015 — d’y lire que le français est imposé dans cette école, et pas seulement en classe, et que le non-respect de l’obligation de parler français peut être sanctionné : «Ne pas comprendre qu’un enfant non francophone puisse trouver un secours dans sa langue maternelle, dans les cours et pendant les récréations, montre une méconnaissance totale de la psychologie de l’enfant allophone en devenir bilingue» (p. 123). Sans contester la justesse de la remarque, on peut déplorer l’absence d’explication contextuelle de cet aspect du code de vie; un peu de sociolinguistique aurait été bienvenu pour mieux caractériser ce qui se passe dans cette école et décrire la situation du français à Montréal, au Québec, au Canada, en Amérique du Nord.

L’apologie du bilinguisme de Grosjean — il défend un «bilinguisme actif et positif» (p. 31) — fait appel à des choses attendues. Ce n’est pas le centre de l’analyse, mais il est question des «bilingues exceptionnels» : les traducteurs, les interprètes, des écrivains (Nancy Huston est la plus souvent citée). Les divers modes d’acquisition d’une deuxième langue sont passés en revue (p. 107 et suiv.), ce qui confère une dimension pratique à l’ouvrage. Une histoire des représentations du bilinguisme est proposée, des «années noires», durant lesquelles on décriait le bilinguisme, jusqu’à aujourd’hui. L’auteur montre pourquoi certains bilinguismes sont valorisés, alors que d’autres ne le sont pas, souvent pour des raisons liées à l’appartenance de classes (p. 140-141). D’autres sujets sont moins prévisibles. Les personnes bilingues ne sont pas immunisées contre la démence ou la maladie d’Alzheimer, mais, si elles sont touchées par ces maladies, elles le sont plus tard que les monolingues (p. 162-164). Il ne faut pas confondre bilinguisme et biculturalisme (p. 164-186), la personne biculturelle étant triplement définie : «Elle participe, au moins en partie, à la vie de deux ou de plusieurs cultures de manière régulière»; «Elle sait adapter, partiellement ou de façon plus étendue, son comportement, ses habitudes, son langage (s’il y a lieu) à un environnement culturel donné»; «Enfin, elle combine et synthétise des traits de chacune des cultures» (p. 168). Les agents secrets ont tout intérêt à être d’excellents polyglottes (p. 191-192). On peut être bilingue en langue des signes (p. 192-196).

Bref, on apprend des choses à toutes les pages et on sort convaincu de la démonstration de François Grosjean des bienfaits individuels du bilinguisme. Sur le plan collectif, comme le savent les Québécois, c’est un tout petit peu plus complexe. Allons relire Pierre Bourgault.

 

Référence

Grosjean, François, Parler plusieurs langues. Le monde des bilingues, Paris, Albin Michel, 2015, 228 p. Ill.

 

[Complément du 11 novembre 2015]

L’Oreille tendue aborde la question du bilinguisme (au Québec) dans son plus récent ouvrage :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

[Complément du 14 juin 2024]

François Grosjean aurait sûrement réagi fortement à ceci, sous la plume de Jean-François Lisée («Les Kebs contre-attaquent», le Devoir, 1er-2 juin 2024) :

Parmi leurs propositions, celle d’emprunter une technique utilisée pour la valorisation de l’environnement. On demande aux élèves d’être écoresponsables ? Montrons-leur comment être francoresponsables en désignant une enseignante responsable de la francoresposabilité ! Ils constatent qu’une enseignante enlève des points aux élèves qui utilisent l’anglais entre eux dans la classe. Pourquoi ne pas généraliser la pratique ? (J’ajoute : l’appliquer aux autres langues aussi ?) Ils notent aussi qu’il arrive que lorsque des élèves s’adressent à eux en anglais, des enseignants répondent en anglais. Ils souhaitent que le signal inverse soit envoyé.

Huit commentaires (brefs) sur la crise (supposée) du «franglais»

Ni alarmiste ni jovialiste

Les médias québécois, depuis une petite quinzaine, causent de langue à l’envi. Plusieurs chroniqueurs s’y sont mis : Mathieu Bock-Côté, Christian Rioux, Marc Cassivi, Antoine Robitaille. Les réseaux sociaux ne dérougissent pas. Le motif immédiat de cette agitation ? Le mélange de l’anglais et du français dans les paroles des chansons du groupe Dead Obies, et le jugement que l’on porte sur icelui.

L’Oreille tendue a déjà livré quelques commentaires sur les alentours de ce débat, le 18 juillet, puis le 21. Ci-dessous, quelques autres remarques, dans le désordre.

1.

Pour désigner la pratique linguistique des Dead Obies, on a largement parlé de franglais. Problème : qui pourrait définir ce qu’est le franglais ? Pour sa part, l’Oreille préférerait le terme alternance codique (code-switching), d’autant que des linguistes l’ont déjà utilisé pour décrire la langue des rappeurs québécois (voir ici). La pratique linguistique des Dead Obies n’est pas particulièrement nouvelle, ainsi que le note un des membres du groupe, Yes Mccan, sur le site du journal Voir. Pourtant, plusieurs font une fixation sur cette formation musicale, et rien que sur elle.

2.

Dans le Devoir du 23 juillet, Antoine Robitaille écrit que la discussion sur l’anglicisme serait devenue un «tabou» dans la société québécoise. Au contraire, c’est une des plus vieilles obsessions locales. Elle prend deux formes.

D’une part, les tenants de l’hypercorrection, depuis le milieu du XIXe siècle, sont en guerre contre les anglicismes. Les travaux de Chantal Bouchard l’ont démontré.

De l’autre, combien de fois avez-vous entendu quelqu’un reprocher aux Français leur usage immodéré des anglicismes ? Au Québec, on serait plus vigilant, dit-on souvent.

Dans un cas comme dans l’autre, une chose est sûre : il n’y a aucun tabou québécois sur la chasse à l’anglicisme. L’Oreille donne souvent des conférences sur la langue : elle est interrogée sur les anglicismes toutes les fois.

3.

Les Dead Obies mêlent de l’anglais et du français : c’est entendu. De cela, on peut tirer une conclusion, et une seule : les Dead Obies mêlent de l’anglais et du français. On ne peut pas inférer de cela que le français irait mal, et de plus en plus mal, à Montréal, voire au Québec. Pour affirmer une chose pareille, il faut des enquêtes, pas des opinions ou des sentiments.

4.

Quiconque pense que la langue de l’art est le reflet fidèle de la langue parlée en société, qu’elle en est le miroir, se trompe. Chaque créateur se fait sa langue, qu’on appréciera ou pas. Croire que cette langue est la langue de tout un chacun n’a pas de sens.

Cela ne veut pas dire que la langue de l’art et la langue de la société sont sans rapport. Cela veut dire que ce rapport n’est pas de simple imitation.

La langue de la littérature, de la chanson, du théâtre, du cinéma, de la télévision sont des langues inventées. Que les gens de Dead Obies s’en rendent compte ou pas.

5.

Pour les chansons des Dead Obies, Christian Rioux a évoqué, dans le Devoir du 18 juillet, le «suicide».

Cinq jours plus tôt, dans son blogue du Journal de Montréal, Mathieu Bock-Côté pourfendait l’«autisme culturel».

Hier, Antoine Robitaille craignait l’«auto-effacement».

Peut-on s’entendre pour dire que c’est peut-être un brin exagéré dans l’état actuel des connaissances ?

6.

En 1969, dans «Tout écartillé», Robert Charlebois chantait «J’focaille à Pigalle what the fuck fuck fuck». Était-il suicidaire ? Souffrait-il d’«autisme culturel» ? S’auto-effaçait-il ? Déjà ?

7.

Quand on craint la «créolisation», il faudrait peut-être demander à un linguiste ce que c’est. Anne-Marie Beaudoin-Bégin, par exemple, a des choses à dire là-dessus.

8.

Le débat actuel, comme tout débat sur la langue, est évidemment chargé émotivement. C’est ce qui explique que s’y mêlent toutes sortes de choses : des conceptions du rôle du système d’enseignement, des croyances politiques (quand il est question de nation, on est toujours dans le domaine de la croyance), des considérations démographiques (sur le poids des Québécois au Canada, en Amérique du Nord, dans le monde), des impressions (Tout le monde dit ça, Personne ne dit ça), etc. C’est ce qui explique que les insultes fusent : dans un coin, comme on dit au Front national, il y aurait les «élites mondialisées»; dans l’autre se masseraient les «réactionnaires»; on serait nécessairement le «colonisé» ou le «curé de la langue» de quelqu’un.

Ce n’est pas très grave, mais ça ne permet pas de débat serein. Peut-être la sérénité n’est-elle d’ailleurs pas possible en ces domaines.

P.-S. — Merci à @revi_redac pour l’illustration en tête de ce texte.

 

Référence

Bouchard, Chantal, la Langue et le nombril. Une histoire sociolinguistique du Québec, Montréal, Fides, coll. «Nouvelles études québécoises», 2002, 289 p. Nouvelle édition mise à jour. Édition originale : 1998.

Fromage plâtreux

L’Oreille tendue est père. Une de ses activités paternelles du temps des Fêtes fut d’assister, avec son cadet, au spectacle Geronimo Stilton dans le royaume de la fantaisie. L’Oreille a beau être père, elle n’en est pas moins tendue pour autant.

I.

Vous le savez : l’Oreille n’est pas du genre à s’effaroucher parce que, sur scène, le passé simple côtoie le slam. En revanche, elle se demande toujours pourquoi des concepteurs de spectacle se croient drôles parce qu’ils jouent du décrochage, chez le même personnage, des accents, de l’accent le plus neutre au gros accent québécois. Ils ne savent pas que nous sommes en 2013 et que cela a été fait mille fois ? Croient-ils vraiment nécessaire d’éduquer nos chères têtes blondes à cette alternance codique parfaitement éculée ?

II.

Si ses oreilles ne l’ont pas trompée, l’Oreille a entendu un homard chanter «Nous devons se sauver». Elles saignent encore.

III.

Au-dessus de la scène, des images étaient projetées, dont celle-ci :

Geronimo Stilton dans le royaume de la fantaisie

Personne ne s’est aperçu qu’il fallait «leurs» au lieu de «ses» ?

Geronimo Stilton dans le royaume de la fantaisie n’était probablement pas un spectacle éducatif.