Chantons la langue avec Fernandel

Fernandel, l’Accent du soleil, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Fernandel, «L’accent», 1963

 

De l’accent ? De l’accent ? Mais, après tout, en ai-je ?
Pourquoi cette faveur ? Pourquoi ce privilège ?
Et si je vous disais après tout, genses du Nord,
Que c’est vous qui, pour nous, semblez l’avoir très fort
Que nous disons de vous, du Rhône à la Gironde
«Ces gens-là n’ont pas le parler de tout le monde»
Et que, tout dépendant de la façon de voir,
Ne pas avoir d’accent, pour nous, c’est en avoir

Hé bien non, je blasphème et je suis las de feindre
Ceux qui n’ont pas d’accent, je ne peux que les plaindre
Emporter avec soi son accent familier
C’est emporter un peu sa terre à ses souliers
Emporter son accent d’Auvergne ou de Bretagne

C’est emporter un peu sa lande ou sa montagne
Lorsque, loin de chez soi, le cœur gros, on s’enfuit
L’accent, mais c’est un peu le pays qui vous suit

C’est un peu cet accent, invisible bagage,
Le parler de chez soi qu’on emporte en voyage
C’est pour le malheureux à l’exil obligé
Le patois qui déteint sur les mots étrangers
Avoir l’accent enfin, c’est chaque fois qu’on cause
Parler de son pays en parlant d’autre chose

Non, je ne rougis pas de mon si bel accent
Je veux qu’il soit sonore et clair, retentissant
Et m’en aller tout droit, l’humeur toujours pareille
Emportant mon accent sur le coin de l’oreille

Mon accent, il faudrait l’écouter à genoux
Il vous fait emporter la Provence avec vous
Et fait chanter sa voix dans tous nos bavardages
Comme chante la mer au fond des coquillages

Écoutez, en parlant je plante le décor
Du torride Midi dans les brumes du Nord
Il évoque à la fois le feuillage bleu-gris
De nos chers oliviers aux vieux troncs rabougris
Et le petit village où la treille splendide
Éclabousse de bleu la blancheur des bastides

Cet accent-là, mistral, cigales et tambourins
À toutes mes chansons donnent un même refrain
Et quand vous l’entendez chanter dans mes paroles
Tous les mots que je dis dansent la farandole

 

P.-S.—Yves d’Amécourt explique que ce texte est extrait de la Fleur merveilleuse de Miguel Zamacoïs.

 

 

Chantons la langue avec Castelhemis

Castelhemis, N’importe quelle sorte d’amour, 1982, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Castelhemis, «Coco», N’importe quelle sorte d’amour, 1982

 

C’est l’histoire d’un copain qui s’appelait Coco
Musicien, mais pas trop, plutôt guérillero
Guérillero de la voix
Guérillero toutes les fois
Qu’il nous prenait par la main
Pour chanter ses refrains
Il nous était venu d’un pays lointain
Nous on n’en savait pas plus sauf qu’il était latin
Qu’il avait quitté un beau jour son pays
Qu’il était parti pour un général en folie

Et c’était Coco-ci
Et c’était Coco-ça
Et c’était Coco joue-nous de la samba
Et Coco il jouait
Et Coco il chantait
Et il nous prenait, il nous emmenait

Et c’était Coco-ci
Et c’était Coco-ça
Et c’était Coco joue-nous de la bossa
Et Coco il jouait
Et Coco il chantait
Mais jamais tout à fait ne nous ramenait

Il chantait dans le vent des millions d’accents
Qui parfumaient nos cœur comme un peu de piment
Il avait le sourire de quelqu’un qui a vu
Les étoiles mourir et qui n’oubliera plus
Il faisait des merveilles en prenant sa guitare
Il en sortait du soleil quand il se faisait tard
Il effaçait le froid, il effaçait la nuit
Y’avait plus que sa voix
Chantant d’étranges mélodies

Et c’était Coco-ci
Et c’était Coco-ça
Et c’était Coco joue-nous de la samba
Et Coco il jouait
Et Coco il chantait
Et il nous prenait, il nous emmenait

Et c’était Coco-ci
Et c’était Coco-ça
Et c’était Coco joue-nous de la bossa
Et Coco il jouait
Et Coco il chantait
Mais jamais tout à fait ne nous ramenait

Le matin il allait on ne sait trop où
Pour cacher son sommeil, un peu comme un coucou
Je courais comme un fou, je le suivais partout
Pour apprendre à jouer des chansons d’acajou
Qui parlent de bambous, ou de bois parfumés
De bois de pernambouc dont on fait les archets
Qui font vibrer les cœurs, qui font danser les corps
Rien qu’au son de sa voix, on changeait de décors

Et c’était Coco-ci
Et c’était Coco-ça
Et c’était Coco joue-nous de la samba
Et Coco il jouait
Et Coco il chantait
Et il nous prenait, il nous emmenait

Et c’était Coco-ci
Et c’était Coco-ça
Et c’était Coco joue-nous de la bossa
Et Coco il jouait
Et Coco il chantait
Mais jamais tout à fait ne nous ramenait

Moi qui rêvais un jour d’être comme Coco
Musicien à la cour du vent et des oiseaux
Que lorsqu’il est parti, j’l’ai tellement regardé
Qu’un tout petit peu de sa vie, je crois que j’ai volé
J’ai les même bottes que Coco, la même guitare que Coco
Je chante la ritournelle partout où on m’appelle
Et ne me demandez pas si qu’il est vraiment parti
Je ne vous répondrai pas mais on a perdu un ami

Et c’était Coco-ci
Et c’était Coco-ça
Et c’était Coco joue-nous de la samba
Et Coco il jouait
Et Coco il chantait
Et il nous prenait, il nous emmenait

Et c’était Coco-ci
Et c’était Coco-ça
Et c’était Coco joue-nous de la bossa
Et Coco il jouait
Et Coco il chantait
Mais jamais tout à fait ne nous ramenait

Et c’était Coco-ci
Et c’était Coco-ça
Et c’était Coco joue-nous de la samba
Et Coco il jouait
Et Coco il chantait
Et il nous prenait, il nous emmenait

Et c’était Coco-ci
Et c’était Coco-ça
Et c’était Coco joue-nous de la bossa
Et Coco il jouait
Et Coco il chantait
Mais jamais tout à fait ne nous ramenait

Et c’était Coco-ci
Et c’était Coco-ça
Et c’était Coco joue-nous de la samba

Chantons la langue avec Michel Leeb

Michel Leeb, le Tombeur, 1986, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Michel Leeb, «Le tombeur», 1986

 

Je sais leur dire les mots
Qui les mènent en bateau
Qui transforment le ciel gris
En soleil de Rio

Je sais leur faire la cour
Sans leur parler d’amour
Et après trois quarts d’heure
Elles m’appellent au secours

Je sais rimer Venise
Avec la tour de Pise
Mettre dans leurs valises
Quelques bouquets de fleurs

Je sais prendre l’accent
D’un Chinois
D’un Texan
Je vis à cent pour cent
Je vis à cent à l’heure

J’ai la magie de Brando
La folie de Pacino
Quelque chose d’italien en plus
C’est trop
J’ai le regard de Newman
La force de Superman
Quelque chose de ricain en plus
C’est trop
N’allez pas chercher ailleurs
Je suis un tombeur

J’les regarde dans les yeux
Des pieds jusqu’aux cheveux
J’en fais ce que je veux
À toute heure
À nous deux

Je leur dis «Ma chérie
Je connais un pays
À quelques pas d’ici»
Ça ressemble à un lit

Ne parlons pas d’argent
Elles n’aiment que les diamants
Vous avez dit comment ?
Vous avez dit Don Juan ?

Je les prends par la taille
Je les prends par le cœur
Ce régiment de femmes
Sera mon champ d’honneur

J’ai la magie de Brando
La folie de Pacino
Quelque chose d’italien en plus
C’est trop
[Les trois vers qui suivent sont prononcés avec un «accent anglo-saxon.]
J’ai le regard de Newman
La force de Superman
Quelque chose de ricain en plus
C’est trop
N’allez pas chercher ailleurs
Je suis un tombeur

J’ai la magie de Brando
La folie de Pacino
Quelque chose d’italien en plus
C’est trop
[Les trois vers qui suivent sont prononcés avec un «accent anglo-saxon.]
J’ai le regard de Newman
La force de Superman
Quelque chose de ricain en plus
C’est trop
N’allez pas chercher ailleurs
Je suis un tombeur

 

Chantons la langue avec Paul Demers

Paul Demers, album Paul Demers, 1990, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Paul Demers, «Notre place», album Paul Demers, 1990

 

Pour ne plus avoir not’ langue dans nos poches
Je vais chanter
Je vais chanter
Que tu viennes de Pointe aux-Roches, ou d?Orléans
Je vais chanter
Je vais chanter
Pour mettre les accents, là où il le faut
Faut se lever, il faut célébrer
Notre place
Aujourd’hui pour demain
Notre place
Pour un avenir meilleur
Notre place
Donnons-nous la main
Notre place
Ça vient du fond du cœur
Que tu viennes de Lafontaine ou de North Bay
Je vais chanter
Je vais chanter
Afin de pouvoir nous rapprocher
D?ici jusqu’à Fauquier
Je vais chanter
Je vais chanter
Pour mettre les accents, là où il le faut
Faut se lever, il faut célébrer
Notre place
Aujourd’hui pour demain
Notre place
Pour un avenir meilleur
Notre place
Donnons-nous la main
Notre place
Ça vient du fond du cœur

Pour mettre les accents, là où il le faut
Faut se lever, il faut célébrer
Notre place
Aujourd’hui pour demain
Notre place
Pour un avenir meilleur
Notre place
Donnons-nous la main
Notre place
Ça vient du fond du cœur

Notre place
Aujourd’hui pour demain
Notre place
Pour un avenir meilleur
Notre place
Donnons-nous la main
Notre place
Ça vient du fond du cœur
Notre place

 

Chantons la langue avec Michel Bühler

Portrait de Michel Bühler

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Michel Bühler, «Éloge des Vaudois», 2006 [?]

 

Il arrive qu’à l’étranger
— Oui je m’y risque, oui j’y vais —
Vu l’léger accent qu’est le mien
On me demande d’où je viens
À quoi je réponds : «Mais Madame
Je suis Suisse de cœur et d’âme
On s’presse de loin pour venir voir
Mes biscotos de montagnard»
Alors la dame — ou le monsieur
Qu’importe — prend un air malicieux
Et puis condescendant déclare
’vec une sorte d’accent savoyard
«Les banques et les montres, je vois
Le fromage le chocolat
Le Cervin Genève et Zurich
Vous avez d’la chance vous êtes riches !»
Que ces clichés sont éculés
Qui nous mettent tous dans l’même panier
Du Léman au lac de Constance
Sans subtilité sans nuances
Alors que vingt peuples se partagent
La douceur de nos paysages
Entre les Alpes et le Jura
Moi par exemple je suis vaudois

C’est dire que je n’ai rien à voir
Avec le Genevois bavard
Le Neuchâtelois minutieux
Ou le Valaisan tête en feu
Rien à voir mais c’est évident
Avec nos cousins suisses allemands
Je n’dirai rien à leur propos
Et rien c’est déjà presque trop
Le Vaudois… ah… c’est un taiseux
Il pense beaucoup mais parle peu
Il a trois principes : méfiance
Méfiance ensuite, et puis méfiance
Soucieux de ne choquer personne
Il pèse ses mots, et ça donne
Pour dire un «Non !» franc, affirmé
Un très délicat : «Vous croyez ?»
Offrez-lui un plat dégueulasse
Genre tripes confites à la mélasse
Pour marquer son dégoût total
Il murmurera : «C’est spécial»
Peu d’emphase donc, peu de lyrisme
Sauf chez certains politiciens
Tel c’lui qui voulait, nom d’un chien
Mettre un frein à l’immobilisme

Si l’on connaît peu le Vaudois
De par le monde c’est ma foi
Qu’il est avant tout réservé donc
Et peu porté à s’imposer
Discret il vit dans son canton
Jolies collines et frais vallons
Vignes en pentes et beaux vergers
Soucieux de ne pas déranger
Exemple : deux Vaudois pêcheurs
Sont sur le lac de bonne heure
On est heureux on est comblé
Dans l’eau un litron prend le frais
Quand tout à coup le vent se lève
Et les pousse loin de la grève
Les vagues se creusent profondes
La pluie cogne le tonnerre gronde
La barque est prête à chavirer
Leur dernière heure va sonner
«On pourrait peut-être prier ?»
S’écrie l’un d’eux désespéré
À quoi l’autre agrippé au bord
Rétorque en un ultime effort
«Est-ce que tu crois vraiment que c’est
Le moment d’se faire remarquer ?»

Ennemi de la démesure
Fuyant le risque, l’aventure
Le Vaudois type, pur et dur
Vote à l’extrêm’ centre bien sûr
En tout il reste raisonnable
Mêm’ pour le vin, mêm’ pour la table
D’accord il y a des exceptions
J’en connais j’peux donner des noms
L’est pas avare mais prudent
Jamais orgueilleux mais conscient
L’a le gaspillage en horreur
Tenez, nos deux de tout à l’heure
Sauvés séchés revenus sur terre
Se remettent avec quelques verres
À la terrasse d’un café
En haut d’une côte escarpée
Arrive un cycliste suant
Soufflant en nage écumant
Il demande une bouteille d’eau
Qu’il engloutit tout aussitôt
Puis une autre et une autre enfin
Il paie et disparaît au loin
Les deux se r’gardent abasourdis :
«Un’ si belle soif… mais quel gâchis !»

Sauf pour commander trois décis
On dit le Vaudois indécis
C’est vrai : réservant son avis
Il dira «Ouais» plutôt que «Oui»
Mais quand après mûre réflexion
Il s’est forgé une opinion
Son verdict tombe sans appel
Définitif et officiel
Nos deux Vaudois sont au bistro
Silence, personne ne pipe mot
On entend voler une abeille
Au bar la serveuse sommeille
Arrive alors un type curieux
«Belle journée bonjour ces messieurs
Un café s’il-vous-plaît mam’zelle
Et pis l’journal pour les nouvelles !»
Le gars s’installe se met à l’aise
Dans leur coin les Vaudois se taisent
Une demi-heure coule au clocher
Pas une parole n’est prononcée
Puis l’gars s’en va : «Merci, au r’voir »
Alors l’un de nos deux gaillards
Hoche la tête : «Enfin parti
C’te grande gueule !» «Ouais tu l’as dit !»

C’est ainsi que l’on est ici
Dans ce pays tendre béni
Qu’on pourrait dire de cocagne
Entre le lac et les montagnes
Où dans les années d’abondance
Les épis de blé sont si denses
Si gros si pesants sous les cieux
Que les champs plient en leur milieu
On en a vu dans ces temps-là
Des patates d’un tel format
Qu’avec une seule on pouvait faire
Des röstis pour l’armée entière
Où le brouillard parfois descend
Lourd et tellement consistant
Qu’les oiseaux pour se déplacer
Se voient contraints d’aller à pied
Où le soleil quand il se montre
Est si ardent si enjoué
Qu’il fait monter dans nos gosiers
Des soifs qu’on peut s’appuyer contre
C’est ainsi qu’on est et qu’on reste
Pas fiers, honnêtes, travailleurs
Simples bref parmi les meilleurs
En un mot vaudois… et modestes
C’qui suffit bien à not’bonheur…