(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)
Soit les deux phrases suivantes, tirées d’une chronique parue dans un quotidien montréalais :
Je soumets que cette prudence est l’attitude à adopter cette fois encore.
Une autre chose me semble s’imposer : donner aux élèves et aux étudiantes et étudiants une «littératie digitale» qui leur permettra de comprendre comment fonctionnent ces outils, quelles en sont les possibilités, mais aussi les limites et les dangers, et comment rester critique face à eux et en être un usager responsable.
Deux phrases, deux anglicismes juteux : soumettre que et digitale, à moins que «littératie digitale» ne renvoie au fait d’apprendre à compter sur ses doigts.
Donc :
Je crois que cette prudence est l’attitude à adopter cette fois encore.
Une autre chose me semble s’imposer : donner aux élèves et aux étudiantes et étudiants une «littératie numérique» qui leur permettra de comprendre comment fonctionnent ces outils, quelles en sont les possibilités, mais aussi les limites et les dangers, et comment rester critique face à eux et en être un usager responsable.
(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)
Soit la phrase suivante :
Il faut se rappeler que c’est relativement récent que c’est l’État qui offre l’éducation à tous et à toutes et que celle-ci est, dans ses écoles, obligatoire durant un certain nombre d’années.
Ce double «c’est» n’est pas particulièrement heureux; c’est le moins qu’on puisse dire.
Essayons ceci :
Il faut se rappeler qu’il est relativement récent que l’État offre l’éducation à tous et à toutes et que celle-ci est, dans ses écoles, obligatoire durant un certain nombre d’années.
À votre service.
P.-S.—Signalons encore, dans le même texte, un synonyme inutile : «plus précisément son droit à un avenir ouvert, à un avenir non fermé».
«Et vive l’érudition !…» Littérature et circonstances, p. 345 n. 39
L’Oreille tendue a récemment rédigé une notice biobibliographique sur son ancien professeur, collègue et commensal Gilles Marcotte (1925-2015). Elle a alors relu quelques-uns des textes de cet «accompagnateur» de la littérature québécoise (mais pas que).
Elle connaissait déjà plusieurs traits de son style : adresses au lecteur («comme vous et moi»), doublées d’un «nous» de connivence («Nous le demanderons à Bérénice Einberg»), usage de la première personne («Je préparais un examen de littérature canadienne-française»), recours à l’italique (dans le Libraire, de Gérard Bessette, «Jodoin ne voulait rien savoir»), usage de l’ironie («On ne recrute pas un tigre et un lion […] sans s’attirer quelques ennuis»), présence épisodique de l’anglais («good news is bad news»).
(Les citations qui précèdent sont toutes tirées d’Une littérature qui se fait et du Roman à l’imparfait.)
Elle avait cependant été trop peu sensible à sa manière d’utiliser les notes.
Une littérature qui se fait paraît en 1962. Dans la réédition de 1994, Gilles Marcotte ne se permet qu’une nouvelle note, d’autodérision, s’agissant de l’édition, qu’il croyait définitive, des poèmes d’Émile Nelligan : «Prophétie imprudente…» (p. 127 n. 1)
Parmi les cinq romanciers auxquels s’attache principalement Marcotte dans le Roman à l’imparfait (1976), il y a Gérard Bessette. Marcotte préfère le Bessette romancier au Bessette critique. Ce dernier s’en prend au réalisme d’un rêve décrit par Victor-Lévy Beaulieu ? «Le rêve doit-il donc être soumis aux contraintes de l’exactitude anatomique ?…» (p. 22 n. 6) Il est insatisfait d’un autre passage du même VLB ? «Pourquoi Beaulieu n’a-t-il pas écrit un roman de Bessette ?» (p. 33 n. 22)
À côté de ces notes ironiques, on en trouve une où Lautréamont parle pour l’auteur — et c’est une splendeur : «Les rapports — d’emprunt, de transformation, et cetera — entre l’œuvre de [Réjean] Ducharme et le texte lautréamontien sont si nombreux et si complexes qu’il ne saurait être question de les inventorier ici : “allez-y voir vous-même, si vous ne voulez pas me croire” (Lautréamont, op. cit., p. 365)» (p. 63 n. 6). En effet, ces «rapports» ne seront pas «inventoriés» tout de suite; ils ne le seront que dans un article de 1990.
Une note du Roman à l’imparfait contient une mauvaise blague (p. 163 n. 28). Une autre permet d’être plus sévère en bas de page que dans le corps du texte, sur Marie-Claire Blais (p. 114). Deux notes de la page 155, au sujet de Jacques Godbout, sont inattendues : «La réalité, la vérité, sont dans les cuisses» (n. 23); «Les cuisses, Dieu, la vérité : étonnante salade…» (n. 24)
Restent les notes où on dit ce qu’on ne fera pas : «La psychanalyse aurait évidemment beaucoup à dire là-dessus…» (p. 77 n. 27) et celles où on se demande si on fera ce qu’on est en train de faire : «Faut-il faire observer que cette description du roman traditionnel pousse à la caricature les traits qui le constituent ?» (p. 177 n. 8)
Qu’en est-il des autres livres de Gilles Marcotte, étant entendu que les notes bibliographiques ont été laissées de côté, de même que celles qui ne contiennent qu’une citation ou que de l’information ? On trouvera ci-dessous quelques remarques non exhaustives.
Des ouvrages critiques en sont dépourvus, par exemple la Prose de Rimbaud (1983). Dans le cas de La littérature est inutile (2009), c’est plus radical :
L’auteur s’est permis de faire des changements, mineurs ou (plus rarement) assez importants, dans les textes ici reproduits. Il a également supprimé les notes de bas de page. Les lecteurs exigeants pourront les retrouver dans les périodiques et ouvrages dont ils sont extraits (p. 227).
Serons-nous des «lecteurs exigeants» ?
Dans les livres où il y en a, une note peut contenir son potentiel de polémique. Dans le Temps des poètes (1969), dans le corps du texte, Marcotte parle de «poésie canadienne-française» (p. 30). En note, il s’explique — façon de parler : «Ou québécoise, comme on voudra. Je note cependant que ce dernier adjectif prête à confusion, pour les deux raisons que voici : 1) il existe une ville appelée Québec; 2) il existe au Québec des écrivains de langue anglaise» (p. 33 n. 29).
En 1989, Littérature et circonstance regroupe 25 «études». Les notes sont nombreuses; elles font 16 pages en fin de volume. Retenons-en deux : «Un siècle [après Crémazie], Yves Berger parlera de la “bourgeoisie québécoise” comme de “la plus bête du monde”. Conservons quelques doutes. La concurrence internationale , dans la bêtise, est assez vive» (p. 333 n. 3); «Ainsi presque tous les romans de Jacques Ferron sont, en partie du moins, des romans à clés. Il n’est peut-être pas important de connaître les portes qu’ouvrent ces clés; il est utile de savoir que l’auteur aime s’amuser avec des clés» (p. 344 n. 2). On signalera itou, dans le recueil, la récurrence des formules comme «On se souvient que» (p. 339 n. 15, p. 341 n. 11), «bien sûr» (p. 343 n. 2, p. 347 n. 4) ou «On aura reconnu» (p. 345 n. 32).
S’agissant de Rimbaud, en 1993, on frôle le même pédantisme professoral : «On sait que le personnage principal de ce roman [Dévadé, de Réjean Ducharme] porte le nom de Bottom» (p. 103 n. 23). Le sait-on vraiment ? S’en souvient-on ? Est-ce bien sûr ? L’avez-vous reconnu ?
Le recueil l’Amateur de musique (1992) ne contient qu’une note, dans laquelle l’amateur de musique se tâte : dans son Journal 1981-1984, Julien Green a-t-il fait une faute ? «Mais je ne suis pas sûr… Je lis donc le texte tel qu’il est imprimé» (p. 153 n.).
Dans le Lecteur de poèmes (2000), l’auteur offre une utile mise en garde : «Qu’on ne lise pas ici un jugement négatif sur la critique universitaire» (p. 86 n. 5). (Merci.)
Les deux seules notes de la Petite anthologie péremptoire de la littérature québécoise (2006) nuancent un propos («Soyons honnête», p. 10 n. 1) et rappellent la perspective du livre (p. 35 n. 2).
En août 1996, Gilles Marcotte publiait dans le magazine l’Actualité une lettre à sa cousine. Il y évoquait les «tremendous footnotes» de l’ouvrage d’un de ses jeunes collègues. Lui, il n’allait jamais jusque-là, mais il faut néanmoins lire les siennes.
P.-S.—Oui, Gilles Marcotte aime beaucoup les points de suspension.
P.-P.-S.—Non, l’Oreille n’a pas relu tous les écrits de Marcotte pour rédiger ceci.
P.-P.-P.-S.—Oui, elle aime beaucoup les notes de Marcotte, mais sa favorite est de quelqu’un d’autre.
P.-P.-P.-P.-S.—Oui, ce «jeune collègue», c’était l’Oreille.
Références
Larose, Jean, Gilles Marcotte et Dominique Noguez, Rimbaud, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «L’atelier des modernes», 1993, 144 p.
Marcotte, Gilles, le Temps des poètes. Description critique de la poésie actuelle au Canada français, Montréal, HMH, 1969, 247 p.
Marcotte, Gilles, le Roman à l’imparfait. Essais sur le roman québécois d’aujourd’hui, Montréal, La Presse, coll. «Échanges», 1976, 194 p. Nouvelle édition revue et corrigée : le Roman à l’imparfait. La «révolution tranquille» du roman québécois. Essais, Montréal, L’Hexagone, coll. «Typo», 32, 1989, 257 p.
Marcotte, Gilles, la Prose de Rimbaud, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1983, 163 p. Rééd. : Montréal, Boréal, 1989, 196 p.
Le 7 avril 2016, l’Oreille tendue proposait une «Chronique nécrologique». Elle l’a récemment développée et elle en a tiré une plaquette :
Melançon, Benoît, la Vie et l’œuvre du professeur P. Sotie, Montréal, À l’enseigne de l’Oreille tendue, 2022, 56 p. ISBN : 978-2-9820826-1-8.
C’est une publication hors commerce. On peut néanmoins se la procurer ici. Le tirage initial est de cent exemplaires.
Commentaires (judicieusement) choisis
«J’ai vraiment beaucoup ri. Dans le contexte actuel, avec les disparitions de toute une génération et les départs à la retraite d’une autre, ça résonne (entre le glas et un son grinçant)…» (un collègue content mais inquiet)
«J’ai aimé l’humour, l’ironie et la causticité (certains diraient voltairiens) de ce texte, tout autant que la pénétration et la lucidité du regard que vous y déployez» (un collègue d’un tout autre milieu).
«Flaubert, sors de ce corps. Ou pas. Merci de donner un peu de travail à mes muscles zygomatiques (ça faisait longtemps qu’ils n’avaient pas servi)» (un collègue en manque).
«Tu te moques des universitaires… tu es vilain !» (une non-universitaire)
«Je l’ai lu avec plaisir et tristesse» (un Italien).
«Déjà lu, le sourire aux lèvres du début à la fin» (un Québécois).
«Beaucoup ri, souvent jaune» (un voisin de bureau).
«Amusant et désolant à la fois… La satire des colloques est délicieuse !» (un États-Unien)
«Reçu et lu. Avec grand plaisir !» (un jeune, façon de parler, collègue)
«Je suis tombé sur ton petit joyau de sotie académique, et j’ai eu un “fun noir”, comme dirait Ducharme» (un voisin de bureau, mais de l’autre côté du corridor).
«Il ne faut jamais abuser des bonnes choses, mais pourquoi bouder son plaisir : j’en aurais pris encore un peu» (une professeure de cégep).
«Je me suis délectée de cette lecture, j’ai ri beaucoup, et franchement !» (une ancienne étudiante)
«Jamais rien lu d’aussi drôle et d’aussi vraisemblable sur le milieu universitaire. Jouissif. Et on y rencontre même un tintinophile technophobe» (un collègue gatinois).
«Lecture délicieusement déprimante» (un collègue ontarien [d’adoption]).
«Le plombier est finalement plus sympathique que son maître à pas penser» (bis).
«C’est presque la vie de Charles Bovary, qui aurait lu Oblomov» (un flaubertien).
«Après une journée passée à évaluer des demandes de subvention, c’était la soupape parfaite ! J’en rigole encore» (un voisin du dessus).
«Et merci pour ta sotie qui m’a bien fait rire !» (une professeure émérite)
«Mais comment as-tu, de là où tu es, pu observer ton modèle ? Car P. vit (ou vivait) (ou vécut) ici, dans mon université, évidemment; et je l’ai mollement connu, même si ma mémoire ne garde de lui qu’un souvenir qui s’estompe au fur et à mesure que passent les années de retraite. Même de son nom, je ne suis plus très sûr. Sauf que je suis sûr de ceci : son nom est Légion…» (un émérite professeur, et belge)
«Sotie de Maistre @benoitmelancon pour servir à l’édification publique et particulière du bon peuple des universités. À recommander contre les multiples maux de l’Alma Mater» (un belge professeur, et émérite).
«J’ai lu ta sotie sur le professeur P. Elle m’a fait sourire, rire franchement et rire jaune» (une voisine d’étage).
«À mon arrivée dans le monde universitaire, on m’a parlé du PPO (Petit Prof Ordinaire) — une mise en garde ? Longtemps je l’ai cherché. Mais comment le reconnaître ? Toutes les réponses sont (enfin) dans ce livre de @benoitmelancon. Le PPO est un PSS (Prof-sans-Souci)» (une collègue qui ne cherche plus).
«Le professeur P. est un raté, un médiocre, et toute l’ironie de Benoît Melançon trouve dans ce portrait l’occasion de s’exprimer avec talent» (un zeugmaticien rouennais).
«lucidité et minimalisme, grandeur et misères académiques, tristesse (flaubertienne ?) aussi» (un Suisse).
«J’en profite pour vous dire que j’ai adoré votre sotie. Vous êtes le Flaubert dont le milieu universitaire avait besoin. On en veut encore !» (une cliente satisfaite)
«J’ai lu le Professeur P et j’ai ri aux larmes. C’est super drôle» (une coséminariste).
«J’ai passé un très bon moment en lisant ces témoignages des âneries de nos collègues dont les noms me sont inconnus, mais dont les agissements me rappellent maints colloques auxquels j’ai assisté par le passé» (un professeur d’expérience).
«J’ai lu votre sotie avec grand plaisir. On vous lit avec un sourire en coin de la première à la dernière page : sourire parfois malicieux, voire cruel, sourire parfois un peu plus près de l’autodérision. […] Je dois dire aussi que ma lecture me ramène à l’amertume que je sens monter (je sais : il faut la combattre, car elle est mauvaise conseillère) quand je prends conscience que des P. parviennent parfois à obtenir des postes universitaires» (un postdoctorant à la recherche d’un poste).
[Complément du 29 novembre 2022]
Un second tirage de cinquante exemplaires vient de paraître. Comme l’adjectif l’indique, ce sera le dernier.