Langue de campagne (29) : la pensée historique de Philippe Couillard

Alain Farah, Matamore no 29. Mœurs de province, 2008, couverture

«Ce n’est pas une mauvaise chose pour les politiciens en vogue,
il y a longtemps qu’ils grenouillent pour qu’on ne parle,
avec gros bon sens, que des vraies affaires.»
Raymond Bock

Le 5 décembre 2012, Philippe Couillard, qui était alors candidat à la direction du Parti libéral du Québec et qui en est devenu le chef depuis, signait, dans le quotidien le Devoir, un plaidoyer intitulé «Revenir aux sources de l’idée libérale. Les libéraux ont oublié qui ils sont. Pour se redéfinir, il leur faut plonger profondément dans leurs racines, jusqu’aux patriotes et à Wilfrid Laurier, entre autres» (p. A9). Il y défendait la tradition libérale en l’inscrivant dans l’histoire.

Le slogan de son parti dans l’actuelle campagne électorale, «Ensemble, on s’occupe des vraies affaires», témoigne d’un même attachement au passé. En effet, les vraies affaires — quoi que ce soit — ne datent pas d’hier.

«Les vraies affaires, ça presse !» (le Devoir, 25 janvier 2012, p. A7).

«Il y a tellement de vraies affaires dans cette vie que c’en est étourdissant» (le Devoir, 9-10 novembre 2002).

«La “vraie vie”, le “vrai monde”, les “vraies affaires”» (le Devoir, 19 février 2002).

«Il y a les discours officiels et il y a les vraies affaires» (la Presse, 19 août 2001).

«Évaluer et contrôler les vraies affaires» (le Devoir, 8 novembre 2000).

Les vraies affaires ne sont pas seules dans le c(h)amp de la vérité.

«Parlons des vraies choses, M. Bolduc» (la Presse, 30 septembre 2010, p. A10).

«Sauf que, parfois, pour se dire les vraies choses, on a besoin d’une table avec vue imprenable sur la ville, un service impeccable et une carte raffinée» (Matamore no 29, 2008, p. 139).

«L’ADQ est le seul parti à s’occuper des affaires du vrai monde, selon Mario Dumont» (le Devoir, 28 février 2007, p. A2).

«Déjà à ce moment, raconte-t-il, j’étais allergique à la psychologie moumoune et bourgeoise, genre ma femme ne m’aime pas, mon père m’a fucké, je suis angoissé, etc. C’est pour cela que je me suis éventuellement tourné vers les nouveau-nés en difficulté ou handicapés : vers le vrai monde qui vivait de vrais drames» (la Presse, 21 décembre 2003).

«On parle-tu des vraies choses ?» (la Presse, 26 novembre 2003)

«Le Bloc veut parler des vraies choses» (la Presse, 4 avril 2003).

«Simon Durivage : comment aller chercher le “vrai fond” des gens» (la Presse, 8 septembre 2000).

Saluons la constance historicolinguistique du PLQ.

 

Références

Bock, Raymond, «Mélange de quelques-uns de mes préjugés», Liberté, 295 (53, 3), avril 2012, p. 7-15. https://id.erudit.org/iderudit/66333ac

Farah, Alain, Matamore no 29. Mœurs de province, Montréal, Le Quartanier, 2008, 208 p.

Langue de campagne (28) : vocabulaire libéral

Compressions. Budgétaires. Toujours inévitables.

«Les compressions de Jean Charest» (le Devoir, 1er juin 2003).

Énoncé économique. Variante, prononcée à haute voix, de la feuille de route ou du plan de match.

«Charest exige un énoncé économique» (le Devoir, 10 octobre 2001).

Guichet unique. Tous les paliers gouvernementaux en rêvent : rassembler en un seul lieu l’ensemble des ressources insuffisantes.

«Les jeunes libéraux réclament la création d’un guichet unique de services à la jeunesse» (le Devoir, 13 août 2003).

Inclusif. À l’intérieur dedans.

«[Bernard] Landry tient un discours “moins inclusif”, dit [Jean] Charest» (le Devoir, 5 mars 2001).

Modèle québécois. Plusieurs ne l’aiment pas / plus.

«Charest annonce un tout nouveau modèle québécois» (la Presse, 30 avril 2003).

«Les libéraux réviseront le modèle québécois» (le Devoir, 17-18 mai 2003).

Ou. Règne de l’alternative.

«La souveraineté ou la santé» (slogan électoral, 2003).

450. Unité de mesure politique. Les élections se jouent dans le 450.

«Les libéraux raflent presque tout dans le 450» (la Presse, 15 avril 2003).

Les citations qui précèdent sont toutes tirées du Dictionnaire québécois instantané, paru en 2004. Il n’a pas été nécessaire de les actualiser.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Langue de campagne (27) : vocabulaire péquiste

Aile radicale. Seul le parti Québécois en aurait eu une, et depuis longtemps.

«[Lucien] Bouchard démissionne. L’incessant affrontement avec l’aile radicale du PQ et ses obligations familiales motiveraient sa décision» (la Presse, 11 janvier 2001).

Commission. Elle doit nécessairement précéder le grand soir.

«Une commission spéciale devrait être créée à l’initiative [du Parti québécois] avec pour mandat de baliser les contours de la souveraineté, d’en révéler les avantages et d’en identifier les retombées concrètes» (la Presse, 5 mai 2000).

Conditions gagnantes. Comme la musique : avant toute chose.

«Même l’horizon de 2005 [que le premier ministre] évoque, alors qu’un Québec souverain participerait au prochain Sommet des Amériques, est incertain puisqu’un référendum n’aura lieu que si les conditions gagnantes sont réunies» (le Devoir, 25-26 août 2001).

Défi. Les rechercher, les relever, le dire, en beurrer épais.

«Un nouveau défi pour l’unité de la gauche québécoise» (le Devoir, 25 novembre 2003)

Inclusif. À l’intérieur dedans.

«Le discours du PQ se veut pourtant inclusif et intégrateur» (le Nouvelliste, 19 avril 2001).

«Jamais plus il ne faut tolérer ici ou ailleurs que l’on assimile le projet québécois qui est totalement inclusif à quelque dessein ethnique que ce soit» (Bernard Landry, la Presse, 22 janvier 2001).

Purs et durs. Défenseurs de l’indépendance, elle aussi pure et dure, et du modèle québécois.

«Les “purs et durs” aiguisaient leurs couteaux pour déloger [Pierre-Marc] Johnson et favoriser Jacques Parizeau» (la Presse, 12 janvier 2001).

Les citations qui précèdent sont toutes tirées du Dictionnaire québécois instantané, paru en 2004. Il n’a pas été nécessaire de les actualiser.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Langue de campagne (26)

Quatre déclarations électorales :

«C’est bien connu, la technologie est la locomotive de la nouvelle économie, mais le capital humain en est incontestablement la force motrice»;

le candidat et son parti «s’engagent à […] renouveler la gouvernance du développement économique de [X] pour catalyser les efforts de tous les intervenants et créer des synergies importantes»;

«Le bien-être des citoyens de [X] sera au centre de la démarche qui se voudra inclusive de toutes les composantes de la communauté»;

«La qualité de la gouvernance économique des villes-régions est un facteur clé de leur compétitivité. La capacité de la ville à orienter son développement stratégiquement, à travailler pro-activement pour concrétiser des opportunités économiques et à livrer des services de qualité compte parmi les compétences clés des villes agissantes.»

Est-ce tiré des textes de la campagne électorale actuelle ? Non : cela vient du programme électoral de l’équipe de Gérald Tremblay à la mairie de Montréal en 2001.

Plus ça change, moins c’est pas pareil, en quelque répétitive sorte.