L’Oreille tendue inc.

la Presse+, 25 avril 2013

Quiconque fréquente la presse québécoise sait que l’expression «Québec inc.» y est sans cesse employée. Elle désignerait l’entrepreneuriat autochtone. Les exemples ne manquent pas.

«Saga au cœur de Québec Inc.» (la Presse, 10 octobre 2006, cahier Affaires, p. 1).

«Québec extrême inc.» (la Presse, 10 mars 2007, cahier Plus, p. 1-2).

«Lève-toi, Québec inc. !» (la Presse, 11 avril 2011, p. A20).

«What does Quebec inc. want ?» (la Presse, 16 avril 2011, cahier Affaires, p. 1).

Le «inc.» paraît cependant prendre de l’expansion. Exemples glanés au cours des derniers jours.

«Le nouveau Montréal inc.» (la Presse, 20 avril 2013, cahier Affaires, p. 1).

«Wall Street rassurée par les résultats d’America Inc.» (la Presse, 20 avril 2013, cahier Affaires, p. 8).

«Onde de choc dans les échelons supérieurs de Canada inc. !» (la Presse+, 25 avril 2013).

«Manucure inc.» (la Presse+, 25 avril 2013).

À l’heure de l’incorporation (inc. = incorporée) à tous crins, l’Oreille tendue ne voudrait pas traîner de la patte. Dorénavant, elle s’appellera l’Oreille tendue inc. Merci d’en prendre note.

 

[Complément du 6 mai 2013]

«France inc. débarque à Montréal», titre aujourd’hui la Presse (cahier Affaires, p. 1).

 

[Complément du 17 mars 2017]

Où en sommes-nous ?

L’abréviation a connu une extension géographique.

«Comment le Japon Inc. est tombé en disgrâce» (le Devoir, 15 mars 2017, p. B1).

«China inc.» (la Presse+, 23 mai 2016).

«Planète économique. L’appétit insatiable de China inc.» (la Presse+, 8 février 2016).

Une extension proprement québécoise.

«Vers un cégep inc.» (la Presse+, 23-24 juillet 2016).

«Pure laine inc.» (la Presse+, 5 mars 2016).

Une extension sportive.

Bagarreurs inc., film de Sophie Lambert, 2013, sur les bagarreurs au hockey.

Une extension littéraire.

«Big Brother Inc.» (le Devoir, 25 juin 2013, p. B2).

Une extension bancaire.

generationinc.com

Extrême : le point

Printemps oblige, l’Oreille tendue a la fibre ménagère. Après avoir mis de l’ordre dans sa liste de à saveur, elle s’attaque aujourd’hui à extrême, son «perroquet d’or» en 2012.

Elle s’impose cependant une contrainte : de sa besace, elle ne tirera que ce qui concerne la culture.

Cela donne…

«La télé de demain : plus trash, plus voyeuse et plus extrême» (la Presse, 9 avril 2013, cahier Arts, p. 3).

N.B. Ce «plus extrême» laisse rêveur.

«Roman limite, roman extrême» (le Devoir, 16-17 mars 2013, p. F3).

«Folklore extrême sous les flocons» (la Presse, 28 février 2013, cahier Arts, p. 3).

«Dany Laferrière, né en Haïti mais témoin extrême d’un Québec et d’un monde en mutation» (le Devoir, 12-13 janvier 2013, p. F5).

Musique «pop extrême» (le Devoir, 26 octobre 2012, p. B5).

«Huit camps pour de la poésie en mode extrême : Un banc de méduses phosphorescentes ? Des œufs d’Aliens qui n’att… http://bit.ly/OkoElw» (@Gehenne1, 23 juillet 2012).

«une création de cirque extrême» (le Devoir, 13 juillet 2012, p. B2).

«Théâtre extrême» (la Presse, 19 mai 2012, cahier Arts, p. 18).

«l’émission de potinage extrême TMZ» (le Devoir, 13 février 2012, p. A8).

Son corps extrême, roman de Régine Detambel (2011).

«Rock extrême» (la Presse, 13 juin 2011, cahier Arts et spectacles, p. 5).

«De l’intime jusqu’à la peinture extrême» (le Devoir, 31 décembre 2010, p. E3).

«version extrême du Hank d’origine» (le Devoir, 8 octobre 2010, p. B5).

«expérience d’art extrême» (le Devoir, 20-21 juin 2009, p. F3, publicité).

«Denise Boucher, femme extrême» (la Presse, 8 avril 2007, cahier Lectures, p. 9).

«Zapping extrême» (la Presse, 25 septembre 2006, cahier Technaute, p. 8).

Que reste-t-il qui ne soit pas extrême ?

Trouble de l’Oreille

L’Oreille tendue essaie d’être sensible aux modulations de la langue. Elle ne peut donc qu’être troublée quand d’autres signalent un phénomène qu’elle-même n’a pas remarqué.

Exemple : la popularité, dit-on, de l’expression dans le fond.

Cela a commencé avec @NathalieCollard :

«Pourquoi tout le monde commence ses phrases par “Dans le fond…” ? #observationdusamedi.»

Cela a continué avec @AMBeaudoinB et @Hortensia68 :

«@benoitmelancon Avez-vous déjà tendu votre oreille vers “dans le fond” ? Introduit le discours soigné des gens un peu mal à l’aise…» (@AMBeaudoinB).

«@AMBeaudoinB @benoitmelancon Depuis quelques années, lors des exposés oraux, le “dans le fond” est un fléau très répandu» (@Hortensia68).

«@Hortensia68 @benoitmelancon N’est-ce pas ? À chaque début de session, j’avertis mes étudiants que je le remarquerai. C’est une épidémie !» (@AMBeaudoinB).

Cela est de nouveau chez @NathalieCollard :

«J’écoute la radio. J’entends “Dans l’fond” aux deux minutes. Ce tic de langage est devenue une plaie.»

L’Oreille est inquiète. Elle a certes trouvé cette expression dans le blogue OffQc | Quebec French Guide et dans une vidéo célèbre de Solange te parle, «Solange te parle québécois». Pourtant, pour elle, ce n’est pas un «fléau», une «épidémie» ou une «plaie».

Serait-ce qu’elle devient dure de la feuille ?

P.-S. — Dans le fond, non : Solange ne te parle pas québécois.

 

[Complément du 9 mars 2013]

Commentaire, reçu par courriel, d’un professeur de cégep québecquois : «Je l’atteste : l’usage de “dans l’fond” est abusif chez nos étudiants du collégial, et ailleurs sans doute.» L’inquiétude de l’Oreille grandit.

 

[Complément du 28 septembre 2016]

Selon un correspondant de l’Oreille, la source du mal serait glandulaire.

Les dix néologismes du lundi matin

«L’absence d’un dictionnaire actuel de néologismes
se fait […] cruellement sentir» (Franz Josef Hausmann).

 

Blogosexuel : «pratique d’écriture extrême de blogue — avec un portable, dans un train, avec café brûlant… Écriture numérique et digitale !» (merci à @culturelibre).

Écoluxe : chic, mais de bon goût (du jour). «Elle a créé une griffe “écoluxe” bien avant qu’on comprenne le sens du terme. Visite à l’atelier de Mariouche Gagné» (la Presse, 22 décembre 2012, cahier Chic ! Mode, p. 7).

Égocuisine : la cuisine du je. «On crée son propre mijoté, puis on publie sa photo sur un blogue. “C’est le même grand courant d’égocuisine, dit M. [Frédéric] Blaise. Je mange, donc je suis”» (la Presse, 29 décembre 2012, p. A3).

Gastropolitique : faire une grève de la faim en espérant obtenir des gains politiques. «Les autochtones et la “gastropolitique” du colonialisme» (le Devoir, 31 décembre 2012, p. A6).

Labeaumegrad : la Vieille Capitale, Québec, a un maire, Régis Labeaume, qui ne voit pas toujours les mérites de la contestation. Sa ville raviverait des nostalgies soviétiques. «Avec Boy Georges comme DJ pour le nouvel an, Labeaumegrad prouve qu’elle peut à la fois être hasbeen et wanabe. #AquandCindyLauper?» (merci à @PaquitLeChameau).

Rockumentary : documentaire rock (merci à @Laelaps).

Sportula : spatule à motif sportif; art pratiqué dans le Wisconsin (merci à @emckean).

Végétecture : faire pousser, pour construire. «La “végétecture” prend bien à Barcelone http://bit.ly/SkTnn7 #neologisme #architectureurbaine» (merci à @marinegroulx).

Watture : voiture électronique. Ce serait le mot de l’année 2012 selon le Festival XYZ du mot nouveau.

Zombiquité : «aujourd’hui il est possible d’être physiquement à un endroit, mais mentalement absent, la faute à un texto, une app ou un compte Facebook. On appelle ça la “zombiquité”» (le Devoir, 18 décembre 2012, p. A4).

A trasher ou pas ?

Son utilisation en français n’est pas nouvelle : on en trouve des exemples depuis plus de dix ans.

«Avec ses scènes de sexe explicites et ses meurtres carabinés, cette espèce de Thelma & Louise version hardcore, qui se situe entre road movie sanguinolent et film de cul trash-qui-fesse-dans-le-dash, est à déconseiller aux âmes sensibles» (la Presse, 15 septembre 2000).

«Trad, néo-trad, trash-trad et trad trad» (le Devoir, 29 décembre 2003).

«album trash extrême» (le Devoir, 20-21 novembre 2004, p. E5).

«Bougon, colon ou trash. Nous sommes tous affreux, bêtes, sales et méchants» (le Devoir, 26 mars 2004, p. B8).

Cette utilisation n’est pas propre au français du Québec. Allez sur le site du magazine français les Inrocks et tapez «trash» dans le moteur de recherche; vous aurez des heures de lecture. Téléchargez la huitième livraison du Bulletin de la coopérative d’édition publie.net et vous lirez ceci, sous la plume de François Bon : «Allez, je laisse ça tout à trash comme je l’ai reçu !»

Pourquoi alors écrire sur un mot si banal ? Simplement parce que sa popularité ne se dément pas. Cinq exemples, repérés au cours des dernières semaines :

«Trash dramaturgie» (le Devoir, 17 octobre 2012, p. B9).

«Une autofiction trash qui rentre dedans, qui secoue le lecteur» (la Presse, 20 octobre 2012, cahier Arts, p. 3).

«“Portrait intime de la chanteuse folk trash Lisa LeBlanc”, propose MusiMax» (le Devoir, 20-21 octobre 2012, p. E7).

«Yeah! J’ai reçu mon catalogue de Noël 2012 du Rossy !!! #NoelTrash http://t.co/PaHUi5tt» (@mcgilles).

«Un couple de jeunes (20 ans environ) gothiques-trash s’approche de moi […]» (la Presse, 16 novembre 2012, cahier Arts, p. 5).

Le trash ne se démode pas. À cet égard, il est comme son antonyme, le vintage.