Le zeugme du dimanche matin et de François Hébert

François Hébert, Histoire de l’impossible pays, 1984, couverture

«On rapporta ses propos, ainsi que ses bras et ses jambes au roi. On enterra l’Ouaaa, son tronc dans un cercueil ordinaire, ses membres dans quatre petits coffres faits sur mesure et disposés de part et d’autre du plus grand.»

François Hébert, Histoire de l’impossible pays. Nommé Kzergptatl, de son roi Kztatzk premier et dernier et de l’ennemi de celui-ci le sinistre Hiccope 13 empereur du Hiccopiland. Roman, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, 187 p., p. 83.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Pouces et mains

Jacques Brault et François Hébert, l’Élan de l’écrevisse, 2023, couverture

En 1990, François Hébert publie un livre de poésie intitulé Lac noir. Une édition revue et augmentée paraît en 2010 sous le titre l’Élan de l’écrevisse. L’année dernière, sous le même titre, les lecteurs ont eu droit à une «nouvelle réédition augmentée et définitive».

Dans son «hors-d’œuvre», en 2023, Jacques Brault réfléchit à sa pratique des arts visuels. Voici le premier paragraphe de son texte :

Quand on s’est fait dire et répéter tout au long de sa prime jeunesse : «Tu ne feras jamais rien de bon avec des mains pleines de pouces», on finit par se décourager ou se rebiffer, à moins de continuer son chemin à son allure propre — et sans marcher sur les mains. Donc, on ne s’est pas pris pour un peintre, pas même du dimanche, quand un jour d’automne doré, ayant trouvé dans l’herbe du jardin une plume de geai, on a éprouvé le désir fou de jouer à l’oiseau et de dessiner l’air dans l’air, l’eau sur l’eau, et ainsi de suite pour le reste du monde. C’est alors qu’on prend goût, sans y penser, à vivre en plus avec son flair tactile, avec plein les mains de perceptions de tout ordre. Et par s’exprimer en silence, en réseau de lignes et de taches, ombres et lumières non plus de langage, mais de matière (p. 65).

Avoir les mains pleines de pouces ? Au Québec, faire preuve de maladresse. Trop de pouces, comme pas assez, ce n’est pas idéal.

À votre service.

 

Références

Brault, Jacques et François Hébert, l’Élan de l’écrevisse, Laval-des-Rapides, Le temps volé, coll. «À l’escole de l’escriptoire», 30, 2010, 49 p. Ill. Réédition de Lac noir (1990), de François Hébert, revue et augmentée. Quarante-six poèmes de François Hébert. Neuf dessins & une réflexion hors-texte de Jacques Brault.

Brault, Jacques et François Hébert, l’Élan de l’écrevisse, Laval-des-Rapides, Le temps volé, coll. «À l’escole de l’escriptoire»,59, 2023, 71 p. Ill. Nouvelle réédition de Lac noir (1990), de François Hébert, augmentée et définitive. Quarante-six poèmes et une apostille de François Hébert. Neuf dessins et un hors-d’œuvre de Jacques Brault. Suivi de «de l’âme et de ses ombres» par Marc Desjardins.

Hébert, François, Lac noir, Québec, Éditions du Beffroi, 1990, s.p. Dessins de Jacques Brault.

Les sparages

Benoît Melançon donnant une conférence sur l’Encyclopédie en 2022

L’Oreille tendue tient d’abord à offrir ses plus plates excuses à ses bénéficiaires. Le 12 mai 2015, elle a utilisé le mot sparages sans en offrir de définition.

Pourquoi en parler aujourd’hui ? À cause de cette phrase, lue dans la Presse+ du 4 juin dernier : «Ça devient lourd, ces simagrées et ces sparages muets en arrière-plan.»

Sparages, donc.

À «Sparages», Pierre DesRuisseaux propose «Faire des sparages. Gesticuler, faire un esclandre, parader» (p. 289).

Pierre Corbeil donne deux synonymes : «ostentation, énervement» (p. 130).

Parmi les définitions de Léandre Bergeron, en 1980, on trouve «Grands gestes exagérés. — Manifestation nerveuse. — Grand déploiement. Étalage» (p. 466).

Pour résumer : qui fait des sparages ne s’économise pas, s’emporte, exagère. Serait-ce qu’il y a quelque chose à cacher ? Les sparages auraient-il quelque parenté avec l’esbroufe ?

Autre exemple : «Quand elle cause, l’Oreille multiplie les sparages.»

P.-S.—Vous avez raison : le mot ne s’emploie guère qu’au pluriel.

 

[Complément du 11 juin 2024]

Ajout double à ceci.

1.

Deux bénéficiaires de l’Oreille attirent son attention sur la chanson «Gens du pays» de Gilles Vigneault :

Piailleries d’école
Et palabres et sparages
Magasin général
Et restaurant du coin
Les ponts, les quais, les gares
Tous vos cris maritimes
Atteignent ma fenêtre
Et m’arrachent l’oreille

Merci.

2.

Ces jours-ci, l’Oreille (re)lit du François Hébert. Et elle tombe sur ceci quelques heures après la mise en ligne de son texte sur les sparages :

L’origine anglaise de sparage, et animale : «to spar» signifie «se battre», et se dit à propos des coqs, ainsi qu’au sens figuré, ou alors en référence à ces combats amicaux que l’on mène pour s’éprouver ou mesurer la force d’un rival. Moi je pense aux cerfs et à l’emmêlement de leurs andouillers dans la lutte, non moins qu’aux paroles lancées en l’air et se nouant à d’autres, ainsi qu’aux paroles d’autrui (Pour orienter les flèches, p. 56).

Ça ne s’invente pas.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Hébert, François, Pour orienter les flèches. Notes sur la guerre, la langue et la forêt, Montréal, Trait d’union, coll. «Échappées», 2002, 221 p.

Vaut mieux en avoir

François Hébert, Montréal, 1989, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de l’essai que consacrait François Hébert à Montréal en 1989 :

Gaston Miron a fait ce qu’il a pu pour réveiller l’autre solitude. Torrent essayant de tenir dans une main sa source et dans l’autre son embouchure, un peuple sur la tête et une femme à sa hanche, il déboulait parfois dans la succursale de la Banque Royale, encore elle, où travaillait un ami à qui il déclamait son dernier poème, devant des bovins estomaqués qui attendaient à la caisse voisine pour déposer ou retirer quelque foin (p. 69).

«Quelque foin» ? Dans la langue populaire du Québec, le mot foin désigne l’argent, pas seulement la nourriture des «bovins».

À votre service.

P.-S.—On ne peut rien vous cacher : nous avons déjà causé pognon ensemble.

 

Référence

Hébert, François, Montréal, Seyssel, Champ vallon, coll. «Des villes», 24, 1989, 103 p.