Dictionnaire des séries 57

La rondelle des Rolling Stones (Montréal, 2013)

«La p’tite rondelle noire est une étoile filante»
(Robert Charlebois, «Champion», chanson, 1987).

 

Sans rondelle, point de hockey. (Il existe des rondelles de substitution, mais ce n’est vraiment pas la même chose.)

La preuve ? Quand un entraîneur veut punir ses joueurs, il les fait s’entraîner sans : en 2010, Jacques Martin, qui dirigeait alors l’équipe de Montréal, «a convié le Canadien à une réunion d’équipe à 10 h 30, suivie d’une courte séance de patinage sans rondelle, puis d’un entraînement intensif» (la Presse, 24 novembre 2010, cahier Sports, p. 2). Il était mécontent de leur performance de la veille.

Indispensable, donc, la rondelle. Et qui porte plusieurs noms, outre celui-là.

Il y a disque.

Lafleur derrière son filet
Prend bien son temps
Cède le disque à Boucher
(Daniel Boucher, «Boules à mites», chanson, 1999)

Il y a caoutchouc, comme chez Albert Chartier (éd. de 2011, p. 43).

Albert Chartier, Onésime, détail

 

Il y a puck, au masculin.

Quand sur une passe de Butch Bouchard i prenait le puck derrière ses goals
(Pierre Létourneau, «Maurice Richard», chanson, 1971)

Il y a puck, au féminin. (L’Oreille tendue défend cette position.)

«Passe-moé la puck», chanson des Colocs (1993).

Attention : on ne confondra pas puck et poque, même s’il est vrai que la première peut causer la seconde.

L’entraîneur Pat Burns, au lieu de rondelle, disque ou puck, utilisait, dit-on, la noire. C’est joli.

Les non-autochtones emploient souvent palet. Il ne faut pas : comme gouret au lieu de bâton, cela vous chasse à l’extérieur des membres de la communauté hockeyistique.

Dans ma ruelle, les soirs d’hiver, j’entends mes petits voisins jouer au hockey. Le garçon hurle en frappant le palet comme un sourd (Ils sont fous, ces Québécois !, p. 128).

Que fait-on avec l’objet ? On le tire, on le passe, on le droppe (dropper : se débarrasser de la rondelle avant d’entrer dans la zone adverse en la tirant dans le fond de celle-ci).

Ça droppe le puck dans l’fond pis ça joue comme des chaudrons
(Les Cowboys fringants, «Salut mon Ron», chanson, 2002)

Il est mal de manger la puck (conserver la rondelle alors qu’on devrait la passer à un coéquipier).

Serguei, c’t’un gars d’la Russie
Qui passe son temps sur la galerie
Qui mange la puck, qui vire en rond
(Alain-François, «C’est pour quand la coupe Stanley ?», chanson, 2007)

Attention : on ne confondra pas manger la rondelle et manger les bandes.

Quand la rondelle est libre, il faut s’en emparer. Quand on l’a, il faut la protéger.

On ne s’étonnera pas qu’un objet de cette importance ait servi de base à des expressions passées dans la langue commune.

Qui niaise avec la puck manque d’esprit d’initiative, sur la glace comme ailleurs.

Qui a la puck qui roule pour lui est favorisé du sort; qui ne l’a pas s’en plaint.

Quand la puck roulait pour nous autres
(Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», chanson, 2008)

Comme la rondelle semblait rouler à mon avantage, il fallait exploiter la situation sans attendre (Sainte Flanelle, gagnez pour nous !, p. 105).

Depuis hier soir, la saison étant terminée, la puck ne roule plus pour personne, littéralement et dans tous les sens. Les joueurs peuvent raser leur barbe des séries et l’Oreille tendue mettre un terme à son «Dictionnaire des séries». Un livre sera tiré de celui-ci; il sera publié en octobre 2013 par Del Busso éditeur.

 

[Complément du 13 mai 2014]

«Je sais qu’on prétend que les synonymes parfaits n’existent pas. Pourtant, que l’on dise le caoutchouc, le disque ou la rondelle, on désigne le même objet et personne ne peut s’y tromper. De toute façon, les synonymes peuvent enlever un peu de la monotonie que pourrait créer la répétition trop fréquente des mêmes mots. […] Les joueurs se disputent une rondelle, un disque ou un caoutchouc. Malheur à qui s’acharnerait à vouloir le “puck”.»

Michel Normandin, «La langue des sports», Vie française, 12, 1-2, septembre-octobre 1957, p. 34-46, p. 42 et 43.

 

[Complément du 17 juillet 2014]

L’Oreille tendue vient de découvrir une bande dessinée sur le hockey parue à Bruxelles en 1957, «La revanche de Terry». On y parle de puck (p. 29) au masculin. (On y utilise aussi dribbler et stick.)

Jean Graton, «La revanche de Terry», 1957, p. 29

 

 

[Complément du 14 juin 2021]

De la puck à la pomme, il n’y aurait qu’un pas. (Merci à Pierre Cantin.)

«On niaise pas avec la pomme» (publicité, avril 2021)

 

[Complément du 30 décembre 2021]

Domper la puck : synonyme de dropper la puck. Ce n’est pas mieux.

 

[Complément du 14 décembre 2024]

«Mangeux de puck» n’est positif ni à l’aréna ni dans l’arène politique : «François Legault est un “mangeux de puck”, dit Marc Miller» (la Presse+, 13 décembre 2024).

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Graton, Jean, «La revanche de Terry», dans Ça, c’est du sport ! 7 histoires complètes, Bruxelles, Lombard, «Collection du Lombard», 1957, p. 28-31.

Wœssner, Géraldine, Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu, Paris, Éditions du moment, 2010, 295 p.

Dictionnaire des séries 50

Bill Stern, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», World’s Greatest True Sports Stories. Bill Stern’s Sports Book, 1952, case

«Elle adore tous ses champions
D’la rondelle et du bâton
Pour le hockey, elle peut rester trois jours sans manger»
(Léo LeSieur, «Ah ! le hockey», chanson, 1930)

 

Le bâton est un outil essentiel à tous les joueurs pour tirer, passer ou arrêter la rondelle, voire pour frapper les joueurs adverses.

Vous auriez dû voir les fameux coups d’bâton
(Oscar Thiffault, «Le Rocket Richard», chanson, 1955)

Parmi les fabricants de bâtons, Sherwood a longtemps tenu le haut du pavé, du moins dans la langue du hockey.

Love & Bennett Limited ! Tu parles d’un nom pour un bâton de hockey ! Maurice Richard jouait avec un Love & Bennett, pas un Easton ni un Sherwood. Je n’arrive pas à le croire. Et t’as vu ? Droit comme un «i». Comment pouvait-on lancer avec ça ? (le Vol de la coupe Stanley, p. 63).

On entend donc dire, par exemple, jouer du Sherwood. Autre occurrence, avec allusion culturelle à la clé :

La rondelle réussit à se frayer un chemin à travers une forêt de Sherwood (Sainte Flanelle, gagnez pour nous !, p. 78).

Plus généralement, le mot hockey désigne à la fois le sport et le bâton.

Ces merveilleux joueurs
Glissant sur leurs patins
Le hockey à la main
(Les jeunes du Mont Saint-Antoine, «Nos Canadiens», chanson, années 1960)

En France, on dit crosse. (Pas au Québec.) En Suisse, canne.

N.B. : ne jamais dire gouret, sauf si on cherche une rime avec goret, comme Jocelyn Bérubé en 2003 («Rocket», p. 34).

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Bérubé, Jocelyn, «Rocket», dans Portraits en blues de travail, Montréal, Planète rebelle, coll. «Paroles», 2003, p. 25-36. Préface de Jean-Marc Massie. Accompagné d’un cédérom.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

MacGregor, Roy, le Vol de la coupe Stanley, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 2, 2005, 140 p. Traduction de Jean-Pierre Davidts. Édition originale : 1995.

Non, point du tout

Charlotte Aubin, Toute ou pantoute, 2024, couverture

Pantoute est un adverbe de négation prisé au Québec.

Il peut servir à répondre à une question.

«Le volleyball, un sport de camping ? Pantoute ! Regardez la finale masculine opposant les Russes aux Brésiliens. Quel beau spectacle ! #jo2012» (@JeanSylvainDube).

Il est aussi employé pour caractériser un sentiment, une idée, une opinion, etc.

«J’y ai été avec ma mère, à matin, j’ai pas envie pantoute d’y retourner !» (Un ange cornu avec des ailes de tôle, p. 81).

«J’apporte rien pantoute. Juste ma peau» (Martine à la plage, p. 76).

«En descendant d’l’avion
Plus aucun doute
Même si vos mots
J’les pigeais pas pantoute
Gens du pays
J’ai su qu’on s’aimerait» («L’accent d’icitte»).

Remarque orthographique. On voit, mais exceptionnellement, pentoute.

«Parler à un jeune employé qui comprend pas le sens du mot “sous-vêtements” euh “culottes?!” #PasGenantPentoute» (@PimpetteDunoyer).

 

[Complément du 29 décembre 2012]

Aussi exceptionnellement, on voit «pan toute», en deux mots, par exemple dans la bande dessinée Onésime d’Albert Chartier (p. 13, p. 14, p. 85, p. 148, p. 202). Il est vrai que le même Chartier écrit aussi «pantoute» (p. 183, p. 191, p. 205, p. 212, p. 230, p. 239, p. 240, p. 262).

 

[Complément du 22 avril 2017]

Martin Winckler vit à Montréal depuis quelques années. Cela a-t-il des effets sur son vocabulaire ? Sans aucun doute, comme l’atteste le tweet ci-dessous. (Et il y a aussi ceci.)

Tweet de Martin Winckler contenant le mot «pantoute», 2017

 

[Complément du 26 mars 2019]

En 1937, la brochure le Bon Parler français considérait «Pantoute», mis pour «Pas du tout», comme une «locution vicieuse» (p. 13).

 

[Complément du 30 novembre 2021]

Cela n’a pas empêché l’auteur de Meurtre au Forum de l’utiliser deux fois en 1953 :

— Vous avez pensé qu’il était malade ? dit Alain.
— J’ai rien pensé pantoute, dit l’homme (p. 6).

— C’est deux gamblers. Ça joue aux courses et c’est toujours prêts à gager sur n’importe quoi ?
— Ben ça, c’est intéressant, dit Saturnin. Car moi itou, j’suis assez gambler. [Je] déteste pas ça pantoute» (p. 27).

 

Références

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Boulerice, Simon, Martine à la plage. Roman, Montréal, La mèche, coll. «Les doigts ont soif», 2012, 82 p. Avec des dessins de Luc Paradis.

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Gaël, «L’accent d’icitte», Diamant de papier, Productions de l’onde, 2010.

Tremblay, Michel, Un ange cornu avec des ailes de tôle. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1994, 245 p.

Verchères, Paul [pseudonyme d’Alexandre Huot ?], Meurtre au hockey, Montréal, Éditions Police journal, coll. «Les exploits policiers du Domino Noir», 300, [1953], 32 p.

Souligner ou pas ?

L’écrivain Martin Winckler vit maintenant à Montréal. C’est là où il situe l’action de son plus récent roman, un polar, les Invisibles (2011). Pour aller vite : meurtres, finalement résolus, parmi les itinérants autochtones, les éthiciens et les mécènes des uns et des autres.

Winckler a-t-il cédé, comme plusieurs de ses compatriotes, au syndrome Ma cabane au Canada ? Non.

Sur le plan factuel, une seule erreur est à signaler : Stephen Harper est rebaptisé Steven (p. 43).

Sur le plan linguistique, on félicitera le romancier : il a bien tendu l’oreille. Les dialogues en langue populaire sonnent presque toujours juste : «T’es qui, toué ?» (p. 30); «Qu’est-ce t’attends ?» (p. 31); «Gad’ ta marde !» (p. 32); «C’est-tu tout ce que tu peux faire ?» (p. 34); «Tu t’mets-tu à parler comme nous ?» (p. 161); «Comment t’sais ça ?» (p. 209); «Qu’est-ce tu m’veux, tabarnac ? Laisse-moé donc tranquille !» (p. 217); «Ça vas-tu ?» (p. 264); «T’sais-tu [?]» (p. 268 et 270). Les tournures idiomatiques sont bien choisies : «la question à mille piasses» (p. 122); «Jamais dans cent ans !» (p. 269). L’alternance codique anglais / français, si typique de Montréal, est fréquente. Il n’est que de très rares cas où l’on peut chipoter. On ne parle guère de «meublé» (p. 22, 23 et 44) à Montréal. Au lieu de «Crisse ! Remue-toi !» (p. 30), on aurait attendu quelque chose comme «Crisse ! Grouille-toi !» ou, mieux, «Crisse ! Grouille-toé !». Un policier québécois ne dira jamais «Monsieur, posez la batte, s’il vous plaît» (p. 216); le masculin est de rigueur. Qu’on se rassure : on a vu bien pire.

Il y a pourtant un aspect du roman — en l’occurrence de sa mise en pages — qui est moins réussi : certains mots qui seraient propres au français du Québec sont en italiques, d’autres pas, sans qu’il soit toujours possible de comprendre pourquoi. Pour «parce que», il y a «Pasque» (p. 99) et «Pasque» (p. 264). Quand on «s’enivre», on lit «s’paqueter la gueule» (p. 99) et «m’paqueter la gueule» (p. 200). Les compagnes sont des «blondes» (p. 152), puis des «blondes» (p. 154, 241 et 269). Pourquoi «logement» (p. 22, 173 et 213), mais «cans» (p. 20) ?

Le narrateur, un Français fraîchement débarqué à Montréal, se met à parler de «cellulaire» — on peut légitimement penser qu’il aurait dit «portable» à la maison —, on le voit «pitonner» dans un «4 1/2» (p. 226) et on l’entend dire «niaiseuse» (p. 152), tout cela sans italiques. En revanche «poupouner» (p. 99), «pitoune» (p. 152) et «pantoute» (p. 239) en ont.

L’usage des jurons n’est pas plus clair. Page 30 : «Crisse ! Remue-toi !». Page 166 : «toute une tabarnac de crisse d’utopie». Page 210 : «Crisse». Page 213 : «une tabarnac de procédure». Page 217 : «Qu’est-ce tu m’veux, tabarnac ?». Page 260 : «Calisse». Ça fait désordre.

On a déjà rencontré, ici même, un problème identique, dans un autre polar, Peaux, de Diane Vincent (2009).

Morale de cette histoire ? Accueillez les mots du cru comme vous accueillez les autres; ça sera plus simple pour tout le monde.

 

Références

Vincent, Diane, Peaux de chagrins, Montréal, Triptyque, coll. «L’épaulard», 2009, 236 p.

Winckler, Martin, les Invisibles, Paris, Fleuve noir, 2011, 277 p.

A beau essayer qui vient de loin

Géraldine Wœssner, Ils sont fous, ces Québécois !, 2010, couverture

Ce n’est peut-être pas possible : débarquer dans un pays, le décrire dans un livre et être apprécié des autochtones.

La journaliste française Géraldine Wœssner, après tant d’autres, s’y est essayée. En 2010, elle publiait Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu, une série de vignettes sur sa découverte du «pays du caribou» (p. 144).

Il est bien sûr question du «français savoureux parlé au Canada» (p. 261), de la neige, des relations entre les hommes et les femmes et de la poutine (mais pas trop).

Certaines sections ont une unité claire («Accommodons-nous les uns les autres», «Maudits Français»). Pour d’autres («Des tuques et des hommes»), on ne voit pas.

Parmi les thématiques fortes, «Culturez-moi» porte, comme son titre l’indique, sur la culture québécoise — et étonne. L’auteure y chante les louanges de Bobby Bazini («Une star est née» [p. 213]…) et de Lynda Lemay (elle aurait «préparé le terrain» [p. 225] à Benabar et à Vincent Delerm…). Elle évoque le cirque, les festivals, l’humour, le folklore (Fred Pellerin) et la cuisine. La littérature ? Le cinéma ? Le théâtre ? La télévision ? Pas un mot.

Ces absences tiennent probablement moins à une volonté délibérée qu’à la façon de choisir les objets à commenter. À lire Géraldine Wœssner, on a l’impression qu’elle a simplement réagi à ce qui était dans l’air du temps au moment où elle écrivait — elle parle elle-même de «récits bruts» (p. 15) —, sans tenter de décrire l’ensemble de la société québécoise. C’est une façon de faire qui se défend, mais qui a pour conséquence de laisser des questions dans l’ombre.

Ce qui se défend moins, en revanche, ce sont les fréquentes exagérations du livre. L’affaire des compteurs d’eau est «le plus grand scandale qui ait jamais frappé Montréal» (p. 104). Les hommes sont peu présents dans l’enseignement, car ils sont «refroidis par les faibles salaires et la multiplication des accusations de violence ou de harcèlement sexuel» (p. 127). Les Québécois passent des nuits entières dans les salles d’urgence des hôpitaux, «dans une ambiance de camps de réfugiés» (p. 199). «Dans la province, personne n’ose prononcer» le nom de Guy Laliberté «sans baisser la voix» (p. 210). «La complainte des Lebel» de Nelson P. Arsenault est «une chanson célèbre» (p. 239 n. 1).

Ne se défendent pas plus les approximations ou erreurs factuelles. Peut-on, sans rire, affirmer que «Hamburger est banni au profit de hambourgeois» (p. 14) ? En matière politique (p. 21) et législative (p. 22), Géraldine Wœssner, qui se définit comme journaliste politique (p. 278), aurait pu mieux faire ses devoirs. Page 57, il est question de Jean-Joseph Bombardier; p. 286, le même inventeur de la motoneige retrouve son prénom de Joseph-Armand. Les amateurs de hockey le savent : on ne dit pas «Hab’s» (p. 64 et 67), mais «Habs». La Montérégie n’est pas un «district» (p. 251).

Certaines affirmations, enfin, sont à la fois des erreurs factuelles et des exagérations. S’il est vrai que certains Québécois ont des relations conflictuelles avec les anglophones, il est faux d’écrire que «les Québécois détestent les anglophones qui les ont oppressés» (p. 14).

Sur le plan de la langue, on pouvait s’attendre au pire, s’agissant d’un livre dont le premier mot de la quatrième de couverture est «Tabernacle» (voir aussi p. 150-152). Pourtant, les choses sont à peu près correctes, à l’exception d’un «Marde de blanche !» (p. 41), où le de est de trop, et d’une mauvaise date d’adoption pour la Charte de la langue française (p. 287). Wœssner pense qu’au Québec «une langue nouvelle est née» (p. 150), le «québécois» (p. 261). Ce n’est pas vrai, mais elle est loin d’être la seule à le croire. On a vu pire.

La loi de la probabilité littéraire fait que certaines remarques ou réflexions font mouche : sur la longueur de la rue Sherbrooke à Montréal (p. 78), sur le casse-tête de la collecte des ordures sur l’île (p. 99), sur Kahnawake, cet «Iroquois Land» (p. 181), sur le bingo à la radio aux Îles-de-la-Madeleine (p. 235).

L’effort est louable, mais le projet global est probablement voué à l’échec, quoi qu’on fasse.

 

Référence

Wœssner, Géraldine, Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu, Paris, Éditions du moment, 2010, 295 p.