Pas grand-chose, version locale

«Des mesurettes et des pinottes», tweet de Marc Cassivi, 13 septembre 2018

Deux fois, durant la journée d’hier, l’Oreille tendue a rencontré, dans le même sens, l’expression des pinottes : «Ça représente peut-être des pinottes, dans le grand ordre des choses, mais les gouvernements ne pourraient-ils pas prêcher par l’exemple, en cessant de s’approvisionner sur la plateforme d’Amazon ?» (la Presse+, 28 janvier 2025); «La fin des musées gratuits pour économiser des pinottes» (Tourniquet, 28 janvier 2025).

Dans le français populaire du Québec, des pinottes, c’est bien peu, pas grand-chose, presque rien, dérisoire.

Pinottes, comme dans l’anglais peanuts (arachides, cacahuètes).

À votre service.

P.-S.—Nous avons, en effet, déjà croisé le chemin de la pinotte : dans un virelangue; sur la route.

Danger !

Image de glaçons

Il peut arriver, au Québec, qu’il fasse froid (frette); c’est le cas ces jours-ci.

En pareille période, des choses, souvent liées à l’habitation, peuvent péter au frette, des clous, par exemple. Elles explosent.

Les emplois figurés de l’expression ne manquent pas. Deux exemples :

«Je lis donc beaucoup plus : des essais, des romans qui éclairent les enjeux actuels avec le recul nécessaire pour ne pas péter au frette» (la Presse+, 3 octobre 2023).

«Les notes de bas de page [dans Dis-moi Céline]devraient également provoquer des roulements d’yeux au Québec, plus précisément celles qui viennent expliquer chaque expression locale. Ainsi, on souligne que “beurrer épais” signifie “exagérer, en faire trop”, que “travailler fort en titi” veut dire “beaucoup, en grande quantité”, que “péter au frette” signifie “mourir, tomber d’épuisement”, qu’“avoir les yeux dans graisse de bines” veut dire “se lever fatigué”, et qu’une “toune” est synonyme de “chanson”» (la Presse+, 5 octobre 2023).

Pierre DesRuisseaux multiplie les synonymes : «Mourir subitement, crever de froid, abandonner, avoir perdu la raison, être éliminé» (p. 238).

Le Dictionnaire des francophones va dans le même sens que lui : «Se briser, cesser de fonctionner à cause du froid»; «Mourir, faire une crise cardiaque ou une crise de nerfs ou tomber d’épuisement à cause d’émotions fortes ou de surmenage»; «Projet, entreprise, objet qui cesse de fonctionner en raison d’une pression ou d’une tension trop grande.»

À votre (frigorifique) service.

 

Référence

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Quand la construction va…

Grue chinoise, Saint-Roch-de-l’Achigan, Québec, juillet 2016

«Personne physique ou morale qui donne un travail à un travailleur indépendant» : voilà la définition que donne le Grand dictionnaire terminologique du donneur d’ouvrage. Le GDT associe l’expression au monde de la traduction.

Sous donneur d’ordre(s), Usito propose ceci : «personne ou organisation qui commande l’exécution d’un travail en sous-traitance suivant un cahier des charges». On est dans le même univers de la délégation.

Au Québec, on voit fréquemment l’expression donneur d’ouvrage dans le domaine de la construction. On peut entendre alors doublement le mot ouvrage : l’ouvrage est ce que l’on construit; le mot désigne aussi le travail («Je me suis trouvé de l’ouvrage»), encore que cet emploi soit peut-être en déclin.

Jusqu’à la lecture de la Presse+ du 13 janvier, l’Oreille tendue ignorait que les motard criminels (pas criminalisés) pratiquaient la chose : «Ces gangs, qui rendaient autrefois des services aux Hells Angels, se sont affranchis, sont devenus des organisations criminelles autonomes et structurées, ont des contacts ailleurs au Canada ou à l’étranger, et défient maintenant, dans la violence, leurs anciens donneurs d’ouvrage motards.»

On n’arrête pas le progrès.

P.-S.—Oui, en effet, les Hells deux fois en une semaine, c’est inattendu.

Tête (pas très) bien faite

André Major, le Cabochon, éd. de 1989, couverture

Soit ce titre, dans la Presse+ du 14 décembre 2024 : «Travailler en cabochon.»

Qu’est-ce que ce cabochon dans le français du Québec ?

Le mot renvoie à la tête (caboche) dans des cas où on en fait trop peu usage : qui ne se sert pas de sa tête, le cabochon, se tient fermement sur l’échelle de la bêtise.

Allons voir Usito : «Personne qui manque d’intelligence, de jugement.» L’exemple littéraire retenu par ce dictionnaire numérique provient d’un roman de 1964, signé par André Major : «Il n’avait pas le courage d’avouer […] qu’il était trop paresseux pour travailler ses maths, qu’il voulait son indépendance, qu’il était un cabochon qui voulait n’en faire qu’à sa tête.»

Sous «Faire du travail de cabochon», Pierre DesRuisseaux propose la définition suivante : «Mal faire un travail, faire un travail bâclé» (p. 62).

Dans la mesure du possible, évitez d’être un cabochon.

 

Références

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Major, André, le Cabochon. Roman, Montréal, L’Hexagone, coll. «Typo», 30, 1989, 191 p. Édition originale : 1964.