De la suite dans les idées (encyclopédiques)

Les 28 volumes de l’Encyclopédie

Dans son édition des 29-30 mai 2010, le quotidien montréalais le Devoir titrait : «Médias. Wikipédia, l’encyclopédie Diderot et d’Alembert du XXIe siècle ?»

Dans l’édition d’hier, presque quinze ans plus tard : «Contribuer à Wikipédia, ce Diderot 2.0.»

Cette association de Wikipédia et de l’Encyclopédie, qu’ont dirigée au XVIIIe siècle Diderot et D’Alembert, a déjà intéressé l’Oreille tendue. Ça se lit ici.

P.-S.—En effet : c’est le même journaliste qui signe les deux textes.

P.-P.-S.—«Contribuer à Wikipédia, ce Diderot 2.0.» est le titre en ligne. Dans la version papier du journal, c’est «Wikipédia, la force du nombre».

P.-P.-P.-S.—Cet article porte sur un ouvrage récent, dirigé par Jean-Michel Lapointe et Marie D. Martel, le Mouvement Wikimédia au Canada (Presses de l’Université de Montréal, 2025).

Curiosités voltairiennes (et numériques)

Marcello Vitali-Rosati, Éloge du bug, 2024, couverture

«“Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin” : c’est la réplique finale du roman de Voltaire et celle-ci s’adapte bien à notre raisonnement en proposant un pont entre un jardin ancien, celui d’Épicure, et des jardins modernes. Il faut cultiver notre jardin. Cultiver un jardin n’est pas toujours facile, ni satisfaisant, ni productif. Le jardin est un refuge nous permettant de nous retrouver dans un lieu qui n’est pas structuré par les grands pouvoirs étatiques et économiques de notre époque. C’est un lieu plus petit, ouvert, en plein air, mais protégé. Le jardin n’est pas un lieu d’exploitation extensive, on ne le cultive pas comme on cultive les grandes étendues. Le jardin est un lieu et non un espace. Mais il y a aussi un autre élément crucial — présent dans la réplique de Candide également : le jardin peut — et doit — être partagé. C’est notre jardin et pas mon jardin. Le jardin et sa culture nous renvoient finalement à la nécessité de faire nous-mêmes des choses que nous ne voulons pas déléguer aux grandes entreprises numériques et de les faire ensemble. “Perdre” donc du temps en se consacrant à des occupations matérielles qui sont autant méprisées par la rhétorique de l’immatérialité mais qui seules peuvent nous redonner notre autonomie perdue.»

Marcello Vitali-Rosati, Éloge du bug. Être libre à l’époque du numérique, Paris, Éditions Zones, 2024, 208 p. PapierHTMLPDF

Voltaire est toujours bien vivant.

 

P.-S.—Les derniers mots de Candide sont «Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.»

P.-P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 1er octobre 2024.

La clinique des phrases (122)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

La vie est faite de mystères. Parmi ces mystères, il y a des mystères linguistiques. Parmi ces mystères linguistiques, il y a, du moins au Québec, la popularité de l’expression «les xxxxx de ce monde», notamment s’agissant d’entreprises numériques (exemple ici).

Il n’y a pas que le numérique dans la vie.

Soit la phrase suivante, tirée des pages sportives d’un quotidien montréalais :

Il revient donc à Courtois et à ses adjoints de trouver le moyen pour que la mayonnaise prenne entre ces petits nouveaux et les éléments qui étaient présents l’an dernier, comme les Caden Clark ou les Bryce Duke de ce monde.

Simplifions :

Il revient donc à Courtois et à ses adjoints de trouver le moyen pour que la mayonnaise prenne entre ces petits nouveaux et les éléments qui étaient présents l’an dernier, comme Caden Clark ou Bryce Duke.

À votre service.

Les rustines des Hells

Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué, éd. de 2021, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du premier roman de Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué : «Toutes les bâtisses de Chicoutimi sont construites sur une faille patchée par du béton et de l’asphalte» (p. 191).

Cela peut être appliqué à la pompe sanguine : «mon cœur / Y est patché plein de trous», chantait Gerry Boulet, du groupe Offenbach, dans «Faut que j’me pousse» (1969).

Patché(e) ? Rapiécé(e), dans le français populaire du Québec. Le mot y est féminin : une patch.

Ce n’est pas tout. Le patch, en informatique, c’est la rustine. En médecine, un médicament. Le mot est alors masculin, du moins en français de référence. Pas au Québec, où on a surtout recours au féminin. (Oui, c’est une divergence transatlantique.)

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Qui, dans la hiérarchie des motards criminels, qu’on dit parfois parfois et bizarrement criminalisés, grimpe les échelons gagne ses patchs. Le mot est dangereux.

À votre service.

 

Référence

Lambert, Kevin, Tu aimeras ce que tu as tué. Roman, Montréal, Héliotrope, «série P», 2021, 209 p. Édition originale : 2017.

La langue de la shoppe

Résultat de recherche pour le mot «washeur» sur le site de Rona

Depuis quelques semaines, l’entreprise Rona diffuse une publicité bricololinguistique :

Au Québec on parle la réno
Mais quand on magasine en ligne
C’est comme parler à un mur
Rona présente
La langue de la réno
Rona a donné un cours de langue à son site
Pis maintenant on se comprend
Et si y’en manque on va les ajouter

On y entend des clients formuler des recherches à haute voix, recherches qui ne mènent à rien d’utile dans les moteurs de recherche. En effet, les mots washeur, gun à cauking ou long nose (les pinces, bien sûr) ne sont guère utiles pour qui travaille en français (oui, ces personnes travaillent en français, même si elles utilisent des anglicismes).

Rona a donc programmé son site Web pour aider ses utilisateurs qui ne connaissent pas le nom d’un produit en français. On voit même défiler du code HTML à l’écran !

Et ça marche : washeur mène à plusieurs types de rondelle, gun à cauking à pistolet à calfeutrer et long nose à pince à bec long. On tient même compte de la prononciation québécoise et de l’orthographe qu’on lui associe (washer => washeur).

On pourra reprocher à Rona de favoriser l’anglicisation du Québec ou, au contraire, de permettre à ses utilisateurs de trouver des mots français qu’ils ignorent.

Il s’agit d’un cas classique de bucket à moitié vide ou à moitié plein.

P.-S.—Vous avez raison : ce n’est pas la première fois que l’Oreille tendue parle de rénovation.