Victor R. a cinquante-quatre ans, il est presque sourd, il vit avec sa vieille mère, il aime les trains (miniatures ou pas). Il sera bientôt à la retraite. Son gagne-pain ? «Je travaille de nuit comme correcteur de presse dans un grand journal régional.» Sa responsabilité ? Les carnets : naissances, morts, anniversaires, communions, mariages, etc.
Victor n’a pas toujours été correcteur. En fait, il l’est devenu involontairement, à la suite d’une mutation technologique. Le travail pour lequel il avait été formé — linotypiste — n’existe plus et il doit se requalifier. Du plomb dans le cassetin se présente d’abord comme le récit, par petites touches, de la vie de Victor : sa jeunesse, sa formation, ses relations (surtout mauvaises) avec ses compagnons de travail, sa passion des locomotives. L’amour du métier est palpable : «Moi, ce qui m’énerve le plus maintenant avec la photocomposition, c’est les espaces»; «je regrette […] ces belles machines bruyantes et compliquées». Crayon à la main, dans un grand cahier, il raconte, même si ce n’est pas son truc : «Je suis pas écrivain moi, je suis typographe.» Par la suite, cela dérape; quelqu’un pète les plombs. (L’Oreille tendue n’en dira pas plus; il faut y aller voir.)
Tout au long des pages de son roman, Jean Bernard-Maugiron fait entendre l’argot des typographes, depuis le «cassetin» du titre («ce mot désigne le bureau des correcteurs, et plus généralement un service de correction dans la presse ou l’édition») jusqu’aux effets de l’ivresse («on avait tous les jambes en italique»). Ce n’est pas la seule raison de le lire.
P.-S. — Correcteur, tu le sais : cette entrée est la 400e de ce blogue, pas la 400ième.
Référence
Bernard-Maugiron, Jean, Du plomb dans le cassetin. Roman, Paris, Buchet/Chastel, 2010, 106 p.