Bill Gates et mes enfants

Quiconque connaît intimement l’Oreille tendue le sait : elle vit d’amour et de pomme fraîche. Elle ne va cependant pas jusqu’à parler, comme le font par exemple Marin Dacos et Pierre Mounier dans l’Édition électronique (p. 56), de «l’ogre de Redmond» pour désigner Microsoft. Elle ne craint pas que Bill Gates croque ses enfants. Elle espère ne pas avoir tort.

P.-S. — Le livre est excellent. On peut malgré tout lui reprocher d’utiliser, à trois reprises, l’expression «charte qualité» (p. 110 et 112). Une préposition, est-ce si coûteux ?

 

Référence

Dacos, Marin et Pierre Mounier, l’Édition électronique, Paris, La Découverte, coll. «Repères», 549, 2010, 126 p.

Avec ambages

L’Oreille tendue a eu l’occasion de signaler ici l’existence de quelques périphrases québécoises (PQ). En voici une nouvelle.

Le Devoir des 23-24 octobre 2010 désigne en effet Gilles Marcotte, un ami de l’Oreille tendue, comme le «patriarche de Côte-des-Neiges» (p. F6). Ça ne le rajeunira pas.

Un rendez-vous svp

L’Oreille tendue apprend que le Canada a un «agenda», ce «Carnet sur lequel on inscrit jour par jour ce qu’on doit faire, ses rendez-vous, ses dépenses, etc.» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Publicité pour une conférence de Peter Van Loan

Elle imagine qu’il doit être volumineux.

Langue seconde ?

L’Oreille tendue a un faible pour la Thaïlande. Il lui arrive même, à distance, de consulter l’édition électronique du Bangkok Post. Voilà comment elle est tombée récemment sur un article intitulé «Plan to Make English 2nd Language Vetoed» (19 octobre 2010).

On y apprend que le ministère thaïlandais de l’Éducation vient de refuser de faire de l’anglais la seconde langue officielle du pays; il sera plutôt considéré comme la principale des langues étrangères.

Pourquoi cette subtile distinction ? Parce que les Thaïlandais, dont le nationalisme est viscéral, sont fiers de dire qu’ils n’ont été colonisés par personne, ni les Français, ni les Hollandais, ni les Britanniques. Or faire de l’anglais la langue seconde du royaume pourrait donner l’impression qu’il a déjà été une colonie anglaise. Cela est hors de question.

Thaï : homme libre.

Aveu matinal, avec paronomase (détails)

Marie-Pascale Huglo, la Respiration du monde, 2010, couverture

L’Oreille tendue n’a pas toujours été l’élève qu’elle aurait dû être. De tel cours de littérature suivi au cégep, elle ne garde presque aucun souvenir (intellectuel), sauf celui de l’insistance du professeur à mettre en lumière une paronomase de Jacques Ferron : folie / fiole. (Ça se trouve dans «Retour à Val D’Or».)

Ce souvenir refait surface à la lecture du plus récent roman de Marie-Pascale Huglo, la Respiration du monde : «Rosie, elle, saurait devenir sorcière. Elle saurait mettre de l’ordre dans la remise et de la folie dans les fioles, corser l’eau-de-vie, rechercher les plantes rares, seulement voudrait-elle cueillir et planter au rythme des saisons, laisser s’épanouir les ferments, épouser le cycle des métamorphoses ?» (p. 85)

Même trente-cinq ans plus tard, devenue professeure à son tour, une élève peut faire revivre quelque chose d’un cours suivi distraitement.

P.-S. — Passant du roman de Marie-Pascale Huglo au «e-carnet» de Catherine Mavrikakis, l’Éternité en accéléré, l’Oreille tombe sur ceci :

C’est pourquoi, dans mes cours, j’ai des sentiments ambigus, qui vont du courroux à la bienveillance amusée, lorsque les étudiants se lèvent, sortent, arrivent en retard, partent plus tôt. Je ne me permettrais jamais de faire cela, parce que l’on m’a appris la politesse, mais je ne soupçonne pas ceux et celles qui ne tiennent pas en place ou qui regardent leurs courriels en faisant semblant de prendre des notes de ne pas m’écouter. Je préfère penser que, pour certains, la compréhension demande une «écoute flottante», une écoute qui n’est pas fidèle, qui se disperse pour mieux revenir à son objet toujours fuyant, impossible (p. 42-43).

Cela va dans le même sens que ce que l’Oreille raconte, ou du moins elle veut le croire, et la rassure.

 

[Complément du 10 août 2018]

Et de trois : «la solitude est l’aliment / de mes nuits / de mes songes / de mes livres / de mes pensées / de mes folies en fioles / de dulcine chimique signifié millésime» (Yvon d’Anjou, Quelques arpents de ruines, p. 33).

 

Références

Anjou, Yvon d’, Quelques arpents de ruines. Poésie, Montréal, Les Éditions de l’Étoile de mer, 2016, 136 p. Préface de Lucien Francœur.

Ferron, Jacques, «Retour à Val D’Or», dans Contes du pays incertain, Montréal, Éditions d’Orphée, 1962. Repris dans Contes. Édition intégrale. Contes anglais. Contes du pays incertain. Contes inédits, Montréal, HMH, coll. «L’arbre», 1976 (1968), p. 11-12.

Huglo, Marie-Pascale, la Respiration du monde. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 165 p.

Mavrikakis, Catherine, l’Éternité en accéléré. E-carnet, Montréal, Héliotrope, «Série K», 2010, 278 p.