La vérité en marche

Elle a le dos large, la vérité.

Qui veut faire semblant de se distinguer à peu de frais n’a qu’à invoquer les vraies affaires ou les vraies choses, celles du vrai monde — la vraie vie, bref.

«Parlons des vraies choses, M. Bolduc» (la Presse, 30 septembre 2010, p. A10).

«L’ADQ est le seul parti à s’occuper des affaires du vrai monde, selon Mario Dumont» (le Devoir, 28 février 2007, p. A2).

«Déjà à ce moment, raconte-t-il, j’étais allergique à la psychologie moumoune et bourgeoise, genre ma femme ne m’aime pas, mon père m’a fucké, je suis angoissé, etc. C’est pour cela que je me suis éventuellement tourné vers les nouveau-nés en difficulté ou handicapés : vers le vrai monde qui vivait de vrais drames» (la Presse, 21 décembre 2003).

«Simon Durivage : comment aller chercher le “vrai fond” des gens» (la Presse, 8 septembre 2000).

On ne peut que s’étonner devant pareilles affirmations répétées de vérité. C’est sans doute de cet étonnement qu’est née l’interrogation «Tuvrai ?». Jean Dion, dans le Devoir du 3 avril 2005 (p. B2), semble s’être avisé le premier de la popularité de cette question bien ramassée. (Il faut l’en féliciter et l’en remercier.)

Récemment, l’immobilier s’y est mis à son tour. Angle De Courcelle et Saint-Jacques, dans le sud-ouest de Montréal, vous pouvez réserver votre futur home douillet dans l’immeuble La Tannerie. On y trouve des «condos véritables».

«La tannerie. Condos véritables», publicité

 

L’hypothèse que l’Oreille tendue proposait ici il y a quelques jours trouverait une belle démonstration avec les vraies affaires, les vraies choses, le vrai monde, la vraie vie. Qui ose parler, aujourd’hui, des fausses affaires, des fausses choses, du faux monde, de la fausse vie ? Tuvrai qu’il y a de faux condos ?

Une solution gagnant-perdant

Dans les «Manchettes» de l’application Cyberpresse pour iPhone le 12 octobre :

Cyberpresse, 12 octobre 2010

 

 

Ils ont survécu (en l’occurrence, au cancer); cela devrait être bien. Ils sont un fléau (pour leur siècle); ça l’est moins. Les pauvres.

Sic

L’Oreille tendue a déjà été jeune. Elle était alors soucieuse, peut-être exagérément, de philologie. Il lui est donc arrivé plus d’une fois d’avoir recours à des sic (presque) rageurs en recopiant des textes.

Sic ?

C’est, entre autres usages, la convention par laquelle on indique que, dans un texte cité ou recopié, il y a une faute, mais que cette faute n’est pas la responsabilité de celui qui transcrit, mais de l’auteur de la citation ou du texte original. Exemples : «Céline a alors dit qu’elle quittait [sic]»; «René a fait une couille [sic] en retranscrivant le texte.»

(Il ne t’aura pas échappé, Lecteur, que le mot est toujours en italique, dans un texte en romain, et entre crochets.)

L’Oreille s’est assagie depuis sa jeunesse et elle est désormais beaucoup plus parcimonieuse en matière de sic. (Elle n’est cependant pas complètement guérie de ce travers.)

Ce n’est pas le cas au Devoir, du moins pas dans l’édition du 16 septembre. Un article y est consacré au supposé complot fédéraliste au sein de l’équipe de hockey des Canadiens de Montréal : c’est par choix idéologique que cette équipe ne prendrait pas (plus) la peine d’engager des joueurs francophones.

Pauline Marois, la chef du Parti québécois, s’est prononcée là-dessus : «“L’équipe a pris une certaine tendance et j’aimerais qu’elle se redresse un peu. D’ailleurs, il y a beaucoup de chroniqueurs et d’analystes du monde du sport qui partagent le même point de vue que moi [sic]”, a-t-elle dit.»

Pourquoi ce sic ? Ce n’est de toute évidence pas pour des raisons grammaticales : la phrase est correctement écrite. Faut-il comprendre que Pauline Marois, les chroniqueurs et les analyses sont d’accord, mais qu’ils se tromperaient tous ? Ou qu’ils ne diraient pas tous la même chose ? S’agirait-il plutôt de souligner un vice de perspective ? Dans cette optique, si l’Oreille comprend bien, on reprocherait à Pauline Marois de dire que son point de vue a été endossé par les chroniqueurs et les analyses, alors que, dans les faits, c’est elle qui se serait ralliée au leur.

Voilà beaucoup d’interrogations pour trois lettres, et une conception du sic comme forme ramassée du commentaire, voire de l’éditorial.

P.-S. — En revanche, utilisation justifiée dans une «Libre opinion» du Devoir du 30 septembre, p. A8, sous le titre «Parlons cuisine». L’«animatrice» Anne-Marie Withenshaw déplore qu’un article du journal ait écorché son patronyme. Elle cite l’article : «Faut-il comprendre que Mme Whitenshaw [sic] s’est fait payer une cuisinière, voire une cuisine, par GE, dont elle devient en quelque sorte la porte-parole ?»

 

[Complément du 15 avril 2014]

Un collègue de l’Oreille a longtemps utilisé le mot sic entre crochets mais sans l’italique. Il lui écrit : «Si je vous ai bien compris, vous citeriez, à la rigueur, mes nombreux [sic] comme suit : [sic] [sic].» Zactement.

 

[Complément du 29 janvier 2018]

Que dit Umberto Eco de cela dans son Comment écrire sa thèse (Paris, Flammarion, 2016 [1977], 338 p. Ill. «Postface du traducteur», Laurent Cantagrel) ?

«Si l’auteur que vous citez, tout en étant fort intéressant, commet une erreur évidente, de style ou d’information, il vous faut respecter son erreur mais la signaler au lecteur entre crochets, de cette manière : [sic]. Vous direz donc que Savoy affirme qu’“en 1820 [sic], après la mort de Bonaparte, l’Europe était dans une situation assez sombre, avec quelques lumières”. Cela dit, si j’étais vous, ce Savoy, je le laisserais tomber» (p. 253-254).

Tout et son contraire

Hypothèse : pour faire ressortir ce que les locutions figées ont, justement, de figé, rien de tel que d’imaginer leur antonyme.

Exemples

Tout le monde se réclame du développement durable. Que serait un développement momentané ?

Dans le Devoir du 7 octobre, Jean Dion parle de la (potentielle) «grippe d’homme» du gardien des Canadiens de Montréal, Carey Price (p. B6) ? Connaît-on la grippe de femme ?

Sur Twitter, une lectrice assidue de l’Oreille tendue, @PimpetteDunoyer, se demande, à la suite d’autres twitteurs, pourquoi un réseau est toujours vaste dans les faits divers. Imagine-t-on un réseau de trafiquants de drogue exigu ?

Que serait l’antonyme d’aidant naturel ? Aidant culturel ? Aidant contre nature ?

Vous avez trouvé la solution gagnant-gagnant ? Ça vous fait une belle jambe : il n’y a pas de solution perdant-perdant.

Tout le monde est pour l’inclusion. Personne n’est pour l’exclusion.

Comme toute hypothèse, celle-là devra être soumise à des expériences plus soutenues. L’Oreille tendue vous invite à y participer.

 

[Complément du 18 juin 2016]

Dans la Presse+ du jour, l’Oreille tendue découvre «gagnant-gagnant-gagnant», mais pas perdant-perdant-perdant.