Tu vis une époque formidable

Les journaux gratuits distribués dans le métro de Montréal ont causé un problème écologique dès le début de leur distribution : que faire de ce papier quotidiennement abandonné sur place ? Il fallait, et il faut toujours, assurer son recyclage. On a donc installé des bacs à cette fin.

Il restait cependant, et il reste toujours, à inciter les voyageurs à s’en servir. D’où l’injonction suivante :

Recyclage dans le métro de Montréal

Ce «Bac moi !» mérite une seconde d’attention.

S’il est vrai que les bacs accueillent toute sorte de choses — des canettes, par exemple, sur cette photo —, c’est bien au journal qu’ils tendent leur bouche gourmande : le point d’exclamation final est fait d’un numéro du journal et, sous l’injonction, on trouve le slogan «Métro. Le plus branché sur le monde.»

En bonne grammaire, un trait d’union entre «Bac» et «moi» aurait été bienvenu, mais voilà surtout un journal qui se met en scène («moi») et qui tutoie ses lecteurs. Cela s’explique en partie parce que nous sommes au Québec, où le tutoiement connaît peu de limites. Cela s’explique peut-être aussi par des raisons orthographiques. Que «Bac» soit considéré comme un verbe, sur ce plan-là, est déjà fort étonnant. Imaginons cependant que les concepteurs de ce message aient voulu utiliser la deuxième personne du pluriel, qu’auraient-ils écrit, attendu que «Bacez moi» n’aurait pas été compréhensible ? «Bacquez moi !» ? «Backez moi !»

Les métropolitains ont au moins échappé à cela.

Übercapitale ?

L’Oreille tendue l’a dit à plusieurs reprises depuis le 24 juillet 2009, en multipliant les exemples : le Québec aime tellement les capitales qu’il en compte plusieurs.

Il y a pourtant plus grand et plus fort que la capitale : il y a la métropole.

Simon Brault, le président de Culture Montréal, s’inquiétait cette semaine du fait que «Montréal métropole culturelle» reste encore à construire. Il a écrit là-dessus une lettre ouverte publiée dans le Devoir (15 septembre 2010, p. A11) et sur Cyberpresse, en plus de donner une entrevue à Nathaëlle Morissette (la Presse, 15 septembre 2010, cahier Arts et spectacles, p. 6).

Pour lui, la capitale des capitales — la métropole — est à faire.

Si on y arrive, les capitales perdront nécessairement de leur lustre, repoussées dans l’ombre par plus grand qu’elles. Si on n’y arrive pas, elles seront toujours là pour nous consoler de notre absence de grandeur. N’est-ce pas à cela qu’elles servent, d’abord et avant tout ?

Vigne urbaine ?

Titre sibyllin dans la Presse d’hier, dans des pages consacrées à l’aéronautique : «La grappe montréalaise se mobilise» (cahier Affaires, p. 11).

Qu’est-ce que cette «grappe montréalaise» ? Il ne paraît pas s’agir de celle du Petit Robert, «Assemblage de fleurs ou de fruits portés par des pédoncules étagés sur un axe commun» — la vigne pousse peu sur les flancs du mont Royal — ou «Assemblage serré de petits objets (grains, etc.), ou de personnes» — un «assemblage serré» de «petits objets» ne peut pas «se mobiliser». (De la même façon, il ne pourrait pas se vouloir.)

S’agirait-il alors de cet «Assemblage serré […] de personnes» évoqué par le Petit Robert ? Pas tout à fait.

Cette «grappe» a une dimension proprement québécoise. Dans le cas qui nous intéresse, il est question d’AéroMontréal, «la grappe aérospatiale du Montréal métropolitain». Celle-ci «regroupe les avionneurs et grands donneurs d’ordre, leurs sous-traitants, les institutions de formation et de recherche, les milieux syndical et associatif ainsi que les partenaires gouvernementaux».

On ne manquera de sentir ici l’influence de Gérald Tremblay, l’actuel maire de Montréal. Du temps qu’il était ministre de l’Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie du gouvernement du Québec (1989-1994), «c’est lui qui a conçu et mis de l’avant la stratégie de développement économique du Québec basée sur le concept des grappes industrielles» (Portail officiel de la ville de Montréal).

En revanche, on ne confondra pas cette grappe avec celle chantée par Renaud dans «Dès que le vent soufflera» : «Je f’rai le tour du monde / Pour voir à chaque étape / Si tous les gars du monde / Veulent bien m’lâcher la grappe» (morgane de toi…, 1982).

La chasse (assistée) est ouverte

Il y a presque un an, le 22 septembre 2009, l’Oreille tendue se posait la question suivante : «Mais comment reconnaître un cliché ?» Réponse d’alors : «En consultant le Dictionnaire des clichés littéraires d’Hervé Laroche.»

Réponse d’aujourd’hui, qui n’annule pas la première : en utilisant le logiciel Lâche ton poncif, gracieuseté du site OWNI, «Une idée R89 [Rue 89] et @alertecliche». Rien de plus simple : vous tapez l’URL d’un média et le logiciel vous crache les résultats chiffrés de sa chasse aux clichés.

(Les lecteurs de ce blogue sont invités à insérer dans le logiciel l’adresse oreilletendue.com. Ils seront rassurés.)

Dans la langue de Bill Gates, le site Unsuck-It, lui, offre un double service.

Soit vous y inscrivez une expression venue du jargon des affaires («terrible business jargon») et le logiciel vous la traduit en langage courant, en plus de vous offrir un exemple de phrase utilisant cette expression. Exemple : dans «Because of market attrition and revenue shortfalls, your department will be downsized», downsized signifie «Layoffs or firings». Bref, vous êtes congédié.

Soit le logiciel vous propose sa propre expression à contextualiser et à traduire, nouvelle à chaque fois que vous accédez au site.

Utile — dans les trois cas.

Pendant que nous y sommes, un brin d’Henri Calet, celui d’Acteur et témoin : «Ce dégoût des lieux communs… Un lieu commun ne l’a pas toujours été. À l’origine du langage, il n’existait pas de lieux communs, mais rien que des mots à l’état naturel, de grandes troupes de mots sauvages. Aujourd’hui, chacun doit tous les jours réinventer un langage qui n’aurait servi à personne» (p. 238).

 

Référence

Calet, Henri, Acteur et témoin, Paris, Mercure de France, 1959, 253 p.