Une tête bien faite

L’université de l’Oreille tendue souhaite la former. Soit. Celle-ci a donc assisté récemment à une «formation pour cadre académique». (Elle laisse ses lecteurs rêver au PowerPoint qu’on nous a asséné.)

Elle y a découvert des choses; elle n’en disconvient pas. Cela dit, on lui a appris que nous avions l’obligation d’«instrumenter nos processus» et «nos décisions». Si elle a bien compris, elle devrait être elle-même «instrumentée». Elle n’a pas osé demander ce que cela voulait dire; froussarde qu’elle est, elle avait peur de la réponse.

Une tabarnac de maestria

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de causer jurons, notamment ici, et d’avouer sa longue relation affectueuse avec le mot tabarnac. Elle ne peut donc que s’incliner devant la maestria dont fait preuve Julien Poulin, l’interprète du personne d’Elvis Gratton, quand il se plie aux demandes du réalisateur Pierre Falardeau.

Cela, en effet, mérite applaudissements.

 

[Complément du 27 janvier 2019]

En version hexagonale, avec putain, cela donnerait ceci :

Clémentine Latron, blogue Dessine-moi un expat, Courrier international, 12 octobre 2018Source : Clémentine Latron, blogue Dessine-moi un expat, Courrier international, 12 octobre 2018

Citation typographique du jour

Jean Bernard-Maugiron, Du plomb dans le cassetin, 2010, couverture

«Les fonctions du correcteur sont très complexes. Reproduire fidèlement le manuscrit de l’écrivain, souvent défiguré dans le premier travail de la composition typographique; ramener à l’orthographe de l’Académie la manière d’écrire particulière à chaque auteur; donner de la clarté au discours par l’emploi d’une ponctuation sobre et logique; rectifier des faits erronés, des dates inexactes, des citations fautives; veiller à l’observation scrupuleuse des règles de l’art; se livrer pendant de longues heures à la double opération de la lecture par l’esprit et de la lecture par le regard, sur les sujets les plus divers, et toujours sur un texte nouveau où chaque mot peut cacher un piège, parce que l’auteur, emporté par sa pensée, a lu, non pas ce qui est imprimé, mais ce qui aurait dû l’être : telles sont les principales attributions d’une profession que les écrivains de tout temps ont regardée comme la plus importante de l’art typographique.»

Lettre adressée à l’Académie française par la Société des correcteurs des imprimeries de Paris, juillet 1868, citée dans Jean Bernard-Maugiron, Du plomb dans le cassetin. Roman, Paris, Buchet/Chastel, 2010, 106 p., p. 44-45.

La langue du baseball à travers les âges (genre)

Note. Ce jeudi 4 novembre est un journée sportivement chargée pour l’Oreille tendue : entrevue dans la Presse (cahier Au jeu, p. 5), lancement sur Cyberpresse d’un jukebox numérique auquel elle a collaboré, réflexion ci-dessous sur l’évolution de la langue du sport. [18 novembre 2010 : depuis la mise en ligne du billet qui suit, le jukebox numérique a été retiré du site de Cyberpresse.]

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Un lecteur non averti pourra être étonné à la lecture de la phrase suivante, tirée des Caprices du sport. Roman fragmenté, que vient de faire paraître Renald Bérubé : «merci, Sandy Amoros, ex-Royal de Montréal, voltigeur de gauche d’origine cubaine appelé en fin de match à jouer à la vache par mesure défensive» (p. 138). Jouer à la vache ? L’amateur de baseball québécois comprendra instantanément : jouer sur l’herbe du champ extérieur, là où on pourrait sans mal imaginer des vaches en train de brouter.

C’est que chaque sport a son vocabulaire, et celui-ci évolue. Voici deux exemples, s’agissant du baseball, le plus beau des sports.

Dans ses 2000 mots bilingues par l’image, l’abbé Étienne Blanchard, entre autres sujets, offre un glossaire du baseball, la «balle au camp». (Il y a aussi un glossaire du «hoquet», le hockey. Ils sont joliment désuets l’un comme l’autre.)

Abbé Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l'image, 1920, p. 59

Sur le baseball, on apprend plein de choses par l’image (p. 58-59). Même s’il ressemble phonétiquement à umpire, il faut délaisser le mot empailleur pour arbitre (fig. 3). En bon apôtre de «la soudure des mots composés» (p. 3), Blanchard propose champdroit, champgauche et centrechamp, alors qu’on dirait aujourd’hui champ droit, champ gauche et champ centre (fig. 8). Notre receveur est le gobeur de l’abbé — «C’est le terme usité en France dans le jeu de thèque»; son corselet ou sa poitrinière, notre plastron (fig. 2 et 9).

Les trois pages de la section «Termes de la balle au camp (Baseball)» (p. 106-108) regorgent, elles aussi, de trouvailles (oubliées). Une balle mouillée (spit ball) est un crachat. Les physiciens risquent d’être troublés par certaine courbe de la courbe (curve); s’agit-il d’une balle droite ? Le lapin de 1920 (grounder) est plus joli que le roulant d’aujourd’hui. Pourtant, le baseball de l’époque paraît plus violent que le nôtre : on peut être tué sur but (out on base) ou fusillé (strike out).

Le même Étienne Blanchard consacrera une page de sa Stylistique canadienne à des «Termes divers» de sport, surtout de baseball, lapin inclus (p. 96). Passons.

Venons-en au Vocabulaire français-anglais des jeux de hockey[,] de tennis et de balle aux buts (base-ball) publié à Québec en 1937 «avec la bienveillante autorisation de la Société du parler français».

Vocabulaire français-anglais des jeux de hockey[,] de tennis et de balle aux buts (base-ball), 1937, couverture

La Société, comme l’abbé Blanchard avant elle, n’aime pas le mot baseball. Sa balle aux buts n’aura cependant pas plus de succès que la balle au camp de l’autre. Les rédacteurs du Vocabulaire accordent à ce sport plus d’importance (15 pages) qu’au hockey (6 pages) et qu’au tennis (7 pages). Leurs choix n’ont pas tous été entendus, mais plusieurs sont devenus courants : champ droit, champ gauche, champ centre, receveur, plastron, courbe. Pas de lapin, mais un coup rasant.

Une chose est sûre : parmi les animaux du sport, aucun de ces textes ne connaît la vache.

P.-S. — Une fois n’est pas coutume : prenons le Petit Robert en défaut. À plastron, on lit «Vêtement de protection, au hockey. Plastron de receveur» (édition numérique de 2010). Or tout le monde devrait le savoir : le receveur existe au baseball, pas au hockey.

Profitons-en aussi pour prendre l’abbé Blanchard en défaut : le vocabulaire proposé p. 58-59 n’est pas tout à fait le même que celui des p. 106-108.

 

[Complément du 13 juillet 2012]

L’Oreille tendue plastronne (à tort ou à raison). Elle avait signalé par courriel leur erreur aux gens du Robert. Que lit-elle dans l’édition papier du Petit Robert 2012 ? «Plastron : Vêtement de protection, au hockey, au baseball. Plastron de receveur.» Voilà qui est mieux.

 

[Complément du 8 septembre 2021]

L’Oreille tendue vient de mettre la main sur une version antérieure, mais identique, de la partie consacrée au baseball, sous le titre Vocabulaire français-anglais du jeu de balle aux buts (baseball). Elle date de 1935.

Bibliothèque et Archives nationales du Québec en offre une autre version, numérisée celle-là, aussi de 1935.

Vocabulaire français-anglais du jeu de balle aux buts (baseball)

 

Références

Bérubé, Renald, les Caprices du sport. Roman fragmenté, Montréal, Lévesque éditeur, coll. «Réverbération», 2010, 159 p.

Blanchard, abbé Étienne, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, L’Imprimerie des marchands limitée, 1920, 112 p. Ill.

Blanchard, abbé Étienne, Stylistique canadienne. Cinquième édition du Manuel du bon parler, Montréal, Éditions Bernard Valiquette, [1940], 111 p.

Vocabulaire français-anglais des jeux de hockey[,] de tennis et de balle aux buts (base-ball), Québec, La librairie de l’Action catholique, 1937, 29 p. «Publié avec la bienveillante autorisation de la Société du parler français, qui a rédigé ce Vocabulaire.»

Vocabulaire français-anglais du jeu de balle aux buts (baseball), Québec, L’action sociale (limitée), 1935, 15 p. «Hommage de la Société du Parler français au Canada (Université Laval, Québec).»

Retour inattendu

Cinquante jeunes militants du Parti québécois et du Bloc québécois viennent de rédiger une lettre dans laquelle ils mettent en cause certains choix en matière de défense de l’idée de souveraineté politique du Québec. Le Devoir l’a publiée lundi.

Un des signataires, interviewé à la radio de Radio-Canada hier matin, plutôt que de faire comme tout le monde depuis une vingtaine années et de dire souveraineté, a parlé d’indépendance. Serait-ce l’effet de l’Halloween ? Voilà un fantôme qu’on n’avait pas vu depuis longtemps.

 

[Complément du 4 novembre 2010]

Semaine faste ! Dans le Devoir du 3 novembre, la réponse de 136 militants aux 50 signataires de la lettre : «Gouverner en souverainiste et faire l’indépendance» (p. A9).

 

[Complément du 8 avril 2013]

Belle-mère de son état, Bernard Landry est cité dans le Devoir de ce matin : «Utilisons les bons mots. Regardons les choses en face : nous voulons l’indépendance nationale» (p. A3), aurait-il déclaré dans le cadre des États généraux sur… la souveraineté. L’ancien premier ministre du Québec lirait-il l’Oreille tendue ? (Il y a longtemps que celle-ci s’interroge sur la disparition d’indépendance au bénéfice de souveraineté.)

 

[Complément du 11 février 2014]

Peut-être y aura-t-il bientôt des élections au Québec. Le Parti québécois, en tout cas, est déjà en campagne. Il a lancé récemment une publicité intitulée «L’indépendance, ça dépend de nous».

Interprétation du Conseil de la souveraineté (!) : «Son président, Gilbert Paquette, croit qu’avec ce choix sémantique le PQ exprime plus clairement son objectif qu’avec le terme souveraineté» (la Presse, 10 février 2014, p. A7).

Interprétation du parti : «Le président du PQ, Raymond Archambault, soutient, lui, que les mots souveraineté et indépendance sont des synonymes […]» (ibid.).

Voilà qui est plus clair. Ou pas.