Signes distinctifs recherchés

Le Pullman est un bar à vin montréalais. Quelle «faune» y trouve-t-on ? «[De] façon générale, on y croise surtout des professionnels et autres adultes urbains à la recherche d’une atmosphère intelligente et de vins et de nourriture de qualité» (la Presse, 26 décembre 2009, cahier Gourmand, p. 5).

Comment reconnaît-on une «atmosphère intelligente» ? Des «adultes urbains» ?

Pour le second cas, ce devrait être facile. L’Oreille tendue suppose que l’adulte urbain se nourrit de cuisine «dite urbaine d’inspiration internationale» et qu’il écoute de la musique «à saveur urbaine», voire «à saveur lounge et urbaine» (ça se pratique, entre autres endroits, à Québec).

Pour le premier, il lui faudrait des indices.

Une bière capitale

La ville de Québec a sa bière, la Quatre-centième, brassée par Unibroue. Objectif, outre l’imbibition ? «Cette bière exclusive honore tous ceux et celles qui ont fait de cette ville extraordinaire la capitale de la joie de vivre !»

Mais, si elle est exclusive, qui exclut-elle ? Les non-Québecquois ?

Fil de presse 001

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

The Economist (26 novembre 2009) propose quelques réflexions sur le tutoiement en allemand. Conclusion ? Le tutoiement, ce n’est plus ce que c’était («It used to be so simple»).

The New York Times (19 décembre 2009) dresse sa liste des catchphrases et buzzwords de 2009. Conclusion ? L’anglais, ce n’est plus ce que c’était («What is there to say about a period in which Tea Parties, swine flu parties and a beer summit became desirable social engagements in certain circles ?»).

Le Soleil (20 décembre 2009) recense les nouveaux tabous de la langue parlementaire québécoise, par exemple fainéants et incompétents. Conclusion ? La langue parlementaire, ce n’est plus ce que c’était («L’air du temps et la sensibilité exacerbée des uns et des autres feraient en sorte que des termes usuels se retrouvent du jour au lendemain au banc des accusés. Même s’ils avaient été utilisés des dizaines de fois sans jamais causer de problème»).

Le Devoir (22 décembre 2009) rapporte les résultats d’une enquête de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité et de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France sur l’utilisation de l’anglais dans la publicité hexagonale. Conclusion ? La langue de la publicité, ce n’est plus ce que c’était («Peu d’anglicismes, mais l’environnement tend à s’angliciser»).

La presse, elle, ne change guère.

P.-S. — L’Oreille tendue se promet bien de revenir sur les mots proscrits dans la Vieille Capitale.

 

[Complément du 15 janvier 2016]

C’est fait :

Melançon, Benoît, «Que dire et ne pas dire à l’Assemblée nationale», le Devoir, 23 septembre 2014, p. A7. Prépublication de «Vie et mort de l’éloquence parlementaire québécoise», Mœbius, 142, 2014, p. 75-78.

Le bon vieux temps est-il poche ?

Il y a jadis naguère, l’Oreille tendue était petite. Dans la cour d’école, l’adjectif poche avait largement cours : un jeu pouvait être poche, Untel aussi, l’école indubitablement. Ce n’était pas très grave que quelque chose soit poche, même si le mot était évidemment synonyme de nul, inintéressant, moche, etc.

Elle le croyait tombé en désuétude. Elle se trompait.

Au fil des années récentes, les journaux montréalais l’ont utilisé à l’occasion. La Presse : «Concours “affichage poche”» (22 mars 2005, cahier Actuel, p. 7); «Poche au cube» (5 avril 2007, cahier Arts et spectacles, p. 9); «La vie est poche» (7 avril 2005, cahier Actuel, p. 1). Le Devoir : «L’école full poche» (9 juin 2009, p. A6).

L’Oreille en relève aussi une occurrence la semaine dernière : «“Les victoires morales, c’est poche.” Il importe à Cammalleri que le CH reste uni dans les malheurs» (la Presse, 18 décembre 2009, cahier Sports, p. 2). Qu’avait dit le numéro 13 des Canadiens de Montréal (le CH) en version originale ? «It sucks

On trouve même le mot dans la médiocre «adaptation québécoise» de Tintin par Yves Laberge, les Aventures de Tintin. Colocs en stock : «Ah ! j’me trouve poche…» se lamente le héros à la houppe (p. 53).

Cet adjectif a la vie bien plus dure que l’Oreille ne le croyait.

 

[Complément du 17 mars 2013]

On trouve une variante orthographique : «c’est poch» (la Presse, 16 mars 2013, cahier Arts, p. 2).

 

[Complément du 13 avril 2015]

Dans la Presse+ du 12 avril, Anabelle Nicoud cite une linguiste française :

«Il est clair qu’il y a un renouvellement du parler des jeunes», croit Marie-Madeleine Bertucci, sociolinguiste, professeure de sciences du langage à l’Université de Cergy-Pontoise. Ainsi, le français oral s’enrichit des influences venues de l’ensemble de la francophonie (l’expression québécoise «poche» semble ainsi faire son arrivée en France), d’expressions tziganes (ces mots se reconnaissent au suffixe -ave : comme «marave» — casser la gueule —, «pourrave» — pourri), de régionalismes français ou encore de l’arabe (le mot «kif» est ainsi entré dans le langage courant).

 

Référence

Hergé, les Aventures de Tintin. Colocs en stock, Casterman, 2009, 62 p. «Adaptation pour le Québec : Yves Laberge.»

Charme désuet

La langue contemporaine est marquée par une euphémisation généralisée. Que l’on parle de rectitude politique (Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française), de néobienséance langagière (Jean-Claude Boulanger, Monique Cormier et Catherine Ouimet) ou de langue de coton (François-Bernard Huyghe) — et l’Oreille tendue en passe —, il s’agit toujours de la même chose : masquer la réalité, supposée trop douloureuse.

Ainsi des pauvres, ces représentants d’une catégorie socioéconomique que l’on essaie de faire disparaître derrière des expressions plus délicates.

Exception : l’organisme de charité montréalais Les petits frères des Pauvres (avec la majuscule). Comment se définit-il ? «La famille des personnes âgées seules.» Quelles personnes cet organisme veut-il aider ? «Nos Vieux Amis.» Les choses sont dites.

On se réjouit d’avoir échappé à des dénominations comme Les petits frères et les petites sœurs des démunis. La famille des aînés et des aînées ou Les petits frères et les petites sœurs des prestataires de la sécurité du revenu. La famille des hommes et des femmes de l’âge d’or.

 

Références

Boulanger, Jean-Claude, «Un épisode des contacts de langues : la néobienséance langagière et le néodiscours lexicographique», dans Marie-Rose Simoni-Aurembou (édit.), Français du Canada – Français de France. Actes du cinquième Colloque international de Bellême du 5 au 7 juin 1997, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, coll. «Canadiana Romanica», 13, 2000, p. 307-324.

Cormier, Monique C., Catherine Ouimet et Jean-Claude Boulanger, «À propos de la néobienséance dans les dictionnaires scolaires», dans Jean Pruvost (édit.), les Dictionnaires de langue française. Dictionnaires d’apprentissage, dictionnaires spécialisés de la langue, dictionnaires de spécialité, Paris, Honoré Champion, coll. «Études de lexicologie, lexicographie et dictionnairique», 4, 2001, p. 139-168.

Huyghe, François-Bernard, la Langue de coton, Paris, Robert Laffont, 1991, 186 p.