Fil de presse 007

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

Le numérique a besoin de mots.

Philip B. Corbett tient le blogue After Deadline du New York Times. Il y conseille les journalistes, et les lecteurs, sur les questions de langue («grammar, usage and style»). Il recommandait récemment d’utiliser tweet — le substantif et le verbe — avec circonspection. (On le lui a reproché.)

En janvier dernier, le secrétaire d’État français chargé de la coopération et de la francophonie a lancé le concours «Francomot», rapporte le Monde du 30 mars : «les étudiants et élèves étaient invités à envoyer par mail [!!!] des équivalents français à cinq termes anglophones : “chat”, “buzz”, “tuning”, “newsletter” et “talk”». Les gagnants ? (On vous reprochera leur utilisation.) Ramdam (buzz), bolidage (tuning), éblabla et tchatche (chat), infolettre (newsletter) et débat (talk).

Comme à chaque année, les dictionnaires annoncent l’entrée de mots dans leur nomenclature. (On ne saurait le leur reprocher.) Le Petit Larousse accueille, entre autres nouveautés lexiconumériques, agrégateur, carnet d’adresses, Google, nerd, pop-up et Wikipédia. Dans le Petit Robert ? Geek et réalité augmentée.

La langue bouge, comme de toute éternité elle a bougé.

Un accent chanté

Gaële, Diamant de papier, 2010, pochette

Elle est née en France, elle vit au Québec, elle pousse la chansonnette : Gaële.

Sur son album Diamant de papier (Productions de l’onde, 2010), elle chante «L’accent d’icitte», avec Richard Desjardins, en ouverture et en clôture, dans le rôle de l’accent.

Cet accent, elle déplore ne pas le maîtriser : «J’aurai jamais l’accent d’icitte / Pourtant c’est pas faute d’avoir essayé.» En effet : elle parsème ses paroles de «tout p’tit boutte» (trois fois), de «pas pantoute», de «vingt-cinq cennes» et de «pis».

Comme il se doit, les jurons ont leur place :

De la bouche serrée
À la mâchoire slaque
Du putain d’merde
À l’ostie d’tabarnak
Au fil des années
J’ai tissé les trésors
De ma langue bric-à-brac

Linguistiquement, c’est assez prévisible. Musicalement, plus d’entrain aurait été bienvenu. Bref, on ne peut pas tout avoir.

Les mécontents urbains, bis

Le friforâll, publicité syndicale, 2010

L’Oreille tendue le disait le 3 mai : les membres du Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal ne sont pas contents, d’où une première campagne de publicité (négative) sur le thème «Montréal, fais une ville de toi !».

Rebelote, avec des panneaux-réclames et un encart dans la Presse du 9 juin. «Quesséçâ ?», «çapâdallure» et «brochafoin» y sont toujours, mais ils sont rejoints par «friforâll» — comme dans «20 administrations municipales, c’est le friforâll».

«Friforâll» ? De l’anglais free for all : un laisser-faire extrême, genre, voire le bordel. Pour les syndiqués, ce ne serait pas une bonne chose (c’est le moins qu’on puisse dire).

Ma mère, le pape et Ronald King

Dans la Presse du 9 juin, ceci, sous la plume de Ronald King : «le petit carton qu’on m’accrochera au cou est rare comme de la marde de pape» (cahier Sports, p. 11).

L’Oreille tendue n’avait entendu cette expression que dans la bouche de sa mère. Elle se réjouit de la trouver à l’écrit et elle lui souhaite longue vie.

 

[Complément du 3 octobre 2016]

Sur Twitter, des sources sûres indiquent à l’Oreille tendue l’existence, en Wallonie, de l’expression «râre come do stron [étron] d’pape». Francophones du monde entier, unissez-vous !

 

[Complément du 19 décembre 2017]

Exemple littéraire, tiré d’un Roman canadien-français, de Jean-Philippe Chabot (2017), le Livre de bois : «D’un coup, avec l’odeur, le curé se réveille. C’est pas sans me donner l’envie, qu’il pense. Un si bon tas. Mais il se dit ben, lui aussi, qu’il est pas pour aller se geler le goupillon. Et pis si les autres le voyaient ! Y a des expressions, il pense, qu’on a pas pour rien dire. De la marde de pape, il pense, c’est rare pour une raison. Et pis là, il continue de penser : je suis le pape, le pape c’est le bon yeu, ça doit être ça la Saint’-Trinité. Faut pas je seye vu en train d’aller, il conclut» (p. 100).

 

[Complément du 14 juin 2018]

Importante variante dans un roman récent de Claude La Charité, le Meilleur Dernier Roman : «Mais peut-être était-ce tout simplement la manière dont la séduction se manifestait chez lui, manifestation qui, il faut bien le dire, était aussi rare que la merde de pape» (2018, p. 115).

 

[Complément du 26 janvier 2024]

Reconnaissons à Claude La Charité qu’il a de la suite dans les idées : dans l’Œil de l’ermite (2023), c’est toujours de la merde (p. 89).

 

Références

Chabot, Jean-Philippe, le Livre de bois. Roman canadien-français, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 114, 2017, 135 p.

La Charité, Claude, le Meilleur Dernier Roman, Longueuil, L’instant même, 2018, 177 p. Ill.

La Charité, Claude, l’Œil de l’ermite. Fiction en pièces détachées, Longueuil, L’instant même, 2023, 237 p. Ill.

Jean-Philippe Chabot, le Livre de bois, 2017, couverture