Accouplements 207

Patrice Desbiens, Fa que, 2023, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Patrice Desbiens, «Canicule», dans Fa que, Montréal, Mains libres, 2023, 69 p., p. 25.

les longs reculons
des camions de livraison
résonnent et tonnent
dans la chaleur cruelle
de la ruelle

Paul Verlaine, «Chanson d’automne», dans Poèmes saturniens, 1866.

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone

 

P.-S.—Le recueil de Desbiens contient un poème intitulé «Verlaine» (p. 49).

Les zeugmes du dimanche matin et de François Hébert

François Hébert, Frank va parler, 2023, couverture

«Le fameux baiser dans la pierre froide de Rodin n’est rien en comparaison du nôtre, le sien manquant de cassonade, de couleur, d’humidité, de tannins, de tout en somme, à cause de l’absence de Camille Claudel notamment, la folle de lui, et ça l’aurait peut-être sauvée, un tel baiser profondément charnel, tandis que le frérot d’icelle traficotait des phrases et de la religion» (p. 43).

«J’ai dû me débrouiller en m’assoyant sur les marches mouillées et en m’appuyant sur les mains en cul-de-jatte, et marche après marche je suis revenu sur terre comme un Slinky, le ciel maya se vengeant de mon escalade et de mon intrusion dans son grand rêve cosmologique, en m’infligeant une douleur aux muscles de l’intérieur des cuisses» (p. 58-59).

«J’ai réussi à ne pas m’endormir et ce serait mon plus grand exploit de la soirée, de la nuit et peut-être de ma vie, et ce n’est pas peu dire car j’ai fait des voyages, quelques enfants et des poèmes» (p. 145).

«J’ai pris froid à la sortie du motel et de la nuit chaude» (p. 148).

François Hébert, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Simenon

Tasse reproduisant la couverture du roman Chez Krull de Georges Simenon

«Comment Maria Krull avait-elle senti que ces pas-là n’étaient pas d’honnêtes pas de clients mais qu’ils apportaient une menace ? Il avait suffi de quelques heurts de sabots sur le sol et déjà elle abandonnait un drame pour un autre auquel elle tendait l’oreille. Son regard devenait plus aigu, elle oubliait Hans, elle courait, en esprit, vers la boutique et le corps suivait l’esprit. Hans ne devait jamais oublier cette image d’elle, aussi lourde, aussi définitive que les portraits d’album : elle avait atteint la cuisine et elle se tenait debout contre un des battants de la porte vitrée. Cette porte était tendue d’un fin rideau et la lumière auréolait les cheveux gris cependant que le visage, à contre-jour, était plus modelé et plus ferme.»

Simenon, Chez Krull, dans Tout Simenon 21, Montréal et Paris, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 877-1010, p. 964. Édition originale : 1939.