La vie par les livres

Alison Bechdel, Fun Home, 2006, couverture

«I still found literary criticism to be a suspect activity.»

Alison Bechdel, l’auteure du roman graphique Fun Home (2006), aime les écritures de soi : la lettre, le journal intime, l’autobiographie («my own compulsive propensity to autobiography», éd. de 2014, p. 140). Pour comprendre sa vie, elle a besoin des livres : les siens, ceux de son père, ceux de sa mère, ceux de sa première amante. Fun Home conjoint ces deux façons de s’inscrire dans le monde. Bechdel essaie d’y comprendre, avec une clarté de vue qui force l’admiration, son rapport à son père, qui est mort quand elle avait 20 ans.

Ce père, Bruce Allen Bechdel (1936-1980), est complexe. Lecteur avide, il enseigne l’anglais à l’école secondaire et il s’occupe d’un salon funéraire (le «fun home» du titre). Marié et père de famille, il couche avec de jeunes garçons («But would and ideal husband and father have sex with teenage boys ?», p. 17). Sa fille est convaincue qu’il s’est suicidé, mais un doute plane. Elle a nombre de reproches à lui faire, mais elle ne peut se déprendre de lui et de son influence, allant jusqu’à emprunter à Marcel Proust le mot inverti pour se désigner, et lui avec elle : «Not only were we inverts, we were inversions of one another» (p. 98).

Quels auteurs pour donner sens à cela ? Il y en a plusieurs dizaines, dont se détachent Albert Camus (la Mort heureuse) dans le deuxième chapitre («A Happy Death»), F. Scott Fitzgerald dans le troisième («That Old Catastrophe»), Proust dans le quatrième («In the Shadow of Young Girls in Flower»), Oscar Wilde dans le sixième («The Ideal Husband») et James Joyce et Homère dans le septième («The Antihero’s Journey»). Il y a pire compagnie que celle-là.

Ce n’est pas seule raison de lire Fun Home, qui est un livre remarquable.

 

Référence

Bechdel, Alison, Fun Home. A Family Tragicomic, New York, A Mariner Book, Houghton Mifflin Harcourt, 2014, 232 p. Édition originale : 2006.

Autopromotion 277

Invitation au lancement du 25 janvier 2017

L’Oreille tendue écrit des livres. Le plus récent — pas le dernier — s’appelle l’Oreille tendue.

Elle édite des livres. Les plus récents sont ceux d’Alex Gagnon : le premier aux Presses de l’Université de Montréal, dans la collection «Socius», la Communauté du dehors. Imaginaire social et crimes célèbres au Québec (XIXe-XXe siècle); le second chez Del Busso éditeur, Nouvelles obscurités. Lectures du contemporain.

Il lui arrive donc de lancer des livres. Pour les trois titres ci-dessous, ce sera le 25 janvier 2017, à 18 h, à la librairie Gallimard de Montréal. Une discussion animée par Geneviève Lafrance rassemblera l’Oreille et Alex Gagnon sous le titre «Travaux pratiques de littérature». Ils essaieront de répondre à une question simple : à quoi ça sert, les études littéraires ?

L’invitation est lancée.

Proposition de moratoire pour 2017 (et après)

Les fêtes de fin d’année sont parfois l’occasion de débats enflammés.

C’est arrivé à l’Oreille tendue le 1er janvier, comme cela lui était arrivé l’an dernier à pareille date et, en l’occurrence, dans les mêmes lieux et avec les mêmes personnes.

De quoi s’agissait-il cette année ? De la proposition de l’Oreille de créer un moratoire sur les œuvres romanesques racontées par un enfant.

Certains se sont mis à évoquer Fantasia chez les ploucs, d’autres l’œuvre de Réjean Ducharme, pour défendre cette pratique (caduque). Il s’en est même trouvé pour louanger Émile Ajar; c’est dire.

Précisons : l’Oreille ne souhaite pas censurer les romans à narrateur enfantin déjà publiés. Elle demande seulement qu’on s’abstienne d’avoir recours à ce procédé éculé à l’avenir.

Il n’est pas sûr qu’elle ait été entendue hier ni qu’elle le soit dans un futur proche.

Ballottage onomastique

Le 30 décembre 2016, le site rds.ca titrait «les Islanders [c’est du hockey] soumettent le nom de Jaroslav Halak au ballottage». (Oui, ce Halak-là.)

Le lendemain, on pouvait, lire dans la Presse+, ceci : «Il semble que le séjour du gardien Jaroslav Halak chez les Islanders de New York soit terminé : la formation de Brooklyn a soumis hier le nom de l’ex-gardien du Tricolore au ballottage.»

Dans la Ligue nationale de hockey, une équipe peut soumettre un joueur au ballottage. Une autre équipe peut alors le réclamer. Qu’il soit d’accord ou pas, le joueur risque alors de changer d’équipe. (Il y a toutes sortes de règles qui entourent ce type de mouvement de joueurs : la période durant laquelle on peut réclamer un joueur soumis au ballotage est limitée; cela ne peut pas se faire pendant le détail; etc.)

L’Oreille tendue ne veut pas être excessivement tatillonne, mais n’est-ce pas le joueur qui est soumis au ballotage, pas seulement son nom ? Que ferait une équipe avec le seul nom de Jaroslav Halak après l’avoir réclamé ? Ne serait-il pas préférable pour elle d’avoir le joueur, plutôt que son nom ?

P.-S. — Oui, c’est de la langue de puck.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture