Le niveau baissait aussi chez les Amérindiens

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion, éd. de 2017, couverture

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«Les Ouolostoqiuks étaient de la famille des Algonquiens, cousins et partenaires des Micmacs au nord-est, des nations abénaquises au sud-est, des Innus au nord-ouest et des Algoumequins au sud-ouest. Tous ces peuples se rencontraient lors de marchés internationaux, à Tadoussac, Matane, Kennebec et Ouigoudi. C’étaient toutes des nations amies, même si les Micmacs avaient parfois tendance à regarder les Ouolostoqiuks de haut, les appelant “ceux qui parlent la langue brisée”, pour évoquer une forme dégradée du micmac classique.»

Source : Serge Bouchard, «Ouigoudi, sur la rivière cliquante suivi de La beauté mandane», l’Inconvénient, 66, automne 2016, p. 68-70, p. 68. Texte repris dans les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p., p. 183-191, p. 184.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Les néologismes livresques et littéraires du vendredi matin

Lire, écrire, acheter, vendre, classer, reproduire, diffuser des livres : cela demande des mots, dont des nouveaux.

Ceux qui rêvent d’un guichet unique mobile en matière de livre pourraient s’inspirer de la publibrairie Le buvard de Michel Vézina (le Devoir, 39-30 octobre 2016, p. F1).

Les adeptes de la photocopie vivent dans la «xérocivilisation», écrivait Umberto Eco il y a déjà plus de trente ans (éd. de 1986, p. 25). Certains pratiquent même le photocopillage; ce n’est pas bien.

Parce qu’on lit à tous les âges, il existe un prix pour adolecteurs.

S’agissant des auteurs, il semble qu’en 4097 existera la catégorie de l’aucouvreur, «un néologisme reposant sur les mots “auteur” et “découvreur”». C’est Olivier Ertzscheid qui l’annonce dans les Classiques connectés (2016).

Les auteurs de fiction peuvent y rester — «en fictionnant le monde on a seulement essayé de retrouver ce qui avait eu lieu et qu’on avait oublié» (Mécanismes de survie en milieu hostile, p. 9 — ou en sortir — d’où des «éléments pour une littérature exofictionnelle».

Quand le témoignage s’impose plutôt que la fiction, cela peut aller jusqu’à l’autopathographie. La géoculture («La France vue par les écrivains»), elle, fait voyager.

La bibliographie, c’est bien (foi de bibliographe). La webographie ou la webliographie, c’est bien aussi.

Ces façons nouvelles de dire relèvent de la littérationla littératie de masse») ou de la biblioculture (merci à @BiblioQC). Cela doit faire plaisir aux bibliogeeks, non ?

 

Références

Eco, Umberto, De Bibliotheca, Caen, L’échoppe, 1986, 31 p. Traduction d’Éliane Deschamps-Pria. Frontispice de M.H. Vieira da Silva.

Ertzscheid, Olivier, les Classiques connectés, publie.net, 2016. Illustré. Préface de Lionel Maurel. Édition numérique.

Rosenthal, Olivia, Mécanismes de survie en milieu hostile, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 6078, 2014, 183 p.

Fil de presse 022

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

De nouveaux livres sur la langue ? À votre service (éditorial).

Chez Basic Books

Bergen, Benjamin K., What the F. What Swearing Reveals About Our Language, Our Brains, and Ourselves, New York, Basic Books, 2016, 271 p.

Chez Del Busso éditeur

Melançon, Benoît, l’Oreille tendue, Montréal, Del Busso éditeur, 2016, 411 p.

Chez Fayard

Association ALLE, le Bon Air latin, Paris, Fayard, 2016, 360 p.

Chez Flammarion

Rousseau, Martine, Olivier Houdart et Richard Herlin, Retour sur l’accord du participe passé et autres bizarreries de la langue française, Paris, Flammarion, 2016, 317 p.

Siouffi, Gilles et Alain Rey, De la nécessité du grec et du latin. Logique et génie, Paris, Flammarion, 2016, 190 p.

Chez Edinburgh University Press

Offord, Derek, Lara Ryazanova-Clarke, Vladislav Rjéoutski et Gesine Argent (édit.), French and Russian in Imperial Russia, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2015, 2 vol.

Chez L’Harmattan

Quand le français gouvernait la Russie. L’éducation de la noblesse russe 1750-1880, Paris, L’Harmattan, coll. «Éducations et sociétés», 2016, 402 p. Textes réunis et présentés par Vladislav Rjéoutski.

Chez Oxford University Press

Adams, Michael, In Praise of Profanity, Oxford et New York, Oxford University Press, 2016, 253 p.

Chez Peter Lang

Remysen, Wim et Nadine Vincent (édit.), la Langue française au Québec et ailleurs. Patrimoine linguistique, socioculture et modèles de référence, Francfort, Berne, Bruxelles, New York, Oxford, Varsovie et Vienne, Peter Lang, coll. «Sprache – Identität – Kultur», 2016, 380 p.

Chez Philippe Rey

Académie française, Dire, ne pas dire. Du bon usage de la langue française. Volume 3, Paris, Philippe Rey, 2016, 190 p.

Chez La Presse

Dupuis, Jean-Pierre, Où sont les joueurs francophones du Tricolore ?, Montréal, La Presse, 2016, 168 p.

Chez Racine

Francard, Michel, Tours et détours. Les plus belles expressions du français de Belgique, Bruxelles, Racine, 2016, 176 p. Ill. Préface de Patrick Adam. Postface de Zapf Dingbats [Jean-Paul Vasset]. Illustrations de CÄät.

Chez Le Robert

Rey, Alain (édit.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires le Robert, 2016, 2 vol. Nouvelle édition augmentée. Édition originale : 1992.

Portrait de souches

Le Code Québec, 2016, couverture

Il y a quelques semaines paraissait à Montréal l’ouvrage intitulé le Code Québec. Les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde. On notera le nous du sous-titre, qui, malgré ce que semblent croire les auteurs, ne va pas du tout de soi (voir ici).

Ne faisons pas durer le suspense : les sept «traits identitaires» (p. 221) qui définiraient «la personnalité québécoise» (quatrième de couverture), «la psyché québécoise» (p. 87, p. 223) ou l’«âme des Québécois» (p. 9) tiendraient dans les mots heureux, consensuel, détaché, victime, villageois, créatif et fier.

Le choix de ces mots et les liaisons qui les unissent sont le fruit d’un travail dont il est répété à plusieurs reprises qu’il est «objectif et scientifique» (p. 237). Histoire d’arrêter leurs choix, les auteurs se seraient notamment appuyés sur une approche relevant de la «sémiométrie» ou de la «sémiologie» (les deux mots sont utilisés indistinctement, alors qu’ils ne renvoient pourtant pas à la même chose).

Le ton de l’ouvrage est nationaliste et triomphaliste, l’hyperbole (notamment autopublicitaire chez Jean-Marc Léger) règne, les lieux communs ne manquent pas, les jugements sont tranchants, particulièrement dans le septième chapitre, «Victime. La peur de l’échec» (en économie, les Québécois ne fonceraient pas assez), plus proche de l’éditorial que de l’analyse. C’est sur un plan différent que l’Oreille voudrait livrer quatre brèves remarques.

Il est difficile de s’affirmer scientifique et, dans le même temps, de parler de la «langue québécoise» (p. 39, p. 93) — cette chose n’existe pas —, pire : en appuyant sa démonstration sur les propos de Denise Bombardier (les auteurs ont un faible pour les commentateurs du Journal de Montréal). Cela n’est pas sérieux.

Ça ne va pas mieux quand il s’agit de comparer le Québec à la France ou aux États-Unis. Ce qui concerne le Québec est appuyé sur des données de toutes sortes; on sera d’accord ou pas, mais elles sont accessibles. Pour la France ou les États-Unis, rien de tel. On se contente d’impressions et de clichés. Sur quoi une phrase comme «Les gens de Québec sont tout simplement plus français que les Français eux-mêmes» (p. 156) peut-elle s’appuyer ? On ne le saura pas.

Le problème est le même quand Léger, Nantel et Duhamel ajoutent aux résultats de leurs enquêtes des bribes d’entretiens. On tombe alors dans des propos de tribunes téléphoniques ou de tavernes :

Plusieurs des personnes que nous avons interviewées ont souligné le détachement des Québécois face à leur réussite ou à leur accomplissement. «L’effort à l’école a disparu et les parents s’en lavent trop souvent les mains», soutient l’animateur de radio Gilles Parent, du 99,3 FM à Québec. Le professeur Jean-Jacques Stréliski parle quant à lui de manque d’ambition, de défaitisme, voire de fatalisme (p. 96).

En quoi ce genre d’opinions peut-il nourrir la réflexion ?

On notera pour terminer que la conception de la culture de l’ouvrage renvoie essentiellement à la culture populaire (festival, chanson, télévision, humour, jeu vidéo, cirque) ou folklorique (Fred Pellerin). La peinture (inexistante), la musique sérieuse et le théâtre (ramenés à Yannick Nézet-Séguin et à Robert Lepage), rien de cela ne ferait partie de l’identité québécoise. Pour avoir droit de cité dans le Code Québec, les créateurs doivent être des vedettes, si possible encensées à l’étranger, et attirer les foules. Le cas de la littérature est révélateur : Pierre Vadeboncoeur est cité, mais comme «avocat syndicaliste et écrivain québécois» (p. 93); Alice Parizeau est «auteure et femme de l’ancien premier ministre Jacques Parizeau» (p. 209). Si on compte le poète Gaston Miron (p. 209), cela fait trois écrivains.

Née native, l’Oreille tendue ne se reconnaît guère dans le portrait brossé par Jean-Marc Léger, Jacques Nantel et Pierre Duhamel, ce qui n’a aucune importance. Il est vrai qu’elle n’a pas d’âme.

P.-S.—Si on se fie aux illustrations de l’ouvrage, l’«Homo quebecensis» (p. 11, p. 23), homme ou femme, est blanc. De souche, bref.

P.-P.-S.—Des hyperboles ? Deux exemples : Céline Dion est «la plus grande interprète francophone de tous les temps» (p. 174); «Il n’y a pas un Québécois qui ne soit pas fier de voir un Aldo là où s’y attendait le moins» (p. 212) — Cher Jacques Nantel, l’Oreille peut vous en nommer quelques-uns.

P.-P.-P.-S. de pion.—Utiliser «versus», parfois plusieurs fois par page ? L’Office québécois de la langue française et l’Oreille itou sont contre. La construction «pourquoi sommes-nous si semblables et si différents de nos compatriotes canadiens ?» (p. 19) ? Non. Confondre mise à jour et mise au jour (p. 19) ? Non. Les Québécois sont «épicuriens» (p. 35, p. 58, p. 66) ? Non. Quitter sans complément d’objet direct (p. 104, p. 107, p. 150) ? Non. Du jargon comme «il a créé Coveo, qui conçoit des engins de consolidation de l’information destinée aux entreprises» (p. 154) ? Non. Internet date du début des années 1990 (p. 185) ? Non. La «génération silencieuse», «née entre 1925 et 1945», «s’est urbanisée» (p. 223) ? Non, le Québec était déjà majoritairement urbain dès le recensement de 1921. «Imager» ? Non (p. 236).

 

Référence

Léger, Jean-Marc, Jacques Nantel et Pierre Duhamel, le Code Québec. Les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde, Montréal, Éditions de L’Homme, 2016, 237 p. Ill.