L’oreille tendue de… Kev Lambert

Kev Lambert, les Sentiers de neige, 2024, couverture

«Avec les néons du plafond allumés, l’eau de l’aquarium paraît encore plus verte. La douillette d’Olivier git éventrée sur le sofa. Personne en vue. On s’approche prudemment des chambres du fond et on tend l’oreille. Geneviève et Oli sont en haut, dans le salon, on les a vus avant de descendre. Damien doit être aux toilettes, ça lui prend toujours une heure avant de sortir. La chambre rose de Geneviève est vide.»

Kev Lambert, les Sentiers de neige. Conte d’hiver, Montréal, Héliotrope, 2024, 412 p., p. 217.

L’art de la cryptophonie

José Saramago, Histoire du siège de Lisbonne, 1992, couverture

«Au milieu de l’après-midi le téléphone sonna, Raimundo Silva alla répondre, c’était la maison d’édition, les espoirs de la femme de ménage furent déçus, une conversation de travail, Oui, je suis disponible, disait-il, faites-moi parvenir l’original quand vous voudrez, madame, ou si vous préférez, j’irai le chercher moi-même, et le reste de la conversation fut à l’avenant, correction, délais, des monologues comme celui-ci madame Maria en avait entendus très souvent, la seule différence était l’interlocuteur inaudible, avant c’était un certain Costa, maintenant une dame quelconque, c’était peut-être pour cela que la voix de Raimundo Silva avait pris ce ton langoureux, langoureux était le terme de madame Maria, ah ces hommes, mais malgré toute sa perspicacité il ne lui vint pas à l’esprit que Raimundo Silva pût être en train de parler précisément à la femme avec qui il avait couché la nuit dernière, savourant le plaisir ineffable d’employer des mots neutres qu’eux seuls étaient en mesure de traduire dans une autre langue, celle de l’émotion, si évocatrice de sens, où prononcer livre était entendre baiser, dire oui était comprendre toujours, entendre bonjour était interpréter je t’aime. Si madame Maria avait eu quelques notions de l’art de la cryptophonie, elle serait partie en ayant percé à jour leur secret, riant de celui qui croyait pouvoir se rire d’elle, c’est une exagération, bien sûr, et que seul le dépit explique, car ni Raimundo Silva ni Maria Sara n’imaginent qu’ils font souffrir madame Maria et s’ils le savaient ils ne se moqueraient pas d’elle, sinon ils ne seraient pas dignes de ce qui leur arrive» (p. 306-307).

José Saramago, Histoire du siège de Lisbonne. Roman, Paris, Seuil, coll. «Points», P619, 1992, 341 p. Traduction de Geneviève Leibrich. Édition originale : 1989.

Autopromotion 790

«Architecture et parties qui en dépendent. Troisième partie», premier volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1762, planches XIX

La 631e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.

La bibliographie existe depuis le 16 mai 1992. Elle compte 74 100 titres.

À partir de cette page, on peut interroger l’ensemble des livraisons grâce à un rudimentaire moteur de recherche et soumettre soi-même des titres pour qu’ils soient inclus dans la bibliographie.

Illustration : «Architecture et parties qui en dépendent. Troisième partie», premier volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1762, planche XIX

Que faire de sa connaissance ?

La Dame aux camélias, 1912

Perdre connaissance est à la portée de tout le monde.

Perdre sans connaissance ou venir sans connaissance ne semble guère se pratiquer que dans le français populaire du Québec.

«J’me sus promenée dans le quartier, j’ai été faire ma commande chez Provost. Monsieur Provost a failli perdre sans connaissance quand y m’a vue arriver !» (Survivre ! Survivre !, p. 1204)

«elle venait sans connaissance quand il se paquetait de même» (la Bête creuse, p. 652).

Dans certains cas, la perte de connaissance peut aller jusqu’à l’inconscience. Dans d’autres, comme dans la citation de la Bête creuse, sans connaissance n’est là que marquer l’ébahissement. Autre exemple :

«Quelque chose s’écroule. On est le 25 décembre. Zoey a oublié que c’est le jour où ses parents se l’échangent, le jour où il passe d’une famille à l’autre. Émie est sans connaissance, Zoey est distrait, toujours mêlé dans son horaire. Ils avaient des plans pour l’après-midi, pour la soirée, pour le lendemain…» (les Sentiers de neige, p. 224)

À votre service.

P.-S.—On ne confondra pas cette connaissance-là avec cette connaissance-ci.

 

Illustration : Sarah Bernhardt dans la Dame aux camélias (1912). Source : imdb.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Lambert, Kev, les Sentiers de neige. Conte d’hiver, Montréal, Héliotrope, 2024, 412 p.

Tremblay, Michel, Survivre ! Survivre !, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1101-1251. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2014.