Dictionnaire des séries 11

«À chacun sa coupe Stanley
On est tous des guerriers»
Éric Lapointe, «Rocket (On est tous des Maurice Richard)», 1998

 

Tout le monde vous le dira.

Pour gagner, au hockey, il faut des buteurs, fussent-ils énigmatiques, des agitateurs, des plombiers, voire, malheureusement, des policiers. Et un excellent cerbère.

Mais il y a mieux encore : pour aller à la guerre, il vous faut des guerriers. On précise même qu’il y a mieux que le guerrier; il y a le vrai guerrier.

Tout le monde vous le dira : on ne peut pas compter sur un faux guerrier.

Est-ce le guerrier qui a manqué aux Canadiens de Montréal, éliminé hier soir par les Sénateurs d’Ottawa ? On ne saurait le dire.

Michel Roy, le Guerrier, 2007, couverture

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

Parlons genre

Jean-Marc Huitorel, la Beauté du geste, 2005, couverture

«on ne dit plus “sexe”, on dit “genre”, “gender”»
Jean-Marc Huitorel, la Beauté du geste

 

Nous avons rencontré le métrosexuel et le datasexuel, le rétrosexuel, le végésexuel, le sapiosexuel, la couguar, le sextage, une chanteuse «oversexed again», le «sexe extrême», l’agace.

À cette litanie rose, ajoutons un comportement, évidemment répréhensible : «RT @jsebastiensauve : La lutte contre l’homophobie et la transphobie vous intéresse ? Passez ce matin au DKN-1271 ! #acfas» (@_Acfas).

Et un verbe : Bénédicte Coste, «“La prairie fraternelle dont je suis avec vous l’herbe multicolore” : quand l’éthique de Claude Cahun queerise la théorie queer», Contemporary French Civilization, 27, 2-2, 2012, p. 273-288.

Puis, pour finir, deux noms, de la même source : «Blogosexuel : pratique d’écriture extrême de blogue – avec un portable, dans un train, avec café brûlant… Écriture numérique et digitale !» (@culturelibre); «Perso, “bibliosexuel” 🙂 RT @FabienDeglise : Après Metrosexuel, le Datasexuel nouv mâle urbain branché http://bit.ly/HIy35s (via @psanterre)» (@culturelibre).

P.-S. — Pour l’allosexuel, l’autosexuel et l’altersexuel, voyez le Wiktionnaire. C’est assez pour cette entrée, la 1400e du blogue.

 

Référence

Huitorel, Jean-Marc, la Beauté du geste. L’art contemporain et le sport, Paris, Éditions du regard, 2005, 214 p. Ill.

Des ans l’irréparable outrage

Jean Echenoz, Cherokee, 1983, couverture

Quand on a atteint l’âge mûr, comment se définir ?

On peut être vieux, mais c’est bien banal.

«Elle n’y pensait pas, tout au guitariste espagnol, au violoniste moldave, aux girls surtout, au vieux monsieur avec des taches sur les mains qui feule et qui rauque…» (la Presse, 4 décembre 2012, p. A5).

À partir de 50 ans, on peut faire partie de l’âge d’or.

Le cheveu se raréfiant ou changeant de couleur, on peut se ranger parmi les têtes grises.

«Le système de santé menacé par un “tsunami gris”» (le Devoir, 23 août 2010, p. A3).

Les aînés sont aussi fréquemment évoqués.

«Montréal sacrée “Métropole amie des aînés”» (la Presse, 20 octobre 2012, cahier publicitaire «Chez soi 55+»).

«Une résidence se veut un Club Med pour aînés» (le Devoir, 12-13 février 2011, p. G4).

À choisir, l’Oreille tendue préfère encore «ressortissants du troisième âge». C’est que l’expression vient de Jean Echenoz, dans Cherokee (p. 73).

 

[Complément du 11 janvier 2014]

Echenoz reprend la même expression, en 1999, dans Je m’en vais (p. 147).

 

Références

Echenoz, Jean, Cherokee. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1983, 247 p.

Echenoz, Jean, Je m’en vais. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1999, 252 p.

Dictionnaire des séries 10

Au hockey, il est une façon par excellence de prouver sa détermination et son dévouement : il suffit de manger les bandes. Attention : il faut que ce soit un choix; il faut vouloir soi-même manger les bandes.

Si l’adversaire vous les fait manger, ça risque d’être la cata. Réjean Ducharme, dans Gros mots (1999), l’a bien vu : «Julien est sorti chercher des billets pour la partie, on joue contre les Bruins, qui vont nous faire manger les bandes, entre deux élans de Bobby Orr, s’il tient encore debout sur son malheureux genou, même s’il ne le gêne pas quand il vole…» (p. 271).

Qu’en sera-t-il ce soir entre les Canadiens de Montréal et les Sénateurs d’Ottawa ? Une chose est sûre : la table est mise.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Référence

Ducharme, Réjean, Gros mots. Roman, Paris, Gallimard, 1999, 310 p.

La (fausse) attractivité communicationnelle

Le Devoir de ce matin titre «Cégeps. C’est la fin du programme arts et lettres. La littérature n’est plus qu’une “option” dans le nouveau programme culture et communication» (p. A1-A10). Sous la plume de Lisa-Marie Gervais, on y apprend une modification en profondeur d’un des programmes en vigueur dans les collèges d’enseignement général et professionnel (cégeps) du Québec.

Si l’Oreille tendue se fie à son fil Twitter, la nouvelle est mal accueillie par plusieurs.

L’Oreille est citée (correctement) dans l’article. Trois précisions encore.

La transformation de l’intitulé du programme — de «arts et lettres» à «culture et communication», avec, chez certains, une option «littérature» — fait partie d’un mouvement bien plus général de méconnaissance de la littérature, ramenée à sa seule dimension communicationnelle. Or quiconque lit sait que la littérature n’est pas que cela.

Il est assez facile d’imaginer que les fonctionnaires du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie ont pensé que le terme communication ferait non seulement plus «moderne» — selon David Descent, conseiller pédagogique au cégep régional de Lanaudière, à Terrebonne, «le Ministère voulait répondre aux préoccupations des étudiants pour qui le terme “communication” avait davantage de résonance, comparativement au mot “lettres”, qui fait un peu “vieilli”» —, mais qu’il donnerait aussi l’impression que les finissants de ce programme seraient plus faciles à «placer» sur le marché du travail, «métiers de la communication» oblige. C’est se leurrer, et leurrer les élèves des cégeps.

Mince consolation, enfin. Il y a sûrement quelqu’un au Ministère qui a pensé remplacer «arts et lettres» par «communication» tout court. Heureusement — mais pour combien de temps ? —, il est encore question de culture au cégep.

 

[Complément du jour]

À la radio de Radio-Canada, à l’émission Pas de midi sans info, Pierre Duchesne, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie du Québec était interrogé aujourd’hui par Michel C. Auger au sujet de cette transformation de programme (ici, à compter de 11 h 21).

Il n’y a pas lieu de s’inquiéter de cette «modernisation», affirme le ministre : «la littérature est toujours mis [sic] en évidence»; «on veut s’assurer que toute la question de la culture, de la littérature demeure bien adaptée à la réalité des étudiants»; «ça va donner encore plus d’attrait pour ceux qui choisiront ce programme, entre autres ceux qui ont un profil arts et lettres».

Par ailleurs, il refuse de «s’enfarger dans un débat de sémantique» avec «cet universitaire-là», en l’occurrence l’Oreille tendue. Michel C. Auger l’a en effet interrogé sur ce que l’Oreille déclarait dans le Devoir du jour.

Le ministre l’a pourtant répété : «la littérature, les arts et les lettres, ce sont des mots qui ne me font pas peur»; «on a changé les mots, mais l’important c’est que le contenu est plus solide et il reste dans la définition qu’il était avant, arts et lettres, mais avec un titre fort différent».

Le ministre ne souhaitant pas se lancer «dans un débat de sémantique» (il l’a dit deux fois), l’Oreille non plus, mais elle a quand même une question : donner «un titre fort différent» à un programme et y remplacer des «mots qui ne […] font pas peur» (littérature, arts, lettres) par d’autres (culture, communication), n’est-ce pas, aussi, une affaire de sémantique ?

 

[Complément du 10 mai 2013]

Pierre Duchesne, au Devoir : «Dans culture et communication, il y a communication, qui était un concept qui semblait être plus rassembleur» (9 mai 2013, p. A7). En effet, ce n’est pas un «débat de sémantique».

 

[Complément du 12 mai 2013]

Le Devoir revient sur les changements apportés au programme existant dans son édition des 11-12 mai : «Éducation. Conserver ou non ses lettres de noblesse ? Le programme pré-universitaire Arts et lettres sera “modernisé” des l’automne 2015» (p. B3, article réservé aux abonnés).

 

[Complément du 13 mai 2013]

Lire la réaction de Mahigan Lepage, «la littérature ne communique pas».

 

[Complément du 18 mai 2013]

Modeste proposition au ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie du Québec, Pierre Duchesne : au lieu de remplacer «Arts et lettres» par «Culture et communication», pourquoi pas «Arts, lettres et communication» ?

 

[Complément du 24 mai 2013]

Dans le Devoir du jour, deux textes sur la réforme du programme Arts et lettres. L’un qui minimise l’importance du changement de nom («Arts et lettre [sic] remplacé par culture et communication. Un programme peut changer de nom sans perdre ses lettres de noblesse !»). L’autre, pas («Les professeurs des sciences humaines s’y sont opposés en vain…»).

 

[Complément du 28 mai 2013]

Les membres de l’assemblée départementale du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal ont rédigé un texte contre le changement d’intitulé du programme Arts et lettres des cégeps du Québec. On peut le lire ici, voire se joindre à ses signataires.

 

[Complément du 29 mai 2013]

Parmi les nombreuses personnes qui ont appuyé le texte dont il était question hier, il y a des artistes, dont des écrivains. Question : Maka Kotto, le ministre de la Culture et des Communications, a-t-il pris publiquement position sur la transformation de l’intitulé du programme collégial Arts et lettres ? Qu’en pense-t-il ? Les arts et les lettres, c’est lui aussi, non ?

 

[Complément du 30 mai 2013]

Une pétition est désormais en ligne contre le changement d’intitulé du programme. C’est ici.

 

[Complément du 10 juin 2013]

Lors de son assemblée annuelle du 4 juin, l’Association des professionnels de l’enseignement du français au collégial a appuyé à l’unanimité la pétition.

Le Devoir l’a évoquée deux fois : le 5 juin, sous la plume de Lisa-Marie Gervais; les 8-9 juin, sous celle de Jean-François Nadeau.

 

[Complément du 18 juin 2013]

Extrait du «Bulletin ministériel» du chroniqueur politique Michel David dans le Devoir d’aujourd’hui : «Contrairement à ce que plusieurs prévoyaient, Pierre Duchesne s’est tiré indemne du Sommet sur l’enseignement supérieur, et le climat a été indéniablement plus serein sur les campus qu’au printemps 2012. Imposer l’enseignement de l’histoire au niveau collégial est une bonne idée, mais faire disparaître les “arts et lettres” au profit de la “culture et communication” est nettement moins avisé» (p. A3).

 

[Complément du 19 juin 2013]

Dans le Devoir de ce matin (p. A6), sous le titre «Disparition d’Arts et lettres : un flou artistique ?», trois membres de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, Diane Boudreau, Patrick Moreau et Danièle Simpson, déplorent le changement d’intitulé du programme Arts et lettres et s’opposent à certains des nouveaux éléments de son contenu.

 

[Complément du 27 juin 2013]

Dans le Devoir d’aujourd’hui, sous le titre «Littérature. Oui aux arts et aux lettres», Pierre Duchesne, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie du Québec, répond à un texte de Jean Larose paru dans le même journal le 15 juin, «Disparition du programme Arts et lettres. La liquidation de l’héritage culturel». Il aborde surtout la question du contenu des nouveaux programmes. Sur l’intitulé Culture et communication, en revanche, on attend toujours une réponse précise.

 

[Complément du 28 juin 2013]

En début de soirée hier, le quotidien le Devoir a annoncé que le ministre revenait sur sa décision et que le programme collégial s’appellerait dorénavant Arts, lettres et communication, et non Culture et communication. Les professeurs du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, par communiqué, se réjouissent de cette décision.

Par ailleurs, l’article du Devoir permet de découvrir un site consacré aux questions abordées ici, parleprof.blogspot.ca.

 

[Complément du 28 juin 2013]

Le communiqué ministériel annonçant la décision se trouve ici.