Coudon(c) !

Réjean Ducharme, Dévadé, 1990, couverture

Pas plus tard que la semaine dernière, l’Oreille tendue twittait ceci : «Mon fils de 11 ans vient de dire “du coup”. Je pense à le déshériter.» Réponse, sibylline pour certains, de François Bon : «coudonc…».

Coudon(c), donc.

La graphie n’est pas fixée. Au «coudonc» de l’ami François ou de @Dutrizac répondent le «coup donc» de Sylvain Hotte (Attaquant de puissance, p. 218) et le «coudon» de Réjean Ducharme (Dévadé, p. 44) ou de Marc Beaudet et Luc Boily (Gangs de rue, p. 17).

@machinaecrire en propose l’origine suivante : «Principe d’économie : “Écoute donc” devient “‘cout’donc” devient “coudonc” devient “coudon”. Ah bin, coudon.» Il rejoint par là le Dictionnaire de la langue québécoise (1980) de Léandre Bergeron (p. 151), qui choisit la graphie coudon.

Quel est le sens de cette interjection ? Ce n’est pas plus simple. Voici au moins deux possibilités.

Elle marque l’exaspération : Où t’a mis l’aide maritale, coudon !?

Elle peut clore une discussion, faute d’argument à opposer à son interlocuteur : Il a marié sa sœur ?! Coudonc…

Il existe aussi un usage vaguement interrogatif.

Coudon(c), è don ben bruyante, ton aide maritale ?!

On l’aura compris : le c final ne se prononce habituellement pas.

 

[Complément du 27 octobre 2014]

Un linguiste était bien sûr déjà passé par là :

Laurendeau, Paul, «Description du marqueur d’opérations coudon dans le cadre d’une théorie énonciative», Revue québécoise de linguistique, 15, 1, 1985, p. 79-116. https://doi.org/10.7202/602550ar

Merci à Dominique Garand pour le lien.

 

[Complément du 2 novembre 2018]

L’Oreille ne connaissait pas la graphie ‘coudonc (avec apostrophe inversée initiale). Elle la découvre dans le plus récent recueil de «récits» de Michel Tremblay, Vingt-trois secrets bien gardés (p. 45, p. 70, p. 91).

 

[Complément du 26 mars 2019]

Dès 1937, la brochure le Bon Parler français déplorait la réduction de «Écoute donc» à «Coudon» (p. 10).

 

Références

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p. Bande dessinée.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Ducharme, Réjean, Dévadé. Roman, Paris et Montréal, Gallimard et Lacombe, 1990, 257 p.

Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.

Tremblay, Michel, Vingt-trois secrets bien gardés. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 2018, 106 p.

Le zeugme (corrompu) du dimanche matin et de Jean-Paul Sartre

Portrait de Jean-Paul Sartre

«C’est un fait général, en effet, que, lorsque nous sommes dans l’impossibilité de répondre aux exigences du monde par une action, celui-ci, du coup, perd sa réalité : Gide, en gondole, la nuit, au milieu de la lagune, menacé par des gondoliers qui méditaient de prendre sa bourse et peut-être sa vie, tomba, sans perdre son sang-froid, dans un sentiment de perplexité amusée : rien n’était réel, tout le monde jouait.»

P.-S.—Pourquoi «corrompu» ? À cause de «du coup», dixit Flora Amann, qui transmet ce zeugme à l’Oreille tendue (merci). En effet.

P.-P.-S.—Mercredi soir dernier, le fils cadet de l’Oreille a utilisé «du coup». Elle pense à le déshériter.

Jean-Paul Sartre, l’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de philosophie», 1988 [1971], 1106 p., vol. I, p. 666. Nouvelle édition revue et complétée.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Concentrons-nous

François Hébert, Toute l’œuvre incomplète, 2010, couverture

Attirer l’attention sur ? Plouc. Se concentrer sur ? Ringard. Insister sur ? Passé date. Faire le point sur ? Franco-français. Dites focus(s)er. (Mettre le focus s’entend aussi.)

Certains écrivent ce verbe avec une seule s.

Premier constat : André Thouin est fort connu à son époque. Fils du jardinier du roi, il reprend la charge de son père dès l’âge de vingt ans, où il excelle malgré sa jeunesse. Il augmente considérablement les collections du Jardin des plantes, et travaille à acclimater de nouvelles espèces. C’est un golden boy de la botanique, jeune et focusé (Révolutions, p. 192).

D’autres avec deux.

Gérard pense :
Une galaxie près de chez moi ? Google ensuite
Focusse sur la terre, ensuite sur la France, sur Paris,
sur le Comète Hôtel.
(Toute l’œuvre incomplète, p. 116)

L’Oreille tendue se range dans le camp de ces derniers.

P.-S. — Définition du Dictionnaire québécois instantané (2004) : «Concentration maximale, généralement mal dirigée. J’ai focussé sur les détails» (p. 97).

 

[Complément du 11 octobre 2014]

En écrivant, ci-dessus, «une seule s», l’Oreille a-t-elle fait une coquille ?

Non, s’il faut en croire plusieurs dictionnaires anciens : «lorsque le nom des consonnes comme par une voyelle, f, h, l, m, n, r, s […] il est féminin». Cela a (un peu) changé : «Cet usage existe encore, mais le masculin prévaut très nettement, notamment parmi les grammairiens et les linguistes d’aujourd’hui» (le Bon Usage, § 470 b).

L’Oreille a découvert cette subtile «règle» en écoutant Antoine Perraud, l’animateur de Tire ta langue à la radio de France Culture.

 

Références

Fortier, Dominique et Nicolas Dickner, Révolutions, Québec, Alto, 2014, 424 p. Ill.

Grevisse, Maurice, le Bon Usage. Grammaire française, Paris-Gembloux, Duculot, 1986, xxxvi/1768 p. Douzième édition refondue par André Goose.

Hébert, François, Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture