Unités de mesure hospitalières

C’est @JoseeLegault, sur Twitter, qui a mis la puce à l’oreille de l’Oreille tendue : «Réalise-t-on au Qc qu’on parle des personnes vulnérables en termes de “lits” ?».

Une lecture cursive de la presse confirme que @JoseeLegault a vu juste : «Hôpital de Lachine. Le cinquième des lits supprimé» (la Presse, 9 janvier 2013, p. A5); «Québec suspend la fermeture de lits à l’hôpital de Lachine» (la Presse, 10 janvier 2013, p. A5); «Urgences débordées. Des opérations seront reportées pour libérer des lits» (la Presse, 18 janvier 2013, p. A5).

Un lit «fermé», pour le dire dans le jargon médical, n’est-ce pas un patient de moins ?

Remarque. En revanche, les civières, elles, ne sont jamais fermées. Poussées (ou pas) par des périsoignants, elles sont toujours prêtes à accueillir de nouveaux bénéficiaires.

Tombeau d’Ella (4) : garde-robe

Ella Fitzgerald en 1968[Ce texte s’inscrit dans la série Tombeau d’Ella. On en trouvera la table des matières ici.]

 «In olden days a glimpse of stockings
was looked down as something shocking»
«Anything Goes» (1956)

Ella Fitzgerald aimait les tenues flamboyantes, les chapeaux osés, les capes, les boas et les étoles, les manteaux de fourrure, les décolletés amples, les perruques colorées. (Un coup d’œil sur Google devrait le confirmer.)

Les textes qu’elle chante décrivent des vêtements. Les bas (stockings) sont lustrés, mais ils n’ont pas le même attrait selon qu’on est l’ancienne ou la nouvelle flamme de monsieur («Shiny Stockings», 1963). Dans «Misty» (1960), on porte un chapeau et un (seul) gant; dans «Miss Otis Regrets» (1956), une robe de velours («her velvet gown»). Le pyjama de «Hard Hearted Hannah» (1955), «The vamp of Savannah / The meanest gal in town», siérait à un ours polaire. Pas de fourrure de martre, cependant, pour celle qui chante «I Got a Guy» (1937). L’homme qui s’exprime par la voix d’Ella Fitzgerald dans «Brown-Skin Gal (In the Calico Gown)» (1965) parle chiffons : «gown», «sarong», «necklace», «a sky-blue bonnet with pink ribbons».

Ce sont cependant les pantalons qui devraient retenir l’attention, par exemple ceux de «Too Darn Hot» (1956 : «Mr Pants») ou de «Cutie Pants» (1964). À certains moments, on regrette de ne pas les avoir froissés : «I’ve never mussed the crease in your blue serge pants» («A Fine Romance», 1957). À d’autres, on les vénère : «I’ll sing to him / Each spring to him / And worship the trousers that cling to him» («Bewitched», 1956). Il arrive encore qu’il faille se résigner à mettre fin à ce qu’ils nous font ressentir : «Romance / Fini / Your chance / Fini / Those ants that invaded my pants / Fini» («Bewitched», 1956).

La chair est une étoffe.

[Les dates entre parenthèses devraient être celles des enregistrements. Elles ne sont pas toujours fiables.]

Illustration : Ella Fitzgerald, 1968, photo déposée sur Wikimedia Commons

Les zeugmes du dimanche matin et de François Hébert

François Hébert, De Mumbai à Madurai, 2013, couverture

«Son alter ego fait du stop, prend des bus, des bières et son temps» (p. 64).

«Zeus aussi visitait les mortelles et celles-ci en perdaient des plumes, leur réputation et à coup sûr leur virginité» (p. 73).

François Hébert, De Mumbai à Madurai. L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi. Récit, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2013, 127 p. Ill.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le polyglotte est-il un pervers ?

Jean Echenoz, le Méridien de Greenwich, 1979, couverture

«Ils commandèrent deux cognacs, après quoi Lafont demanda à Selmer ce qu’il faisait dans la vie, à quoi Selmer répondit qu’il était traducteur sans travail. L’autre lui demanda combien de langues il connaissait.

— Quinze, arrondit Selmer.

— Polyglotte, chuchota le géant avec un sourire de connivence clandestine, comme si Selmer venait de lui avouer quelque perversion.

La consonance particulière de ce mot semblait évoquer dans son esprit une signification analogue à celle d’autres termes, comme pédophile ou coprophage.»

Jean Echenoz, le Méridien de Greenwich. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 255 p., p. 52.

P.-S. — On appréciera le «arrondit» en incise.

Parlons café (fort)

Soit ce tweet : «Aussies baristas call a skinny decaf a “Why Bother ?”» (@Nigella_Lawson).

Et celui-ci : «J’aime bien, dans un café de la gare de Montréal, commander un expresso déca. Juste pour entendre la préposée crier “un expresso sans plomb”» (@Ant_Robitaille).

On se moque d’eux. Pourquoi se donner la peine de boire cela («Why Bother ?») ? Pourquoi se priver de l’essence du café (le «plomb») ? S’il y a des buveurs de décaféiné dans la salle, en Australie («Aussies») comme au Québec, ils devraient se plaindre.