Aide à la prononciation demandée

Chez M éditeur, Robert Cadotte vient de publier un livre intitulé Lettre aux enseignantEs. Le E majuscule serait là, féminisation mécanique oblige, pour indiquer que le livre s’adresse «aux enseignants et aux enseignantes», mais qu’il y a plus d’enseignantes que d’enseignants.

Question un peu bête (l’Oreille en convient) : comment demande-t-on ce titre à son libraire ? Doit-on tenir compte de la majuscule ? Faut-il y faire sentir l’accent tonique ?

Ça ne va pas de soi. La preuve ? Entendu à la radio hier soir, l’auteur lui-même ne sait pas quoi faire avec son propre titre.

 

Référence

Cadotte, Robert, Lettre aux enseignantEs. L’école publique va mal ! Les solutions dont on ne veut pas parler, M éditeur, coll. «Mobilisations», 2012.

De l’écrapou

Ceci, du plus récent Michael Connelly, The Drop (2011) : «The jumpers were called splats.» Les suicidés qui choisissent la voie des airs («jumpers») sont désignés par le son qu’ils font en arrivant au sol («splats»).

Existe-t-il un mot au Québec pour ce qui s’écrabouille ? Oui : écrapou, dont la popularité, sinon l’invention, reviendrait aux humoristes du groupe Rock et belles oreilles (RBO pour les intimes). On a pu dire d’eux qu’ils étaient les «rois de l’écrapou» (Progrès-Dimanche, 19 juillet 2009, p. 34).

«Application mobile RBO 3.0»

Exemples journalistiques : de nombreux amateurs de hockey «assuraient que les Red Wings de Detroit feraient “de l’écrapou” avec le Tricolore» (la Presse, 26 janvier 2012, cahier Sports, p. 2); «je suis aussi en faveur du remplacement de l’échangeur Turcot, ne serait-ce que pour ne pas finir écrapou dans ma vieille Passat sous une dalle de béton pourri» (la Presse, 10 mai 2011, p. A10).

Écrapou est, bien évidemment, l’apocope d’écrapoutir (synonyme : écraser). Le mot — tantôt substantif, tantôt adjectif — peut signifier un fait divers sanglant, notamment du Journal de Montréal, aussi bien que le produit, voire le résidu, de ce type de fait divers. Il est également utilisé pour décrire n’importe quelle chose réduite à sa plus plate expression.

Selon le Wiktionnaire, le féminin d’écrapou serait écrapoue. Spontanément, l’Oreille tendue aurait pensé écrapoute, mais cela n’engage qu’elle.

 

Référence

Connelly, Michael, The Drop. A Novel, New York, Little, Brown and Company, 2011. Édition numérique.

Le zeugme du Super Bowl XLVI et du dimanche matin

«En fait, le principal problème des Lions, c’est qu’ils se trouvent dans la même division que les Packers de Green Bay, les champions en titre du Super Bowl qui montrent une fiche de 10-0 [et] aucun signe de ralentissement […].»

Jean Dion, «Sous un autre nom», le Devoir, 24 novembre 2011, p. B6.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Quittons ce logement

L’Oreille tendue a eu plusieurs fois l’occasion de dire son impatience devant l’usage généralisé du verbe décéder au lieu de mourir.

Elle propose de le remplacer par un verbe qu’elle trouve dans une lettre de la future Mme Roland, Marie-Jeanne Phlipon, à Marie-Sophie-Caroline Cannet, le 2 janvier 1777 : déloger.

Exemple : «À propos de philosophe, Rousseau n’est pas mort; il n’a point fait de chute comme on l’avait publié, et n’a même pas été malade. J’aurais été bien piquée qu’il délogeât ainsi sans que je fusse parvenue à le voir» (éd. de 1915, p. 3).

On peut toujours rêver.

 

Référence

Lettres de madame Roland publiées par Claude Perroud recteur honoraire avec la collaboration de Mme Marthe Conor. Nouvelle série. 1767-1780. Tome second, Paris, Imprimerie nationale, «Collection de documents inédits sur l’histoire de France publiés par les soins du ministre de l’Instruction publique», 1915, ix/588 p.

Les seins de Ginette

Beau dommage, 1974, pochette

C’est parfois difficile à croire, mais l’Oreille tendue a déjà été jeune. Dans ce temps-là, le groupe Beau dommage commençait sa carrière. Non seulement l’Oreille achetait ses disques — c’était bien avant l’audionumérique —, mais elle assistait à ses spectacles.

Elle s’est donc un jour retrouvée dans un auditorium scolaire à écouter Michel Rivard, une des voix du groupe, chanter un de ses succès, «Ginette». Souvenez-vous : «Avec tes seins pis tes souliers à talon haut.» Mais pas ce jour-là, où Rivard remplaça «seins» par un synonyme, au grand plaisir de la foule boutonneuse : «Avec tes djos pis tes souliers à talon haut.»

Djos ? Au Québec, dans la langue populaire, le mot est en effet synonyme de seins.

Ainsi, dans Gros mots (1999) de Réjean Ducharme, il est question de «djeaux» (p. 74, 83, 123, etc.) et de «rack-à-djeaux» (p. 74). Ce dernier terme est un synonyme de soutien-gorge, que Ducharme ramène parfois à sa plus simple expression : «Elle n’a plus non plus porté de soutien, que je jugeais superflu» (p. 64).

Cette synonymie entraîne trois remarques.

La graphie du mot n’est pas fixée : Ducharme choisit «djeaux» et l’Oreille a pensé spontanément à «djos», mais Léandre Bergeron propose «Jos (pron. djô)» (1980, p. 284).

Si sein peut être employé au singulier, cela ne paraît guère être le cas de djos / djeaux / jos.

Enfin, et surtout : quelle serait l’étymologie de ce mot ? Le mystère règne.

 

[Complément du 8 février 2012]

Un lecteur de l’Oreille tendue, appelons-le L’Homme-de-bien et remercions-le, découvre ceci dans le logiciel d’aide à la rédaction Antidote :

Étymologie

Du nom propre Jos, «prénom anglais masculin (diminutif de Joseph».

Remarque. — Par quelle gymnastique le sein d’une femme en est-il venu à être affublé du nom de jos au Québec ? Malgré sa forme anglaise, ce mot n’a point cette signification en anglais. Dans cette langue, Jos est un nom propre abrégeant un des trois prénoms suivants : Joseph, Joshua et Josiah.

L’histoire du français au Québec nous apprend qu’on y utilisait autrefois l’expression saint-joseph pour désigner le sein. On peut présumer qu’on a voulu dissimuler le lien entre religion et érotisme en remplaçant le terme par sa forme réduite anglaise «désanctifiée».

Pour une autre désignation du sein par un nom propre, voir : robert.

On veut bien, mais cela ne fait que déplacer la question : pourquoi saint-joseph pour sein ?

 

[Complément du 5 novembre 2015]

Le Journal de Montréal annonce qu’une enseignante de Saint-Basile-le-Grand a décidé de changer les paroles de «23 décembre» de Beau dommage, cette chanson devant être interprétée par ses élèves de la chorale de l’école primaire de la Mosaïque : «ti-cul» deviendrait «ti-gars». «“L’enseignante m’a dit qu’elle ne se sentait pas à l’aise avec le mot, surtout que le spectacle sera présenté devant des tout-petits de la maternelle à la 6e année”, rapporte Maryse St-Arnaud, porte-parole de la commission scolaire.»

Autres temps, autres mœurs.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Ducharme, Réjean, Gros mots. Roman, Paris, Gallimard, 1999, 310 p.