Verbes filiaux

«Rouler tranquille, c’est chill», Belgique, 2019, panneau routier

Fête des Pères oblige, l’Oreille tendue recevait hier ses fils (n=2). La discussion a porté, entre autres sujets, sur la non-conjugaison de certains verbes anglais dans le français familier des jeunes du Québec, qui que soient «les jeunes». Exemples : «J’vais chill au parc» (j’vais glandouiller au parc) et «J’l’ai pas snitch» (j’l’ai pas dénoncé) — là où une personne âgée comme l’Oreille aurait dit «J’vais chiller au parc» ou «J’l’ai pas snitché».

Jérôme 50 abordait en 2023 la question dans sa balado Ainsi soit chill, balado consacrée au «néofrançais» parlé au Québec, au «français québécois chilleur», au «français québécois des jeunes», au «nouveau français québécois», au «sociolecte chilleur», au «français québécois chilleur», au «français parlé par les jeunes en contexte informel».

Dans l’épisode «La conjugaison des verbes», il donne l’impression que cette façon de (non) conjuguer serait généralisée au Québec, alors qu’elle ne serait pas utilisée en Acadie.

La linguiste Marie-Ève Bouchard arrive à des conclusions légèrement différentes. Dans son étude «J’va share mon étude sur les anglicismes avec vous autres ! : A Sociolinguistic Approach to the Use of Morphologically Unintegrated English-Origin Verbs in Quebec French», elle affirme que le phénomène serait d’abord montréalais. On le repérerait aussi un peu à Sherbrooke, mais guère à Québec.

Tendons l’oreille : ces choses-là peuvent changer rapidement, se répandre ou disparaître.

 

Référence

Bouchard, Marie-Ève, «J’va share mon étude sur les anglicismes avec vous autres ! : A Sociolinguistic Approach to the Use of Morphologically Unintegrated English-Origin Verbs in Quebec French», Journal of French Language Studies, 33, 2023, p. 168-196. https://doi.org/10.1017/S0959269523000054

Accordons-nous

Première page de Libération, 4 septembre 2018C’est reparti.

En 2016, l’ensemble des éditeurs de manuels scolaires français décide d’appliquer les rectifications de l’orthographe proposées en… 1990. Commotion dans les médias. (Voir ici.)

Maintenant, c’est la Fédération Wallonie-Bruxelles qui suggère de passer à l’absence d’accord du participe passé accompagnant l’auxiliaire avoir, quelle que soit la place de ce participe dans la phrase. Nouvelle commotion.

Libération a annoncé la chose le 3 septembre en publiant une «Tribune», «“Les crêpes que j’ai mangé” : un nouvel accord pour le participe passé», signée par Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, «anciens professeurs de français». À Bruxelles, dans le Soir, des linguistes belges et français font paraître «Carte blanche : les leçons du (participe) passé». Les uns et les autres promeuvent l’invariabilité dans tous les cas avec l’auxiliaire avoir.

Les médias québécois n’ont pas été en reste; l’Oreille tendue, par exemple, a répondu aux questions de Jean-Sébastien Bernatchez de l’émission l’Heure du monde de la radio de Radio-Canada sur ce sujet.

Sa position ? Les langues évoluent. Les règles aussi. La règle d’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir pourrait être simplifiée. La centralisation de la langue française en France, voire à Paris, et le conservatisme linguistique qu’elle entraîne risquent toutefois de ralentir cette transformation souhaitable, et déjà présente chez nombre de locuteurs du français réputés par ailleurs avoir une excellente maîtrise de leur langue. Mot de la fin, donc : ne retenons pas notre souffle.

P.-S.—En 2015, l’Oreille avait consacré un mot à la question du participe passé. C’est par là,  en PDF.

P.-P.-S.—Un fois de plus, elle a utilisé, en ondes, le magnifique néologisme de son ami Jean-Marie Klinkenberg (1981, p. 46), lutétiotropisme.

P.-P.-P.-S.—Une vidéo avec ça ?

 

Références

Klinkenberg, Jean-Marie, «La production littéraire en Belgique francophone. Esquisse d’une sociologie historique», Littérature, 44, décembre 1981, p. 33-50. https://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1981_num_44_4_1360

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Langue de campagne (5)

On le sait : l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir précédé d’un complément d’objet direct pose souvent problème, notamment à l’oral. On le sait moins : il est des gens qui proposent de remplacer la règle actuelle par l’invariabilité.

Jean Charest, le chef du Parti libéral du Québec, paraît faire partie de ces gens. Il pratique volontiers, et sans s’en excuser, la réforme que prônent ces progressistes : au moins huit fois dans les débats télévisés du 19, du 20 et du 21 août , il n’a pas accordé ses participes.

Une fois n’est pas coutume : Jean Charest est le plus progressiste des chefs politiques québécois.