Leçon de langue journalistique du jour

Arnaldur Indridason, le Lagon noir, 2016, couverture

«— D’ailleurs, je ne manque pas d’occupation, j’ai mille choses à faire, reprit Rudolf, comme pour se justifier. Je suis free-lance. Pour le Journal des marins, enfin, ce genre de truc. J’ai entendu dire qu’ils voulaient me demander de revenir à la rédaction, ce n’est qu’une question de temps…

— Free-lance ? interrogea Erlendur.

— Oui, free-lance.

— Ce qui veut dire… ?

— Vous ne savez pas ce que veut dire free-lance, mon vieux ? s’agaça Rudolf, un peu plus réveillé.

— Vous voulez dire que vous êtes pigiste ? demanda Erlendur.»

Arnaldur Indridason, le Lagon noir, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir. Bibliothèque nordique», 2016, 317 p., p. 117-118. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2014.

Soyons agiles !

Publicité d’un gestionnaire de portefeuilles, Montréal, mai 2016

L’Oreille tendue a découvert que le mot agilité pouvait être une valeur universitaire à l’automne 2007. Elle se souvient très bien du lieu et de son interlocuteur.

Plus récemment, elle l’a beaucoup entendu dans son université, «transformation institutionnelle» oblige.

Le mal n’est pas que local. Que demande le doyen de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal ? «Ce dont on a besoin, c’est d’être agile[s], et nos structures administratives actuelles sont hyper lourdes.»

Les gestionnaires de portefeuilles aussi s’y mettent; voyez la publicité ci-dessus.

On n’arrête pas le progrès.

 

[Complément du 17 mai 2016]

On ne s’étonnera pas de sentir ici l’influence de l’anglais, comme le laissent penser le commentaire de Patrick Coleman ci-dessous et ce tweet :

 

[Complément du 29 décembre 2020]

Ce qui était vrai en 2007 à l’Université de Montréal l’est toujours en 2020.

«Promotion agile», Université de Montréal, 2020

 

Le sont-elles ?

À une époque, on nous encourageait à mettre en place de bonnes pratiques ou une bonne pratique : «démarche, action efficace face à une situation, un problème, facilement généralisable dans le même secteur d’activité» (le Petit Robert, édition numérique de 2014).

Cela venait bien sûr de l’anglais : best pratice(s).

C’était insuffisant. On nous a ensuite parlé des meilleures pratiques.

Aujourd’hui, il y a plus fort : les pratiques exemplaires ou pratiques d’excellence.

On n’arrête pas le progrès.

Mort au jargon

Compte Twitter du fantôme de Zoe BarnesDurant le onzième épisode de la quatrième saison de la série télévisée House of CardsChapter 50»), le président des États-Unis, le fort vilain Frank Underwood (Kevin Spacey), a une discussion avec un crack des moteurs de recherche sur Internet. Il ne comprend rien au jargon («Façon de s’exprimer propre à une profession, une activité, difficilement compréhensible pour le profane», le Petit Robert, édition numérique de 2014) de son interlocuteur, d’où cet ordre : «Give me EnglishL’Oreille tendue compte bien utiliser cette injonction un de ces jours.

P.-S. — Vendredi dernier, l’Oreille a twitté cette phrase, accompagnée du mot-clic #HouseOfCards. Quelques minutes plus tard, son tweet a été aimé par le compte du fantôme de Zoe Barnes. L’Oreille a alors twitté que son tweet avait été aimé. Le fantôme a de nouveau aimé. Joies de la récursivité !

Du nouveau du côté de l’imbibition

Le fils aîné de l’Oreille tendue a l’hospitalité innée. La semaine dernière, il avait une vingtaine d’invités, tous mâles, à la maison. Ce soir, Nuit blanche de Montréal en lumière oblige, ils devraient être «seulement» une quinzaine, des deux sexes. Comment appeler cette rencontre ? Un predrink (à prononcer pridrink). L’hôte et ses hôtes viennent boire, raisonnablement, œuf corse, avant d’aller, peut-être, boire. C’est une forme potentielle de pré-imbibition.

 

[Complément du 2 décembre 2016]

Ce soir, ils ne sont guère qu’une dizaine, de tous les sexes, mais leur nombre est suffisant pour affiner la définition. Ils ont été invités pour l’apéro; ils iront donc manger. Ce n’est pas un predrink; ils n’iront pas (seulement) boire.

À votre service.

 

[Complément du 1er octobre 2019]

Dans la langue de Malcolm Gladwell, on parlerait de «pregame» : «It’s a jargon. It’s a pre-party that involves drinking» (cité dans Talking to Strangers, p. 195).

 

Référence

Gladwell, Malcolm, Talking to Strangers. What We Should Know about the People We Don’t Know, New York, Boston et Londres, Little, Brown and Company, 2019, xx/386 p. Ill.