Néologie numérique

Le livre n’est pas mort avec l’arrivée du numérique. Il est toujours là, mais il est désormais entouré d’autres supports de lecture.

Pour les Kindle, Kobo et autres Nook, on a proposé toutes sortes de mots : livre électronique, livre numérique, livre bibliothèque, livre rechargeable, livre-ordinateur, livrel, bouquineur, ebook, reader (prononcé rideur). Comme Virginie Clayssen, l’Oreille tendue utilise volontiers liseuse.

Inversement, certains ont cru nécessaire de créer de nouveaux termes pour distinguer le livre papier du livre numérique. En anglais, cela a donné pbook (paper + book) et, péjorativement, selon @emckean, spine (dos).

Mais il n’y a pas que les livres. Comment appelle-t-on, au Japon, un livre-magazine électronique accompagné d’un cadeau collector ? Un e-mook (electronic + magazine + book). Après le blook (blog + book), le vook (video + book) et le pbook, cela va de soi.

Une question reste cependant ouverte. Des éditeurs hexagonaux veulent publier des livres instantanés, des «quick-books», dès après le second tour des élections présidentielles qui se déroulent actuellement en France, sur le candidat élu, sur le candidat défait, sur la campagne. (C’est Livres hebdo qui l’annonçait deux jours avant le premier tour.) Si on les distribue en numérique, faudra-t-il inventer e-quick-book (prononcé iquouikbouc) ? Exemple : T’as téléchargé l’e-quick-book sur Sarko ? On peut rêver plus euphonique.

Mourir le premier

L’Oreille tendue se répète (radote, diraient certains) : mourir lui sied mieux que décéder.

Mais il y a pire que décéder : pré-décéder.

Un exemple ? «Pré-décédée par son époux […]» (le Devoir, 14-15 avril 2012, p. C8).

Les bras de l’Oreille lui en tombent. Et elle attend avec appréhension post-décéder.

 

[Complément du 24 août 2016]

Le mot existe en anglais : «Today his son, who has predeceased him, lies no stiller and quieter, ensconsed in scarlet satin, than his father stands, half-eclipsed in shadow at the rear of the church» («The Weary Chronicles», p. 189).

 

Référence

Allen, Robert, «The Weary Chronicles» (1983), reproduit dans Michael Benazon (édit.), Montreal mon amour. Short Stories from Montreal, Toronto, Deneau, 1989, xix/290 p., p. 186-208, p. 189.

Il y a du pour et il y a du contre

Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos, 2010, couverture

Vous lisez, de l’Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos (2010).

Dans le premier texte, «Autoportrait du descendeur», Paul Fournel écrit, s’agissant de ski : «Les Canadiens sont arrivés sur le cirque avec la réputation de “crazy canaks” […]» (p. 12). Ce qui vous tient lieu de fibre canadienne nationale vous pousse à vous insurger. On ne doit pas confondre les «Canadiens fous à ski» (les «Crazy Canucks») et ces hybrides, qu’on imagine malgré tout de la Nouvelle-Calédonie, qui ne seraient ni tout à fait canaques ni absolument kanaks.

Puis, presque à l’autre bout du livre, Michèle Audin brosse l’«Autoportrait de la femme en quiétude» : «Les Canadiennes sont arrivées dans l’arène avec la réputation de “crazy canes à queue” […]» (p. 122). Vous êtes étonné, mais vous ne vous insurgez pas. Ne vaut-il pas mieux imaginer des «crazy canes à queue» que des «crazy canaks» ?

 

Référence

Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos, Paris, Mille et une nuits, 2010, 138 p.

Scènes de la vie linguistique autoroutière

Samedi 3 mars 2012, autoroute des Laurentides, direction nord.

À Laval, à côté du Cinéma Colossus, un immeuble sur le fronton duquel on peut lire, dans une seule langue : «Sky Venture.» Autre exemple d’extraterritorialité lavalloise ?

Quelques kilomètres plus loin, à Sainte-Thérèse, sur les murs d’un centre commercial : «Ici on wouf.»

Au retour.

Un panneau publicitaire, encore à Laval : «Relaxe, prends ton Slow Cow.»

Entre plusieurs maux, faut-il nécessairement choisir le moindre ?

Les ploucs, bis

On l’a vu : «insomniaques», c’est pour les ploucs; pour les autres, c’est «insomniacs».

Même partition dans le cahier «Les grands constructeurs» inséré dans la Presse du 29 février.

Page 21 : «À l’image de votre style de vie…» (Boisé Notre-Dame, Laval).

Page 3 : «Sax invente le lifestyle durable» (Ville de Mont-Royal).

De là à dire que les ploucs habitent Laval, il n’y a qu’un pas.

P.-S. — Oui oui : «lifestyle durable», comme le développement.