Du postcool

Selon des sources filiales (parfois) sûres, il ne serait plus cool d’être cool. Quelle qualité faut-il désormais avoir ? Qu’est-ce qui est mieux que le cool ? Le swag.

Le mot vient évidemment de l’anglais. Voir ici les définitions du Urban Dictionary, par exemple celle-ci : «Swag is a subtle thing that many strive to gain but few actually attain. It is reserved for the most swagalicious of people.»

Pour résumer : n’est pas swag qui le veut, mais qui l’est en tire gloire.

Remarque grammaticale : swag peut être tantôt susbstantif — T’as du swag —, tantôt adjectif — Il est swag.

«Je suis swag», dessin

 

[Complément du 25 août 2011]

Exemple tiré de Twitter : «Ça fait drôle d’entendre une ado de genre 12 ans dire “j’peux pas sortir avec lui, y’a pas assez de swag”.»

 

[Complément du 28 décembre 2011]

Disons-le tout net : cette entrée est la plus consultée du blogue. Pourquoi ? se demande l’Oreille tendue. Deux éléments de réponse. D’une part, la plupart des visiteurs sont redirigés ici à partir de Google.fr. D’autre part, dans les chaumières parisiennes aussi, on pratique le swag, comme l’indique ce tweet : «Je viens d’entendre à l’instant une copine de ma fille employer le terme. Donc, on a du swag aussi à Paris…» Swag n’est pas donc pas seulement québécois; il est aussi français, voire francophone.

 

[Complément du 25 avril 2012]

Pour 18 € TTC, vous pouvez acheter le tampon «#swag» de la Tamponneuse. Mais est-ce swag de l’utiliser ?

 

[Complément du 4 novembre 2012]

Le swag est (aussi) girondin.

«Swag», Saint-Émilion, novembre 2012

Photo : Maude Brisson, Saint-Émilion, novembre 2012

 

[Complément du 25 novembre 2012]

Swag est-il un acronyme de Secretly We Are Gay ? Non, dit Snopes.com, preuves à l’appui.

 

[Complément du 4 décembre 2012]

Ça y est : même Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, s’y met.

Du swag à la Bibliothèque nationale de France

[Complément du 21 décembre 2012]

On ne confondra pas le swag et le shag, cette «toison pectorale» (le Devoir, 26 mars 2004, p. B8).

 

[Complément du 21 mai 2012]

Il n’est dorénavant plus possible de laisser de commentaires sur cette entrée du blogue l’Oreille tendue. Merci à tous.

Chroniques du bilinguisme non hexagonal 002

Avant d’être chassé du Parlement d’Ottawa, le gouvernement du premier ministre Stephen Harper avait déposé un budget.

Parmi les nouveaux programmes qu’il souhaitait encourager, celui-ci : «Helmets to Hardhats

La Presse présente les choses ainsi : «Le gouvernement veut faire des militaires canadiens de retour du front des travailleurs de la construction», il veut faciliter le passage «de soldat à plombier». Ce programme, précise le journal, «n’a pas de nom en français» (23 mars 2011, cahier Affaires, p. 5).

Au moins, c’est clair.

Chroniques du bilinguisme non hexagonal 001

Cahier publicitaire inséré dans la Presse du 19 mars : «Outdooring. Un nouvel art de vivre.»

De quoi s’agit-il ?

Le Outdooring est un nouveau style de vie répondant à une demande grandissante des gens. C’est l’art de vivre à l’extérieur, dans un pavillon spécialement aménagé pour répondre à un besoin précis, dans le but de favoriser le bien-être de tous et chacun. Accessible à l’année, cette pièce extérieure, habillée et décorée pour un confort maximal, est une continuité de la maison. Elle offre la possibilité de réunir ceux que nous aimons et de recevoir beau temps mauvais temps, sans le moindre souci.

Cette prose fleurie appelle quelques questions et commentaires.

Si l’on pratique le outdooring, doit-on aussi consulter le opticien ? Se baigner dans le océan ? Couvrir ses plaies avec le onguent ?

Il existerait «une demande grandissante des gens» pour cette activité. Pourrait-elle venir d’ailleurs que «des gens» ? Des plantes ? Des animaux ? Des minéraux ?

Si on n’a pas «un besoin précis», peut-on quand même se livrer au outdooring ? Après tout, «tous et chacun», c’est un peu soi aussi.

On se réjouit de voir que le «bien-être» et le «confort maximal» sont réservés à ceux «que nous aimons». Que les autres restent chez eux !

L’«habillement» et la «décoration», ce n’est pas la même chose ? Ah.

Une dernière question, un peu bête, qui concerne la vie dedans-dedans, par opposition à la vie dedans-dehors, et vice versa. L’antonyme de outdooring est-il indooring ?

P.-S. — Plus prudent et moins publicitaire que Trevi, la firme qui vend «le Outdooring», le journal la Presse consacre un article à cette pratique dans son édition du 26 mars, «Manger, dormir… et regarder la télé dehors» (cahier Mon toit, p. 8). Le mot outdooring n’y apparaît pas une seule fois.

 

[Complément du 30 août 2011]

Une collègue de l’Oreille tendue, Monique Cormier, a fait l’histoire du mot outdooring à l’émission Médium large de la radio de Radio-Canada le 25 août 2011. On l’entend ici.

 

[Complément du 11 juillet 2012]

@JeanSylvainDube se posait la question suivante sur Twitter, le 10 juillet 2012 : «Y a-t-il des gens qui emploient “gaminet”, “hambourgeois”, “mercatique” ou “moufflet” ?» Et il répondait lui-même : «Néologismes vains…»

Que dirait-il des propositions de «traduction» pour outdooring de l’Office québécois de la langue française, propositions repérées par @PimpetteDunoyer le même jour ? L’OQLF évoque — juré craché — quatre possibilités : jardinisme, extérieurisme, tendance jardiniste et tendance extérieuriste. Définition du jardinisme : «Tendance marquée par le besoin de profiter du temps passé à l’extérieur, au jardin, en concevant l’espace disponible comme un prolongement de l’espace intérieur et en l’aménageant avec le même souci d’élégance, de confort et de convivialité qu’une pièce intérieure.»

@fbon est d’abord attristé par ces propositions, puis il suggère (ironiquement) d’utiliser le terme potagisme, alors que tendance extérieuriste fait «glousser» — à juste titre — @PimpetteDunoyer.

L’OQLF a déjà eu la main plus heureuse, par exemple quand il a retenu courriel.

 

[Complément du 14 juillet 2014]

Lisant un texte de Loïc Depecker paru en 2013, l’Oreille tendue tombe sur ceci : «Le Québec continue […] son travail de francisation, avec une avalanche d’autres termes actuellement en traitement (ce qui montre la poussée de l’angloaméricain), dont outdooring, pour lequel sont actuellement proposés jardinisme, pleinairisme, vérandalisme… Terme que la France refuse de traiter, n’y voyant pas d’intérêt particulier. Je suis sûr pour ma part, vu l’intérêt économique de tirer l’intérieur de sa maison vers le jardin ou la terrasse, que ce terme ne tardera pas à se répandre chez nous» (p. 50).

 

Référence

Depecker, Loïc, «Le français est-il une langue moderne ?», dans François Gaudin (édit.), la Rumeur des mots, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2013, p. 43-60.

La langue du carrossier

Entendu dans le deuxième épisode de la première année de la série télévisée Minuit, le soir (2004) : «Sont bâtis sur des frames de mouche.»

Remarque phonétique : «frames» venant de l’anglais, le mot se prononce frémes.

Remarque comparatiste : l’Oreille tendue connaissait le frame de chat, pas le frame de mouche.

Remarque explicative : qui est bâti sur un frame de chat, a fortiori sur un frame de mouche, est fort chétif, châssis («frame») oblige.

S’instruire par les oreilles

L’Oreille tendue aime apprendre. Dès qu’elle en a découvert l’existence, elle est donc allée lire l’article que vient de faire paraître Amy J. Ransom sur l’alternance codique («code-switching») dans la chanson québécoise contemporaine. Elle a appris plein de choses.

(Rappel, emprunté à Wikipédia : «L’alternance de code linguistique, ou code-switching, est une alternance de deux ou plusieurs codes linguistiques [langues, dialectes, ou registres linguistiques].»)

Elle ne savait pas qu’un groupe de chercheurs de l’Université McGill à Montréal, autour de Mela Sarkar, avait déjà étudié la question, mais s’agissant uniquement du rap québécois.

Elle ne connaissait pas l’existence — la liste est très loin d’être exhaustive — des groupes Standing Waltz, Frogaboum et Sens, tous chantant en français, au Québec, aujourd’hui. (L’Oreille tendue se sent parfois bien vieille.)

Elle a pu constater que le contact des langues chez les chanteurs québécois est une question récurrente, à laquelle les réponses sont fort variées. Les combinaisons du «français international standard» («Standard International French»), du «français québécois standard» («Standard Québec French») et du «français québécois vernaculaire» («Vernacular Québec French») sont nombreuses, et parfois étonnantes. En termes techniques, cela s’appelle des «heteroglossic practices» (p. 118).

Amy J. Ransom a une bibliographie pleine de trouvailles, du moins pour le non-spécialiste; elle est attentive aux inflexions de l’accent et de la prononciation; elle n’hésite pas à opposer les transcriptions des paroles des chansons à leur interprétation réelle; elle distingue les choix linguistiques des hommes de ceux des femmes. Il est même question de «pea soup» (p. 128). Bref, il y a à boire, à manger et à entendre.

Comme toujours quand on traite l’oral, il y a des choses discutables. L’Oreille tendue ne connaît personne qui dise «tabernacle», elle n’a jamais ouï qui que ce soit demander «Que se passe-tu ?», «game» est toujours employé au féminin chez les francophones, pas au masculin (p. 117). Sur un plan légèrement différent, il lui paraît difficile d’affirmer que le «français international standard» est libre de tout accent régional (p. 117); il n’y a que les muets qui n’ont pas d’accent (régional).

L’Oreille pinaillerait encore de-ci de-là, mais elle ne tient pas absolument à bouder son plaisir.

P.-S. — D’autres exemples d’«Alternance codique» ? Il y a dorénavant une catégorie pour ça, en bas, à droite.

 

Références

Low, Bronwen, Mela Sarkar et Lise Winer, «“Ch’us mon propre Bescherelle” : Challenges from the Hip-Hop Nation to the Québec Nation», Journal of Sociolinguistics, 13, 1, 2009, p. 59-82.

Ransom, Amy J., «Language Choice and Code Switching in Current Popular Music from Québec», article numérique, Glottopol. Revue de sociolinguistique en ligne, 17, janvier 2011, p. 115-131.

Sarkar, Mela et Lise Winer, «Multilingual Codeswitching in Québec Rap : Poetry, Pragmatics and Performativity», International Journal of Multilingualism, 3, 3, 2006, p. 173-192.