Dictionnaire des séries 50

Bill Stern, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», World’s Greatest True Sports Stories. Bill Stern’s Sports Book, 1952, case

«Elle adore tous ses champions
D’la rondelle et du bâton
Pour le hockey, elle peut rester trois jours sans manger»
(Léo LeSieur, «Ah ! le hockey», chanson, 1930)

 

Le bâton est un outil essentiel à tous les joueurs pour tirer, passer ou arrêter la rondelle, voire pour frapper les joueurs adverses.

Vous auriez dû voir les fameux coups d’bâton
(Oscar Thiffault, «Le Rocket Richard», chanson, 1955)

Parmi les fabricants de bâtons, Sherwood a longtemps tenu le haut du pavé, du moins dans la langue du hockey.

Love & Bennett Limited ! Tu parles d’un nom pour un bâton de hockey ! Maurice Richard jouait avec un Love & Bennett, pas un Easton ni un Sherwood. Je n’arrive pas à le croire. Et t’as vu ? Droit comme un «i». Comment pouvait-on lancer avec ça ? (le Vol de la coupe Stanley, p. 63).

On entend donc dire, par exemple, jouer du Sherwood. Autre occurrence, avec allusion culturelle à la clé :

La rondelle réussit à se frayer un chemin à travers une forêt de Sherwood (Sainte Flanelle, gagnez pour nous !, p. 78).

Plus généralement, le mot hockey désigne à la fois le sport et le bâton.

Ces merveilleux joueurs
Glissant sur leurs patins
Le hockey à la main
(Les jeunes du Mont Saint-Antoine, «Nos Canadiens», chanson, années 1960)

En France, on dit crosse. (Pas au Québec.) En Suisse, canne.

N.B. : ne jamais dire gouret, sauf si on cherche une rime avec goret, comme Jocelyn Bérubé en 2003 («Rocket», p. 34).

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Bérubé, Jocelyn, «Rocket», dans Portraits en blues de travail, Montréal, Planète rebelle, coll. «Paroles», 2003, p. 25-36. Préface de Jean-Marc Massie. Accompagné d’un cédérom.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

MacGregor, Roy, le Vol de la coupe Stanley, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 2, 2005, 140 p. Traduction de Jean-Pierre Davidts. Édition originale : 1995.

Puisque vous le dites

Samuel Cantin, Phobies des moments seuls, 2011, p. 147

Soit les deux échanges suivants, sur Twitter.

1.

@oniquet : «Fred n’est plus très jeune, mais il est une force de la nature.»

@kick1972 : «Fred a à peu près mon âge donc IL EST TRÈS JEUNE TU SAURAS.»

2.

@TigrouMalin : «S’asseoir sur la banquette du passager un pied sur le gaz en plus.»

@kick1972 : «J’étais passager vous saurez !».

Donc : l’expression tu sauras / vous saurez.

Écartons d’abord une chose : ce n’est pas un lagacisme, même si elle est utilisée dans les deux exemples ci-dessus par la même personne, Patrick Lagacé (@kick1972).

Il s’agit d’une expression commune. Elle marque la contradiction, et une contradiction forte. Traduction libre : Vous croyez cela ? Eh bien, vous vous trompez pas à peu près.

C’est toujours bon à savoir.

 

[Complément du 16 juillet 2013]

Existe aussi sous la forme si tu veux savoir. Exemple, tiré d’Alexis, plonge et compte ! d’Yvon Brochu (1989) : «…je suis plus fort que tu penses, si tu veux savoir !» (p. 26).

 

[Complément du 17 juillet 2023]

Exemple romanesque, dans Kukum (2019), de Michel Jean : «Tu crois qu’on se tourne les pouces au campement ? On travaille autant que vous autres, tu sauras» (p. 65).

 

Illustration : Samuel Cantin, Phobies des moments seuls. Les carnets du docteur Marcus Pigeon, Montréal, Éditions Pow Pow, 2011, 157 p., p. 147.

 

Références

Brochu, Yvon, Alexis, plonge et compte !, Saint-Laurent, Pierre Tisseyre, 1989, 145 p. Illustrations de Daniel Sylvestre.

Jean, Michel, Kukum, Montréal, Libre expression 2019, 222 p.

À peu près aussi bien que bon

Samuel Cantin, Phobies des moments seuls, 2011, p. 134

Il y a un an, le fils aîné de l’Oreille tendue a passé quelques jours à Paris. Caméléon linguistique, il a réussi à se fondre dans la conversation ambiante sans trop de mal. Il n’y a qu’un signe d’appartenance non autochtone dont il n’était pas parvenu à se défaire : l’emploi passe-partout du mot correct.

Ce qui, chez un Hexagonal, aurait été bien ou bon était correct chez lui — un plat, un comportement, une œuvre d’art. Utilisant correct, il ne sous-entendait aucun (léger) vice caché. On lui demandait s’il appréciait son voyage et il répondait «Correct». Pour lui, ça allait.

On trouve plusieurs bons exemples des usages québécois de correct dans le roman Comme des sentinelles de Jean-Philippe Martel, ce mot qui marque la (quasi-)satisfaction : «un “gars correct” sur qui on pouvait à peu près compter» (p. 57); «Peut-être rien d’extraordinaire, là, mais correct, tu sais ?» (p. 91); «j’ai décidé qu’il n’y avait pas de quoi m’en faire, que ce n’était peut-être pas normal, mais que ça allait, là; que c’était correct» (p. 109); «Elle dit que c’est pas correct pour lui» (p. 124); «—Tu veux peut-être que je te le rappelle ? —Non, ça va être correct» (p. 169).

Synonymes : oui et tiguidou.

Antonyme : moyen.

Remarque : dans certains cas très spécifiques, correct peut avoir valeur d’antiphrase et marquer une désapprobation (qui refuse de s’avouer). Exemple : Les enfants de X refusent de parler à leur mère. C’est correct comme ça.

Prononciation : la prononciation du t final est facultative.

 

[Complément du 19 juin 2015]

Cet usage n’est pas tout récent. On le trouve dans une pièce de théâtre de Jean-Claude Germain montée en 1969, Diguidi, diguidi, ha ! ha ! ha ! : «Bon… C’est corrèque… tu peux rentrer pis t’déshabiller» (p. 48). Sens : ça va aller. (Graphie certifiée d’origine.)

Rebelote dans une pièce de 1971, Si les Sansoucis s’en soucient, ces Sansoucis-ci s’en soucieront-ils ? Bien parler, c’est se respecter ! : «Bon, ben çé corrèque… oubliez toute s’que j’ai dit…» (p. 144). Le mot a ici valeur de concession.

 

[Complément du 26 mars 2019]

En 1937, la brochure le Bon Parler français classait «Correct. O. K.», mis pour «Ça va», parmi les barbarismes (p. 20).

 

[Complément du 29 novembre 2021]

Dans Meurtre au Forum, on peut lire ceci :

«— […] je me préparais justement à te téléphoner pour te demander de venir me rencontrer au Forum.
— C’est correct. Le temps de m’habiller et je saute dans ma voiture. Je vais être là, dans au plus vingt minutes» (p. 4).

Meurtre au Forum date de 1953.

 

[Complément du 23 mai 2022]

Confirmation de la prononciation chez le Michel Ragabliati de Paul à Québec (2009, p. 37) : «Correc !»

 

[Complément du 4 avril 2024]

Il arrive, mais plus rarement, que correct soit employé adverbialement : «Je suis correct intelligent, mais je ne suis pas super intelligent non plus» (la Presse+, 4 avril 2024).

 

[Complément du 30 janvier 2024]

Comme adverbe encore, chez Camille Giguère-Côté, en 2024 : «quand même correct gros» (p. 41).

 

Illustration : Samuel Cantin, Phobies des moments seuls. Les carnets du docteur Marcus Pigeon, Montréal, Éditions Pow Pow, 2011, 157 p., p. 134.

 

Références

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Germain, Jean-Claude, Diguidi, diguidi, ha ! ha ! ha ! [suivi de] Si les Sansoucis s’en soucient, ces Sansoucis-ci s’en soucieront-ils ? Bien parler, c’est se respecter !, Montréal, Leméac, coll. «Théâtre québécois», 24, 1972, 194 p. Ill. Introduction de Robert Spickler.

Giguère-Côté, Camille, le Show beige, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 40, 2024, 131 p. Ill. Précédé d’un «Mot de l’autrice». Suivi de «Contrepoint. Une anthropologue colorée au pays du beige», par Jean-Philippe Pleau.

Martel, Jean-Philippe, Comme des sentinelles. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 177 p.

Rabagliati, Michel, Paul à Québec, Montréal, La Pastèque, 2009, 187 p.

Verchères, Paul [pseudonyme d’Alexandre Huot ?], Meurtre au hockey, Montréal, Éditions Police journal, coll. «Les exploits policiers du Domino Noir», 300, [1953], 32 p.

L’être, ne pas en avoir l’air ni le faire

Soit les possibilités suivantes.

Être smatte : être aimable, attentionné, gentil.

Avoir l’air smatte : faire bonne impression.

Exemple : Ta nouvelle dulcinée a l’air smatte; Justin Trudeau n’a pas l’air smatte.

Avoir l’air smatte : se retrouver dans une position désavantageuse, souvent par sa propre faute.

Exemple : «Moi qui ne sais même pas réparer une crevaison. J’ai l’air smatte. #velomtl #smatte #flat http://t.co/IyesdYW0PG» (@LucieBourassa).

Faire son smatte : rouler les mécaniques.

«Au Québec, désigne quelqu’un qui se considère très supérieur et qui ne se gêne pas pour le faire savoir» (Un Québec si lointain, p. 211).

On ne les confondra pas.

Remarques grammatico-orthographiques

On peut employer le mot smatte comme nom ou comme épithète.

«@PimpetteDunoyer Que dire des smattes qui sortent déjà, à 8 degrés, en short (version cuissarde ou standarde) et en camisole ? #VeloMtl» (@LucieBourassa).

Le mot vient de l’anglais smart (intelligent, malin, futé, astucieux, habile, etc.).

À côté de smatte, on trouve donc, à l’occasion, la graphie smarte.

Albert Chartier et Claude-Henri Grignon mêlent les deux («smarte», p. 171; «smatte», p. 207).

Albert Chartier, Séraphin

Albert Chartier, Séraphin

 

[Complément du 29 avril 2013]

Daniel Lavoie a interprété une «Danse du smatte».

 

Références

Dubois, Richard, Un Québec si lointain. Histoire d’un désamour, Montréal, Fides, 2009, 213 p.

Grignon, Claude-Henri et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

Juron ressuscité ?

Il y a deux ans, l’Oreille tendue l’évoquait parmi les «versions édulcorées» des jurons québécois, les «sacres», mais sans trop croire à sa permanence. Y avait-il encore quelqu’un pour utiliser le mot «torpinouche» ?

Il semble que oui. «Torpinouche, un accident !» peut-on lire en titre dans la Presse du 2 avril (cahier Affaires, p. 9).

Ce «juron inoffensif», dixit Léandre Bergeron (1981, p. 159), survivra donc ailleurs que dans l’œuvre d’Albert Chartier.

Albert Chartier, «Délassements nocturnes», le Bulletin des agriculteurs, novembre 1955

«Délassements nocturnes», le Bulletin des agriculteurs, novembre 1955.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Chartier, Albert, Onésime. Les aventures d’un Québécois typique, Montréal, L’Aurore, coll. «Les p’tits comiks», 1, 1974, [s.p.] Ill. Présentation de l’auteur.