Henri Richard (1936-2020)

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny, 1975, p. 44

«Maurice Richard était plus talentueux que Gordie Howe.
Henri Richard était plus talentueux que Maurice Richard.»
Michel-Wilbrod Bujold,
les Hockeyeurs assassinés

«Dans un sens, j’aurais mieux aimé ne pas être un Richard,
le frère de l’autre.»
Henri Richard, dans Louis Chantigny, Mes grands joueurs de hockey

«He was more like an uncle to me
Henri Richard, dans Michael A. Smith, Life after Hockey

Henri Richard a joué vingt saisons avec les Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Il a établi un record dont on peut penser qu’il ne sera jamais égalé : à titre de joueur, il a remporté onze fois la Coupe Stanley, le championnat de la Ligue nationale de hockey. Pourtant, on le ramène souvent à un seul trait de son identité : il était le frère cadet de Maurice Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey. Il est vrai qu’il n’a pas eu la fortune socioculturelle de son aîné, mais n’était-il que cela, «le frère de l’autre» ?

Maurice étant «Le Rocket», son frère, plus petit et plus léger que lui, sera «Le Pocket Rocket». (Un troisième frère, Claude, a brièvement été surnommé «Le Vest Pocket Rocket», mais il ne fera pas carrière.) Avant même qu’Henri ne signe un contrat avec les Canadiens, son aîné (de quinze ans) a été son défenseur. Le 6 décembre 1952, dans sa chronique du journal Samedi-Dimanche, il critique vertement des amateurs de hockey de la ville de Québec, nommément ceux du quartier Saint-Sauveur, qu’il traite de «bandits», à cause du traitement qu’ils auraient réservé à Henri. L’affaire a des échos politiques. Le député provincial de Saint-Sauveur, Francis Boudreau, soulève la question au Parlement de Québec. Le conseil municipal de Québec demande une rétractation au journal. Richard persiste et signe, majuscules à l’appui, le 20 décembre :

Je ne rétracte rien de ce que j’ai dit il y a deux semaines sur certaines gangs de Québec, sauf le mot «bandit». Mon «Ghost-Writer» m’admet courageusement que c’est un de ses jurons favoris et qu’il l’emploie régulièrement quand il a des sautes d’humeur sans signifier pour cela que le «bandit» est un meurtrier ou un voleur de grand chemin.
TOUT CE QUI A ÉTÉ PUBLIÉ AUTREMENT, C’EST MOI QUI LE LUI AI DICTÉ […].

Par la suite, les Richard seront coéquipiers durant cinq saisons, de 1955-1956 à 1959-1960. Henri se défendra tout seul.

Dans le roman L’anglais n’est pas une langue magique de Jacques Poulin (2009), le narrateur, Francis, le frère du «vieux Jack», est lecteur professionnel. Il ne cesse de se décrire comme «un petit frère» (p. 34), ce qui est péjoratif chez lui, d’où son identification à Henri Richard :

D’après mon livre, Henri Richard était plus petit et plus léger que Maurice. Il ne parlait pas l’anglais et ne disait pas un mot dans le vestiaire. Mais, sur la patinoire, il était très rapide. Il avait son propre style : il marquait un grand nombre de buts en s’appuyant de tout son poids sur l’adversaire qui tentait de le mettre en échec. Ses succès me réchauffaient le cœur et, par moments, j’avais l’impression de grandir à travers lui (p. 35-36).

La réduction du cadet à son rôle de «petit frère» est beaucoup moins heureuse dans le livre pour la jeunesse Connais-tu Maurice Richard ?, de Johanne Ménard, où elle atteint un sommet de ridicule : «Fais-moi une passe ou je le dis à maman !» dit Henri à Maurice (p. 54).

C’est à Henri Richard qu’on attribue une confusion, largement citée, entre «l’aine» et «la laine». C’est à cela que pensaient (sans doute) Jean Dion dans le Devoir du 18 mars 2014 quand il parlait d’«une laine d’une flexibilité à faire peur» (p. B6) et (sûrement) Richard Garneau dans son roman (à clefs) Train de nuit pour la gloire ou 45 jours à la conquête de la coupe Stanley : «Répondant à une question de Jean-Maurice sur son état de santé, le centre Henri Rivard répondit qu’à part une blessure à la laine (sic), tout allait comme sur des roulettes» (p. 170).

Des prosateurs ont mis en scène des matchs bien précis du «Pocket Rocket». Pour le narrateur des Ponts de Jean-François Chassay (1995), c’est le dernier match de la saison 1970-1971, quand les Canadiens remportent la Coupe Stanley contre les Black Hawks de Chicago après que Richard eut dénigré publiquement son entraîneur, Al McNeil : «La troisième période restera dans les annales comme celle d’Henri Richard : deux buts» (p. 194). Pour le Samuel Archibald d’Arvida (2011), il s’agit d’un match de 1978 opposant «les Anciens Canadiens aux étoiles de la ligue commerciale d’Arvida» (p. 221) : Henri joue, Maurice arbitre; les choses ne se déroulent toutefois pas tout à fait comme prévu. C’est encore dans l’équipe des Anciens Canadiens que se retrouve Henri dans Une dangereuse patinoire (2002) de Roy MacGregor : «C’était bel et bien lui, les cheveux tout blancs, mais les yeux noirs toujours aussi perçants que sur la photo de sa carte de hockey» (p. 135). (En 2012, dans son Histoire du hockey, Philippe Cantin évoque le même match que Chassay : «Lors de cette belle soirée de printemps, dans un Stadium de Chicago transformé en fournaise, Henri Richard remporta son pari» [p. 370].» Jusqu’en 1986, les Backhawks étaient les Black Hawks.)

Interrogé par Michael A. Smith, Henri Richard dit qu’enfant il avait deux rêves, jouer au hockey et posséder une taverne (Life after Hockey, p. 114). Son rêve a été exaucé : de 1960 à 1986, il a été le propriétaire d’une taverne montréalaise, avenue du Parc. Pour le dramaturge Rick Salutin, en 1977, cela paraît avoir été positif sur le plan financier : «He is the prosperous owner of an excellent tavern» (les Canadiens, p. 156, didascalie). Pour J.R. Plante, deux ans plus tôt, dans une analyse (lourdement) idéologique des relations de travail dans le monde du hockey, elle est un des pôles d’une relation (lourdement) binaire :

Le Forum est cachottier et hypocrite. La taverne d’Henri est un lieu de cartes honnêtement mises sur la table, où les sentiments se révèlent à la lumière au lieu de se camoufler, où les gens disent franchement ce qu’ils pensent. La taverne est francophone. Le Forum est anglophone. Le Forum est le lieu du mépris et de l’humiliation. La taverne, celui de l’amitié et de la fraternité (p. 56).

L’Oreille tendue pourchasse depuis plusieurs années les représentations du sport dans la culture québécoise; celles-ci sont rarement très originales. S’agissant de l’ancien numéro 16 des Canadiens, on peut en signaler deux qui se démarquent.

En 1974, Anna McGarrigle a rendu «Hommage à Henri Richard» (2 minutes 13 secondes, disque 45 tours, étiquette PAC 4411 Pacha, paroles ici). L’homme a beau être un «petit bonhomme brave», il sera «bientôt canonisé». C’est à la fois un tavernier («Vous comptez trop et la bière est gratuite / Tavernier vous allez faire faillite») et un chevalier («Son épée est le cœur du Canadien»). Voilà des images neuves sur une figure connue. (Dans son livre intitulé Rocket Richard, Andy O’Brien évoque une chanson de 1960, «The Rocket, The Pocket and Boom», ce dernier étant Bernard «Boum-Boum» Geoffrion [p. 130-131]. Elle ne paraît pas avoir été enregistrée.)

Au milieu des années 1960, le personnage principal du long métrage de fiction Histoires d’hiver (1998, réalisation de François Bouvier, scénario «Inspiré du roman de Marc Robitaille [1987 et 2013], “Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey”»), Martin Roy, a douze ans. Il termine ses études primaires. C’est un fan d’Henri Richard. Au mur de sa chambre, il y a une couverture du magazine Sport revue, avec Richard, et d’autres affiches de joueurs. Il lui a écrit pour essayer d’obtenir des billets pour un match des Canadiens au Forum de Montréal, en prétendant être malade. Il est démasqué. Il ne recevra qu’une lettre de Richard, accompagnée d’une brochure sur l’art de jouer au hockey. Plus tard, il s’inspirera d’un article de magazine sur les frères Richard pour une de ses rédactions : au nom des joueurs de hockey, il substituera celui de Samuel de Champlain. Il sera louangé par sa maîtresse devant les autres élèves, qui avisera aussi ses parents d’une pareille réussite littéraire.

Qu’Henri Richard soit d’abord, pour les créateurs, comme pour les journalistes et pour les fans, un membre de la famille ne doit pas étonner. Au Québec, le hockey est un legs, un patrimoine, un héritage, transmis, familialement, d’une génération à l’autre.

P.-S.—On peut voir et entendre Henri Richard dans le film Un jeu si simple (Gilles Groulx, 1964) sur le site de l’Office national du film du Canada.

P.-P.-S.—La ville de Laval, en 2017, a inauguré un complexe sportivo-spectaculaire, la Place Bell. Henri Richard allait y être honoré, annonçait la Presse+ du 1er septembre 2017. Une somme de 75 000 $ avait été prévue pour une œuvre d’art public, rapportait le Devoir du 16 novembre 2017, qui évoquait ce «Lavallois d’adoption» (p. B7). C’est chose faite le 29 octobre 2018, avec l’inauguration de Henri Richard, un grand parmi les grands, de Louise Lemieux Bérubé : «L’œuvre est composée d’interprétations en tissage de photographies rappelant Henri Richard en tant qu’homme et joueur de hockey. Mme Lemieux Bérubé a retravaillé, recadré et converti en noir et blanc des photos d’archives, en plus de reprendre le poème inscrit sur le mur du vestiaire du Canadien de Montréal» (la Presse+, 30 octobre 2018).

 

Illustration : Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p., p. 44.

 

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

[Complément du 15 octobre 2020]

Hier, au micro d’Annie Desrochers à l’émission de radio le 15-18 de Radio-Canada, l’Oreille tendue a commenté un ouvrage récent, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley (2020), et réfléchi à la place du Pocket Rocket dans la culture québécoise.

 

Musicographie (par ordre chronologique)

Oswald, «Les sports», mars 1960, 2 minutes 6 secondes, disque 45 tours, étiquette Fleur de lys FL-194; repris dans le disque collectif 14 bonnes chansons jouals, années 1960, disque 33 tours, étiquette Reel 14 R-8.

Les Jérolas, «Le sport», 1967, 3 minutes 28 secondes, disque 45 tours, étiquette RCA Victor PCS-1165, composition de Jérôme Lemay.

Anna McGarrigle, «Hommage à Henri Richard», 1974, 2 minutes 13 secondes, disque 45 tours, étiquette PAC 4411 Pacha.

André Brazeau, «Ti-Guy», Pour toi et ton père, disque audionumérique, 2002, 2 minutes 52 secondes, étiquette Studio ABC.

Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», la Ligne orange, 2008, 5 minutes 35 secondes, disque audionumérique, étiquette Disques Victoire VIC23661.

Loco Locass, «Le but», 2009, 5 minutes 8 secondes. Repris sur Le Québec est mort, vive le Québec, 2012, étiquette Audiogramme.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny». Texte : Arsène. Dessin : Girerd. Bande dessinée.

Bujold, Michel-Wilbrod, les Hockeyeurs assassinés. Essai sur l’histoire du hockey 1870-2002, Montréal, Guérin, 1997, vi/150 p. Ill.

Cantin, Philippe, le Colisée contre le Forum. Mon histoire du hockey. Tome 1, Montréal, La Presse, 2012, 538 p. Ill.

Chantigny, Louis, «Henri Richard», dans Mes grands joueurs de hockey, Montréal, Leméac, coll. «Éducation physique et loisirs», 1974, p. 81-94.

Chassay, Jean-François, les Ponts. Histoire d’une famille, Montréal, Leméac, 1995, 259 p.

Dion, Jean, «Dans la tête», le Devoir, 18 mars 2014.

Garneau, Richard, Train de nuit pour la gloire ou 45 jours à la conquête de la coupe Stanley. Roman, Montréal, Stanké, 1995, 239 p.

MacGregor, Roy, Une dangereuse patinoire, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 7, 2002, 151 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1998.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Ménard, Johanne, Connais-tu Maurice Richard ?, Waterloo (Québec), Éditions Michel Quintin, coll. «Connais-tu ?», 5, 2010, 63 p. Illustrations et bulles de Pierre Berthiaume.

O’Brien, Andy, Rocket Richard, Toronto, The Ryerson Press, 1961, x/134 p. Ill.

Plante, J.R., «Crime et châtiment au Forum (Un mythe à l’œuvre et à l’épreuve)», Stratégie, 10, hiver 1975, p. 41-65.

Poulin, Jacques, L’anglais n’est pas une langue magique. Roman, Montréal, Leméac/Actes Sud, 2009, 155 p.

Richard, Denis, en collaboration avec Léandre Normand, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley, Montréal, Éditions de l’Homme, 2020, 234 p. Ill. Préface de Ronald Corey. Avant-propos de Léandre Normand.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Salutin, Rick, avec la collaboration de Ken Dryden, les Canadiens, Vancouver, Talonbooks, 1977, 186 p. Ill.

Smith, Michael A., «Henri Richard», dans Life after Hockey. When the Lights are Dimmed, St. Paul (MN), Codner Books, 1987, p. 109-116.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Histoire(s) de pied(s)

Publicité pour Volkswagen, la Presse+, mai 2017

Le verbe signifie taper sur quelque chose avec son pied. C’est vrai d’un personnage d’Attaquant de puissance, de Sylvain Hotte, représenté «kickant de la garnotte» (2010, p. 22).

Dans un article récent sur le français canadien, signé par Salvatore Digesto et Shana Polack, il est question du même verbe, mais dans un sens figuré (du moins on l’espère) :

il arrive qu’en français canadien soient incorporés des mots anglais dans le discours […] : «Je ne peux pas te kicker dehors.» […] Selon l’idée reçue, ces manifestations attribuées au contact de l’anglais modifieraient la structure grammaticale du français canadien. Or, les études empiriques ont démontré le contraire. […] le mot kicker, d’origine anglaise, porte la marque d’une terminaison française contrairement à son équivalent anglais, kick. Ainsi, les mots anglais insérés dans un discours en français revêtent la grammaire française, se comportant comme n’importe quel mot français (p. 94).

Le substantif peut renvoyer à un geste sportif (un beau kick), mais aussi à l’attrait qu’une personne ressent pour une autre. C’est le cas, en quelque automobile sorte, dans la publicité ci-dessus. Ce l’est aussi dans la bande dessinée Je sais tout de Pierre Bouchard : «Sérieux, j’pense qu’a l’a un kick solide sur Reynald !» (2014, p. 11) On peut imaginer que, dans ces deux cas de béguin, le rapport au pied est moins immédiat que dans les précédents, mais il existe néanmoins : ne s’agit-il pas d’espérer prendre son pied ?

Pierre DesRuisseaux, dans son Trésor des expressions populaires (éd. de 2015, p. 185-186), indique d’autres sens pour ce mot, outre s’amouracher ou s’enticher : donner un (gros) kick (procurer un plaisir intense), être son kick (être son plaisir), faire quelque chose pour le kick (faire quelque chose par plaisir), perdre son kick (ne plus prendre plaisir à quelque chose) et se donner un kick (se donner de l’exaltation, du plaisir).

 

[Complément du 15 août 2022]

L’objet du désir — la personne pour laquelle on a le béguin — est lui-même un kick. On le voit dans un poème de Carolanne Foucher :

je voudrais vous ranger sagement
avec mes autres kicks passés
dans la pochette de mon sac à dos de cégep (p. 89)

 

Références

Bouchard, Pierre, Je sais tout, Montréal, Éditions Pow Pow, 2014, 106 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Digesto, Salvatore et Shana Polack, «Le français canadien, un français comme les autres. Tomber en amour ne vient donc pas de “to fall in love” ? Dommage !», France Forum, nouvelle série, 65, avril 2017, p. 93-94.

Foucher, Carolanne, Submersible. Poésie, Montréal, Éditions de ta mère, 2022, 133 p.

Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.

Tombeau d’Ella (11) : Montréal, Québec

Mots croisés, la Presse, 2 juillet 2011

[Ce texte s’inscrit dans la série Tombeau d’Ella. On en trouvera la table des matières ici.]

Qu’en est-il d’Ella Fitzgerald, du Québec et de Montréal ?

D’après la collection numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, la radio la fait tourner dès 1939, les journaux s’intéressent à sa vie, on la verra souvent à la télévision (par exemple dans The Ella Fitzgerald Show).

Elle a ses fans, parmi les chanteuses (surtout) et les chanteurs — Pauline Julien, Monique Leyrac, Louise Forestier, Joha­­nne Blouin, Ginette Reno, Colette Boky, Martine St-Clair, Monique Fauteux, Bob Walsh, Nikki Yanofsky, Ima, Florence K, Céline Dion, Jessica Vigneault —, les musiciens — Bernard Labadie —, les disc-jockeys — Misstress Barbara — et les critiques — Claude Gingras à la Presse, Gilles Archambault au Devoir et à la radio de Radio-Canada, Sylvain Cormier et Serge Truffaut au Devoir. En 2008, Marie Michèle Desrosiers chante «En écoutant Ella» (Marie Michèle se défrise), paroles de Clémence DesRochers, musique d’Ariane Moffatt.

Ella Fitzgerald s’est souvent produite sur scène à Montréal.

Certaines sources disent qu’elle aurait chanté dans une célèbre boîte de jazz, le Rockhead’s Paradise, mais les journaux actuellement numérisés sont muets là-dessus.

Ella Fitzgerald a occupé plusieurs fois le Forum (1953, 1954, 1955, 1956), le plus souvent avec la tournée Jazz at the Philharmonic de Norman Granz. Les affiches de ces spectacles étaient alléchantes : outre Ella Fitzgerald, on pouvait y entendre Roy Elridge, Buddy Rich, Oscar Peterson, Herb Ellis, Dizzie Gillespie, Louis Belson, Flip Phillips, Buddy De Franco, Ben Webster, Gene Krupa, Stan Getz, Illinois Jacquet, le Modern Jazz Quartet, Jo Jones, Sonny Stitt, Ray Brown, Eddie Shu.

Boris Vian, dans sa «Revue de presse» du magazine Jazz Hot, évoque un de ces concerts, celui du 20 septembre 1955 : «voici une lettre d’un lecteur canadien, Robert Castets, qui a l’amabilité de m’envoyer un extrait de la première d’un concert de J.A.T.P. de Montréal, où l’on apprend, ce qui n’est pas pour nous surprendre, qu’Ella et Lester Young furent les triomphateurs de la soirée (onze mille personnes…). Bien le bonjour, Castets, et merci !» (no 104, novembre 1955; repris dans Œuvres, vol. 6, p. 483)

À partir de 1967, elle sera accueillie à quelque reprises à la Place des arts, salle Wilfrid-Pelletier, puis, à partir de sa création en 1980, au Festival international de jazz de Montréal (1983, 1987). (L’Oreille tendue l’y a entendue le 28 juin 1981; ce fut la seule fois. La chanteuse partageait la scène avec le trio de Jimmy Rowles, Oscar Peterson et Joe Pass.) Depuis 1999, le prix Ella-Fitzgerald de ce festival «vient chaque année souligner la portée, la flexibilité et l’originalité de l’improvisation et la qualité du répertoire d’une chanteuse ou d’un chanteur de jazz reconnu sur la scène internationale». La même année, un concert-hommage réunissait Jeri Brown, Ranee Lee, Karen Young et le Vic Vogel Big Band.

Il allait donc de soi qu’Ella Fitzgerald fasse une apparition, même discrète, dans l’excellent roman graphique la Femme aux cartes postales du tandem Eid / Paiement (2016, p. 110).

Ella Fitzgerald aurait eu cent ans aujourd’hui.

P.-S. — Il n’y a malheureusement pas un mot sur la chanteuse dans l’histoire du jazz à Montréal de John Gilmore (1988).

P.-P.-S. — En bonne fan, l’Oreille serait preneuse de tous renseignements pouvant étoffer ce premier aperçu de la présence québécoise d’Ella Fitzgerald.

Illustration : la Presse, 2 juillet 2011, Arts et spectacles, p. 22.

 

Références

Eid, Jean-Paul et Claude Paiement, la Femme aux cartes postales, Montréal, La Pastèque, 2016, 227 p. Roman graphique.

Gilmore, John, Une histoire du jazz à Montréal, Montréal, Lux, coll. «Mémoire des Amériques», 2009, 411 p. Ill. Traduction de Karen Ricard. Préface de Gilles Archambault. Édition originale : 1988.

Vian, Boris, Œuvres. Tome sixième, Paris, Fayard, 1999, 645 p. Édition publiée sous l’autorité d’Ursula Vian Kübler. Sous la direction de Gilbert Pestureau. Édition établie et présentée par Claude Rameil. Documentation et archives : Nicole Bertolt.

Le zeugme du dimanche matin et de Guy Delisle

Guy Delisle, Chroniques de Jérusalem, 2011, couverture

«Mine de rien, cette bouteille de cornichons fait quand même son poids. Je me donne en spectacle devant un parterre de journalistes, essayant tant bien que mal de garder mon équilibre et le peu qu’il me reste de fierté.»

Guy Delisle, Chroniques de Jérusalem, couleur : Lucie Firoud & Guy Delisle, Paris, Guy Delcourt productions, 2011, 333 p., p. 44.

P.-S. — Ce n’est pas le seul zeugme de ce livre et de Guy Delisle (voir ici).

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

En un 28 décembre

Pierre Bouchard, Je sais tout, 2014, quatrième de couverture

L e 28 décembre 1944, les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — jouent un match au Forum contre les Red Wings de Detroit. Les Canadiens l’emportent 9 à 1. Le célèbre ailier droit Maurice «Rocket» Richard marque cinq but et obtient trois passes. Or, plus tôt ce jour-là, il avait participé à un déménagement et il se sentait fatigué; il aurait même hésité à jouer. Cet événement fait partie de ceux qui ont fait de Maurice Richard un mythe québécois. La culture, sous toutes ses formes, s’est assurée que ce ne serait pas oublié.

Dès 1945, une «Poésie à la “Jean Narrache” due à la plume de Camil DesRoches et dédiée à Maurice “Record” Richard» est «débitée à la Parade Sportive le 14 janvier 1945 au poste CKAC». Dans ce poème sur feuille volante, on lit les strophes suivantes :

Y’a quinze jours, au Forum, on jouait contre Détroit,
La foule espérait bien voir nos gars l’emporter,
Richard, plus que jamais, accomplit un exploit,
Prenant part à huit points, au cours de la soirée.

En effet, ce soir-là, Maurice joua en «scieronde»,
Il sut compter deux points en moins de huit secondes,
Et ce ne fut pas tout… Il compta trois autr’s points,
Et eut trois assistances… Çé-tu assez ?… J’pense ben !

Pour lui ce fut ben simple. Il se mit à jouer,
Et puis à patiner comme il le sait si bien,
Et le gardien des Wings, un gars du nom d’Lumley,
Vit tell’ment d’caoutchouc… Qu’il ne voyait plus rien.

C’est la même anecdote qu’ont retenue les concepteurs de la série de courts métrages «La minute du patrimoine» Historica quand ils ont décidé d’y accueillir Maurice Richard en 1997. (Roy Dupuis y incarne le joueur.)

Au moment de la mort de Richard, en mai 2000, le premier ministre de l’époque, Lucien Bouchard, lui rend hommage à l’Assemblée nationale :

Quatre décennies plus tard, la légende de Maurice Richard est toujours aussi vivante. Peu d’entre nous l’on pourtant vu jouer, imaginant cependant ses descentes à l’emporte-pièce pendant la description des matchs à la radio. La plupart ne le connaissent que de réputation ou par des films d’archives. Tous ont entendu l’histoire de cette journée de décembre 1944 où, après avoir déménagé le piano de sa famille dans les escaliers de l’est de Montréal durant la matinée, il marqua le soir cinq buts — incroyable, mais cinq buts — et participa à trois autres dans la même journée (Journal des débats, 36e législature, 1re session, 30 mai 2000).

Le chef de l’opposition officielle, Jean Charest, n’est pas en reste :

Contrairement à plusieurs, je n’ai pas eu l’occasion, moi, de voir jouer Maurice Richard. Pourtant, j’ai tellement de souvenirs de lui que j’ai l’impression d’avoir été là ce soir-là, au Forum, quand les cinq buts ont été comptés. Et c’est un sentiment qui est partagé par plusieurs autres citoyens du Québec, tellement on a vécu, tellement on s’est abreuvés aux récits que nous racontaient nos parents au sujet de Maurice Richard (Journal des débats, 36e législature, 1re session, 30 mai 2000).

Dans son film Maurice Richard (2005), Charles Binamé lui consacre quatre minutes (de la 61e à la 65e). L’année suivante, Gaël Corboz publie un roman pour la jeunesse intitulé En territoire adverse, où il est question du match du 28 décembre, mais l’auteur le situe (malheureusement) en… 1943 (p. 73-77).

Vous voulez apprendre l’anglais à l’école primaire ? Du matériel pédagogique porte (évidemment) là-dessus.

Matériel pédagogique, Commission scolaire de Montréal, 2008

En quatrième de couverture de la bande dessinée Je sais tout de Pierre Bouchard (2014), «Je sais tout sur Maurice Richard» évoque, sur le mode burlesque, cet épisode de la carrière du Rocket. (Voir l’image au début de ce texte.)

La Presse+ du jour le raconte dans sa rubrique «D’hier à aujourd’hui».

Comment oublier pareil «exploit» ? Il n’y a pas moyen. C’est ainsi que les mythes vivent.

P.-S. — La liste d’évocations ci-dessus n’est évidemment pas exhaustive. Il y a des dizaines et des dizaines d’autres occurrences.

P.-P.-S. — L’Oreille tendue a consacré tout un livre à ces questions, les Yeux de Maurice Richard (2006).

 

[Complément du 4 mars 2021]

Dans Raconte-moi Maurice Richard (2019), Jean-Patrice Martel offre une version différente de cet événement :

Le mercredi 27 décembre 1944 [et non le 28], Maurice déménage. Il quitte son logement, au troisième étage d’un immeuble de l’avenue des Érables, pour s’installer au deuxième étage d’une maison de la rue Papineau. Avec quelques membres de sa famille, il transporte les meubles, les boîtes et les appareils électroménagers. Il se couche très tard et, le lendemain, il passe une partie de la journée à déplacer les meubles pour aménager le nouveau logement (p. 67).

La fatigue est la même, pas la chronologie. Les discours mythiques sur Maurice Richard, eux, n’ont retenu qu’une date, celle du 28 décembre.

 

Références

Bouchard, Pierre, Je sais tout, Montréal, Éditions Pow Pow, 2014, 106 p.

Corboz, Gaël, En territoire adverse, Saint-Lambert, Soulières éditeur, coll. «Graffiti», 37, 2006, 164 p.

Martel, Jean-Patrice, Raconte-moi Maurice Richard, Montréal, Éditions Petit homme, coll. «Raconte-moi», 36, 2019, 150 p. Ill.

Maurice Richard / The Rocket, film de fiction de 124 minutes, 2005. Réalisation : Charles Binamé. Production : Cinémaginaire.

Maurice «Rocket» Richard, docudrame d’une minute, 1997. Production : Minutes Historica. https://www.historicacanada.ca/fr/content/heritage-minutes/maurice-rocket-richard (version française) et https://www.historicacanada.ca/content/heritage-minutes/maurice-rocket-richard (version anglaise)

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture