So long for now

The Vinyl Cafe, tuque, 2017

«It’s my story

On entend parfois des Québécois francophones se demander s’il existe bel et bien une culture canadienne-anglaise, distincte de la culture états-unienne. La réponse, évidemment, est simple : oui, en littérature, en cinéma, en musique (populaire et classique), en peinture — et en radio.

Prenez Stuart McLean. Pendant plus de vingt ans, il a animé une émission à la radio anglaise de Radio-Canada, la CBC, longtemps intitulée The Vinyl Cafe, puis tout récemment Vinyl Cafe Stories. Certains épisodes étaient enregistrés en studio, d’autres devant public, avec accompagnement musical. (McLean avait aussi collaboré à nombre d’autres émissions avant d’avoir la sienne.)

Stuart McLean est mort hier, à 68 ans.

Chaque auditeur avait — et continuera d’avoir — ses rubriques préférées («The Vinyl Cafe Story Exchange», «The Arthur Awards») et ses contes favoris (McLean était un fabuleux conteur). Le plus connu de ces contes est sans contredit «Dave Cooks the Turkey» (Dave est son personnage fétiche, autour duquel était construit l’univers de l’émission), mais l’Oreille tendue a un faible pour plusieurs des autres : «The Fly» (sur l’hypochondrie de Dave), «The Waterslide» (sur son voisin Eugene), «No Tax on Trufles» (sur les découvertes culinaires de son fils, Sam), «Wally the Janitor» (sur le concierge de l’école de Sam et de son ami Murphy), «The Canoe Trip» (sur un voyage avec sa femme Morley), «Tree Planting» (sur un travail d’été de leur fille Stephanie), «Dave Makes Snow» (sur les conséquences d’une idée originale de Dave sur sa voisine, la trop parfaite mary Turlington), «Polly Anderson’s Chrismas Party» (sur une autre de ses voisines, elle aussi adepte de la perfection).

L’Oreille tendue a eu l’occasion de voir McLean en spectacle à quelques reprises. Elle se souvient. Des moulinets qu’il faisait avec ses longs bras et ses longues jambes. De sa façon de s’asseoir pendant qu’il laissait la place à ses invités musicaux et à ses musiciens réguliers. Des consignes qu’il donnait au public : s’il fallait arrêter un conte, puis le recommencer pour corriger une erreur dans le texte ou un problème technique, le public devait absolument faire comme s’il ne connaissait pas déjà l’histoire; il ne pouvait pas rire avant la chute, qu’il venait pourtant d’entendre; il fallait jouer à ne pas savoir, avec lui, pour lui. De son insistance à faire chanter le public, notamment durant ses concerts de Noël, surtout le tout dernier de sa tournée annuelle, qu’il donnait souvent à Montréal, la ville où il était né. De sa volonté de parler français, voire de chanter dans cette langue (du Gilles Vigneault, au moins une fois), alors qu’il ne la parlait pas très bien. De ses formules finales : «So long for now», «Go back to your family».

Qu’y avait-il de particulièrement canadien dans l’œuvre de McLean ? Au moins deux choses. D’une part, un ancrage thématique : ce que McLean racontait, c’était le Canada, l’anglophone comme le francophone (voir le conte «The Wrong Cottage»). Lui qui passait une partie de sa vie en tournée aimait commencer ses spectacles par raconter une histoire que lui inspirait le lieu où il se trouvait, d’un océan à l’autre. D’autre part, son empathie : Stuart McLean aimait les gens et leurs histoires. C’était évident en spectacle; ce l’était encore plus quand il téléphonait, de son studio torontois, à ses auditeurs. Il est un jour tombé sur un adolescent solitaire; ce n’est pas le genre de chose que l’on oublie.

Il restera de lui des recueils de ses textes, des cédéroms, des archives radiophoniques — et des souvenirs vivaces.

Stuart McLean vient de mourir. L’Oreille tendue est triste.

P.-S. — À lire : d’un de ses amis; de son équipe.

P.-P.-S. — Dans un de ses livres, Écrire au pape et au Père Noël, l’Oreille évoque très brièvement un des contes épistolaires de McLean. Elle en aurait eu bien d’autres à citer.

 

[Complément du 20 février 2017]

L’Oreille tendue est honorée que des extraits de son hommage à Stuart McLean aient été repris et traduits dans le texte «A final story exchange : Fans honour Stuart McLean. Canadians at home and abroad share their tributes to the late broadcaster and storyteller» de Scott Utting et Jessica Wong sur le site CBCNews. C’est ici.

 

[Complément du 16 janvier 2023]

Bonne nouvelle du jour : Backstage at the Vinyl Cafe, en balado, promet de faire revivre l’émission de l’intérieur. Ça commence le 20 janvier.

Citation bibliographicoferronienne du jour

Jacques Ferron, Gaspé-Mattempa, 1980, couverture

«Tu ne sais donc pas qu’avant de découvrir l’Amérique, tu examines la bibliographie. Après avoir compulsé les publications, tu te rends compte que tu as des devanciers, d’abord des imaginatifs qui formulent des hypothèses, ensuite des gens de bon métier qui démontrent que les hypothèses correspondent à la réalité, ce qui n’arrive pas souvent. Moi-même, maudit homme, je cherche depuis trente ans et je n’ai encore rien trouvé. Mais j’en ai appris assez pour savoir que tes deux ou trois hypothèses, en plus de ne mener à rien, ont déjà été formulées plusieurs fois. Tiens, voici les références…»

Jacques Ferron, Gaspé-Mattempa, Trois-Rivières, Éditions du Bien public, 1980, 52 p., p. 41-42.

Du flau/flot/flow/flo

Soit un enfant, au Québec. Un de ses synonymes pose deux problèmes.

1. De graphie

Dans l’Hiver de force, Réjean Ducharme écrit «flaux» (1973, p. 130).

Hervé Bouchard préfère «flots», tant dans Numéro six (2014, p. 51) que dans Parents et amis sont invités à y assister (2014, p. 18).

«Flows», avance Jocelyn Bérubé (2003, p. 27).

La graphie «flo(s)» est probablement la plus fréquente. On la trouve chez Alice Michaud-Lapointe (2014, p. 159), chez Beaudet et Boily (2011, p. 22), chez Pierre Szalowski (2012, p. 228), chez Léandre Bergeron (1980, p. 229).

Ça fait désordre.

2. D’étymologie

Il y a les explications fausses (et méchantes). Dans son Dictionnaire québécois instantané, l’Oreille tendue définissait ainsi le «flo» : «Gniard, chiard, moutard (par attraction avec fléau)» (2004, p. 96). Ephrem Desjardins va dans le même sens (2002, p. 84).

Il y a les explications poétiques. Le mot est populaire en Gaspésie, région québécoise «entourée des eaux du fleuve Saint-Laurent au nord, du golfe St-Laurent à l’est et de la baie des Chaleurs au sud» (merci Wikipédia). L’énergie des enfants évoquerait le mouvement de l’eau. Dans ce cas, il faudrait favoriser la graphie flot.

Il y a les explications bretonnes. Selon @revi_redac, flau/flot/flow/flo viendrait de floc’h (damoiseau).

Il y a les explications anglaises. Le dictionnaire en ligne Usito cite l’Index lexicologique québécois qui lui-même cite le Dictionnaire Bélisle de la langue française au Canada de 1957, cela pour évoquer une origine liée à fellow.

Ça fait aussi désordre.

P.-S. — Toujours selon Usito, floune serait le féminin de flo. Voilà qui alimentera la banque québécoise des mots en –oune.

 

Références

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p. Bande dessinée.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bérubé, Jocelyn, Portraits en blues de travail, Montréal, Planète rebelle, coll. «Paroles», 2003, 94 p. Ill. Préface de Jean-Marc Massie. Accompagné d’un cédérom.

Bouchard, Hervé, Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, 2014, «série QR», 80, 2014, 170 p.

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, coll. «K», 2014, 206 p.

Szalowski, Pierre, Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ?, Montréal, Hurtubise, 2012, 360 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

La voix du hockey

En 1979, Roch Carrier publie un conte qui deviendra un classique canadien.

Dans «Une abominable feuille d’érable sur la glace», tous se liguent contre le narrateur, des autres enfants au vicaire-arbitre, simplement parce que, à la suite d’une erreur de la maison Eaton’s, il se voit forcé d’endosser le maillot honni des Maple Leafs de Toronto devant neuf incarnations du joueur de hockey mythique des Canadiens de Montréal, Maurice Richard.

Le texte est devenu tellement célèbre que son incipit, dans les deux langues officielles, orne les billets de banque de cinq dollars de la Monnaie royale canadienne :

Les hivers de mon enfance étaient des saisons longues, longues. Nous vivions en trois lieux : l’école, l’église et la patinoire; mais la vraie vie était sur la patinoire.
Roch Carrier
The winters of my childhood were long, long seasons. We lived in three places — the school, the church and the skating-rink — but our real life was on the skating-rink.

En 1980, l’Office national du film du Canada tire de ce conte, désormais baptisé «Le chandail de hockey», un court métrage d’animation réalisé par Sheldon Cohen. (On peut le voir sur le site de l’ONF.) C’est l’auteur lui-même qui en assure la narration.

Si ses oreilles ne trompent pas l’Oreille tendue, c’est le même Roch Carrier qui assure, dans sa version française, la narration d’une publicité télévisée de Canadian Tire diffusée ces jours-ci. L’objectif de cette publicité est de remercier ceux qui rendent le hockey possible au Canada (joueurs, parents, bénévoles) et de préparer les spectateurs à la tenue des jeux Olympiques d’hiver de 2014.

On pourrait se réjouir qu’un écrivain soit sollicité pour ce genre d’activité. On est toutefois obligé de tempérer son ardeur (littéraire et hockeyistique) quand on entend le narrateur utiliser un anglicisme gros comme un équipement de gardien de but, «levée de fonds» (pour «campagne de financement»). C’est bien la preuve que les écrivains n’ont pas le monopole de la correction linguistique.

P.-S. — Pierre Houde, le descripteur des matchs de hockey à la télévision du Réseau des sports, aime répéter que le prénom de Jonathan Toews, le brillant joueur de centre des Blackhawks de Chicago, doit se prononcer Jonathan, à la française, et non Djonathane, à l’anglaise, sa francophone de mère y tenant mordicus. Or Roch Carrier, au début de la publicité, nomme le joueur Djonathane. Sa mère ne sera pas contente.

 

Référence

Carrier, Roch, «Une abominable feuille d’érable sur la glace», dans les Enfants du bonhomme dans la lune, Montréal, Stanké, 1979, p. 75-81. Pour les autres éditions et adaptations, voir ici.

Modeste proposition de moratoire sportivo-littéraire

Le 1er avril dernier, rendant compte du livre le Hockey vu du divan (2012) de Simon Grondin, l’Oreille tendue évoquait un moratoire sur le découpage en trois périodes des ouvrages (ou des films) portant sur le hockey. Elle revient à la charge.

En effet, ce type de découpage est trop fréquent. Des exemples ?

Claude Dionne, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! (2012).

Alain M. Bergeron, la Coupe du hocquet glacé (2010).

Gaël Corboz, En territoire adverse (2006).

Luc Cyr et Carl Leblanc, Mon frère Richard (1999).

Raymond Plante, Jacques Plante (1996).

Michel Bujold, l’Amour en prolongation (1990).

André Simard, la Soirée du fockey (1972).

Cette liste est sûrement incomplète. Bref : on arrête svp.

 

[Complément du 17 août 2018]

Les trois prises du jour

Le Chandail de hockey / The Hockey Sweater (2006).

Bernard Pozier, Les poètes chanteront ce but (1991).

Yves Tremblay, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions (2013).

 

[Complément du 29 décembre 2018]

Deux autres ? Deux autres.

Catellier, Maxime, Mont de rien. Roman en trois périodes et deux intermèdes (2018).

Baruchel, Jay, Born into It. A Fan’s Life (2018).

 

[Complément du 5 novembre 2021]

Ce qui affectait les livres et les films touche maintenant les menus, par exemple à la magnifique exposition consacrée à Serge Lemoyne. Ce n’est pas mieux.

Café Québecor, Maison des beaux-arts du Québec, 5 novembre 2021

[Complément du 22 mars 2023]

On apprend, dans la Presse+ du jour, que le Cirque du Soleil est en train de concevoir un spectacle sur Guy Lafleur. Comment sera-t-il découpé ? «Guy ! Guy ! Guy ! sera structuré en suivant les trois périodes d’un match de hockey […]». Personne ne sera étonné.

 

Références

Baruchel, Jay, Born into It. A Fan’s Life, Toronto, Harper Avenue, 2018, 249 p.

Bergeron, Alain M., la Coupe du hocquet glacé. Miniroman de Alain M. Bergeron — Fil et Julie, Québec, Éditions FouLire, coll. «Le chat-ô en folie», 9, 2010, 45 p.

Bujold, Michel, l’Amour en prolongation. Poésies hérotiques, Montréal, Éditions d’Orphée, 1990, s.p.

Catellier, Maxime, Mont de rien. Roman en trois périodes et deux intermèdes, Montréal, L’Oie de Cravan, 2018, 123 p.

Le Chandail de hockey / The Hockey Sweater, cédérom, 3D Courseware/ Les Éditions 3D, 2006. Conception de Donna Mydlarski, Dana Paramskas, André Bougaïeff et Larry Katz.

Corboz, Gaël, En territoire adverse, Saint-Lambert, Soulières éditeur, coll. «Graffiti», 37, 2006, 164 p.

Cyr, Luc et Carl Leblanc, Mon frère Richard, documentaire de 53 minutes, 1999. Production: Ad Hoc Films.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, 214 p. Ill.

Plante, Raymond, Jacques Plante. Derrière le masque, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Les grandes figures», 9, 1996, 221 p. Ill.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Simard, André, la Soirée du fockey. Le temps d’une pêche. Le vieil homme et la mort, Montréal, Leméac, coll. «Répertoire québécois», 40, 1974, 92 p. Préface de Normand Chouinard.

Tremblay, Yves, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, Brossard, Un monde différent, 2013, 208 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.