Sainte flanelle : récit d’origine

La flanelle de la sainte flanelle

«Mais le tissu social de Montréal
C’est de la sainte flanelle»
(Loco Locass, «Le but», chanson, 2009)

 

 

Comment désigner les Canadiens de Montréal — c’est du hockey ?

Dans son Langue de puck. Abécédaire du hockey (2014, p. 85-86), l’Oreille tendue rappelait l’existence des possibilités suivantes : le Canadien de Montréal, le CH (comme sur l’écusson du Club de hockey Canadien), les Habitants, les Habs, le Bleu blanc rouge, le Tricolore, les Glorieux, les Flying Frenchmen, voire l’Organisation. Et il y a la sainte flanelle.

Exemples :

«La Sainte Flanelle, une entreprise qui éprouve des problèmes de productivité» (le Devoir, 11 avril 2012).

«Les habitants se contaient des histoires et chantaient des chansons pour ne pas se décourager et geler tout rond; ils faisaient brûler des lampions en invoquant et en priant sainte flanelle, patronne tricolore des pures laines et des tricotés serré, pour qu’elle les réchauffe et allume leurs lanternes» (Jocelyn Bérubé, 2003, p. 30).

«Pendant qu’son corps partait au cimetière
Pour le grand repos éternel
Son âme retraitait au vestiaire
Pour enfiler la Sainte-Flanelle»
(Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», chanson, 2008)

«Jeu-questionnaire. Connaissez-vous votre flanelle ?» (la Presse+, 26 décembre 2015)

On voit plusieurs graphies de cette expression : sainte flanelle, Sainte Flanelle, Sainte flanelle, Sainte-flanelle, Sainte-Flanelle, flanelle et Flanelle. Ça fait désordre. Suivons Annie Bourret qui, dans Pour l’amour du français (1999, p. 143), recommande la graphie sainte flanelle.

Mais depuis quand parle-t-on de sainte flanelle pour désigner l’équipe montréalaise ? La récente mise en ligne, par Bibliothèque et Archives nationales du Québec, des archives du journal la Presse (1920-2013) permet d’offrir une première proposition de datation. Le 7 novembre 1975 (cahier Sports, p. B2), le journaliste Réjean Tremblay parle de «sainte flanelle rouge». Ce semble être la première attestation écrite. Un lieu commun était né.

 

Références

Bérubé, Jocelyn, Portraits en blues de travail, Montréal, Planète rebelle, coll. «Paroles», 2003, 94 p. Ill. Préface de Jean-Marc Massie. Accompagné d’un cédérom.

Bourret, Annie, Pour l’amour du français, Montréal, Leméac, 1999, 199 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

So long for now

The Vinyl Cafe, tuque, 2017

«It’s my story

On entend parfois des Québécois francophones se demander s’il existe bel et bien une culture canadienne-anglaise, distincte de la culture états-unienne. La réponse, évidemment, est simple : oui, en littérature, en cinéma, en musique (populaire et classique), en peinture — et en radio.

Prenez Stuart McLean. Pendant plus de vingt ans, il a animé une émission à la radio anglaise de Radio-Canada, la CBC, longtemps intitulée The Vinyl Cafe, puis tout récemment Vinyl Cafe Stories. Certains épisodes étaient enregistrés en studio, d’autres devant public, avec accompagnement musical. (McLean avait aussi collaboré à nombre d’autres émissions avant d’avoir la sienne.)

Stuart McLean est mort hier, à 68 ans.

Chaque auditeur avait — et continuera d’avoir — ses rubriques préférées («The Vinyl Cafe Story Exchange», «The Arthur Awards») et ses contes favoris (McLean était un fabuleux conteur). Le plus connu de ces contes est sans contredit «Dave Cooks the Turkey» (Dave est son personnage fétiche, autour duquel était construit l’univers de l’émission), mais l’Oreille tendue a un faible pour plusieurs des autres : «The Fly» (sur l’hypochondrie de Dave), «The Waterslide» (sur son voisin Eugene), «No Tax on Trufles» (sur les découvertes culinaires de son fils, Sam), «Wally the Janitor» (sur le concierge de l’école de Sam et de son ami Murphy), «The Canoe Trip» (sur un voyage avec sa femme Morley), «Tree Planting» (sur un travail d’été de leur fille Stephanie), «Dave Makes Snow» (sur les conséquences d’une idée originale de Dave sur sa voisine, la trop parfaite mary Turlington), «Polly Anderson’s Chrismas Party» (sur une autre de ses voisines, elle aussi adepte de la perfection).

L’Oreille tendue a eu l’occasion de voir McLean en spectacle à quelques reprises. Elle se souvient. Des moulinets qu’il faisait avec ses longs bras et ses longues jambes. De sa façon de s’asseoir pendant qu’il laissait la place à ses invités musicaux et à ses musiciens réguliers. Des consignes qu’il donnait au public : s’il fallait arrêter un conte, puis le recommencer pour corriger une erreur dans le texte ou un problème technique, le public devait absolument faire comme s’il ne connaissait pas déjà l’histoire; il ne pouvait pas rire avant la chute, qu’il venait pourtant d’entendre; il fallait jouer à ne pas savoir, avec lui, pour lui. De son insistance à faire chanter le public, notamment durant ses concerts de Noël, surtout le tout dernier de sa tournée annuelle, qu’il donnait souvent à Montréal, la ville où il était né. De sa volonté de parler français, voire de chanter dans cette langue (du Gilles Vigneault, au moins une fois), alors qu’il ne la parlait pas très bien. De ses formules finales : «So long for now», «Go back to your family».

Qu’y avait-il de particulièrement canadien dans l’œuvre de McLean ? Au moins deux choses. D’une part, un ancrage thématique : ce que McLean racontait, c’était le Canada, l’anglophone comme le francophone (voir le conte «The Wrong Cottage»). Lui qui passait une partie de sa vie en tournée aimait commencer ses spectacles par raconter une histoire que lui inspirait le lieu où il se trouvait, d’un océan à l’autre. D’autre part, son empathie : Stuart McLean aimait les gens et leurs histoires. C’était évident en spectacle; ce l’était encore plus quand il téléphonait, de son studio torontois, à ses auditeurs. Il est un jour tombé sur un adolescent solitaire; ce n’est pas le genre de chose que l’on oublie.

Il restera de lui des recueils de ses textes, des cédéroms, des archives radiophoniques — et des souvenirs vivaces.

Stuart McLean vient de mourir. L’Oreille tendue est triste.

P.-S.—À lire : d’un de ses amis; de son équipe.

P.-P.-S.—Dans un de ses livres, Écrire au pape et au Père Noël, l’Oreille évoque très brièvement un des contes épistolaires de McLean. Elle en aurait eu bien d’autres à citer.

 

[Complément du 20 février 2017]

L’Oreille tendue est honorée que des extraits de son hommage à Stuart McLean aient été repris et traduits dans le texte «A final story exchange : Fans honour Stuart McLean. Canadians at home and abroad share their tributes to the late broadcaster and storyteller» de Scott Utting et Jessica Wong sur le site CBCNews. C’est ici.

 

[Complément du 16 janvier 2023]

Bonne nouvelle du jour : Backstage at the Vinyl Cafe, en balado, promet de faire revivre l’émission de l’intérieur. Ça commence le 20 janvier.

Citation bibliographicoferronienne du jour

Jacques Ferron, Gaspé-Mattempa, 1980, couverture

«Tu ne sais donc pas qu’avant de découvrir l’Amérique, tu examines la bibliographie. Après avoir compulsé les publications, tu te rends compte que tu as des devanciers, d’abord des imaginatifs qui formulent des hypothèses, ensuite des gens de bon métier qui démontrent que les hypothèses correspondent à la réalité, ce qui n’arrive pas souvent. Moi-même, maudit homme, je cherche depuis trente ans et je n’ai encore rien trouvé. Mais j’en ai appris assez pour savoir que tes deux ou trois hypothèses, en plus de ne mener à rien, ont déjà été formulées plusieurs fois. Tiens, voici les références…»

Jacques Ferron, Gaspé-Mattempa, Trois-Rivières, Éditions du Bien public, 1980, 52 p., p. 41-42.

Du flau/flot/flow/flo

Soit un enfant, au Québec. Un de ses synonymes pose deux problèmes.

1. De graphie

Dans l’Hiver de force, Réjean Ducharme écrit «flaux» (1973, p. 130).

Hervé Bouchard préfère «flots», tant dans Numéro six (2014, p. 51) que dans Parents et amis sont invités à y assister (2014, p. 18).

«Flows», avance Jocelyn Bérubé (2003, p. 27).

La graphie «flo(s)» est probablement la plus fréquente. On la trouve chez Alice Michaud-Lapointe (2014, p. 159), chez Beaudet et Boily (2011, p. 22), chez Pierre Szalowski (2012, p. 228), chez Léandre Bergeron (1980, p. 229).

Ça fait désordre.

2. D’étymologie

Il y a les explications fausses (et méchantes). Dans son Dictionnaire québécois instantané, l’Oreille tendue définissait ainsi le «flo» : «Gniard, chiard, moutard (par attraction avec fléau)» (2004, p. 96). Ephrem Desjardins va dans le même sens (2002, p. 84).

Il y a les explications poétiques. Le mot est populaire en Gaspésie, région québécoise «entourée des eaux du fleuve Saint-Laurent au nord, du golfe St-Laurent à l’est et de la baie des Chaleurs au sud» (merci Wikipédia). L’énergie des enfants évoquerait le mouvement de l’eau. Dans ce cas, il faudrait favoriser la graphie flot.

Il y a les explications bretonnes. Selon @revi_redac, flau/flot/flow/flo viendrait de floc’h (damoiseau).

Il y a les explications anglaises. Le dictionnaire en ligne Usito cite l’Index lexicologique québécois qui lui-même cite le Dictionnaire Bélisle de la langue française au Canada de 1957, cela pour évoquer une origine liée à fellow.

Ça fait aussi désordre.

P.-S. — Toujours selon Usito, floune serait le féminin de flo. Voilà qui alimentera la banque québécoise des mots en –oune.

 

Références

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p. Bande dessinée.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bérubé, Jocelyn, Portraits en blues de travail, Montréal, Planète rebelle, coll. «Paroles», 2003, 94 p. Ill. Préface de Jean-Marc Massie. Accompagné d’un cédérom.

Bouchard, Hervé, Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, 2014, «série QR», 80, 2014, 170 p.

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, coll. «K», 2014, 206 p.

Szalowski, Pierre, Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ?, Montréal, Hurtubise, 2012, 360 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Raconter le Rocket

Maurice Richard et Jim Henry, 8 avril 1952

«That beautiful bastard scored semi conscious»
(Elmer Ferguson).

8 avril 1952. En troisième période, durant les séries éliminatoires, au Forum de Montréal, Maurice «Le Rocket» Richard, le célèbre ailier droit des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, marque un but, qui deviendra le but gagnant du match et de la série, contre Jim «Sugar» Henry, des Bruins de Boston, après avoir été sérieusement blessé auparavant dans le match, au point de perdre conscience. Pour Jack Todd, en 1996, il s’agit du «greatest [goal] in the history of the game»; pour Roch Carrier, en 2000, du «plus beau [but] de l’histoire du monde». Rien de moins. Depuis, on voit partout une photo prise après le match d’un Richard ensanglanté serrant la main du gardien des Bruins, qui s’incline devant lui.

Ce but est devenu légendaire.

Histoires d’hiver (1998) est un long métrage de fiction scénarisé par Marc Robitaille, l’auteur de Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey (1987), et réalisé par François Bouvier. Le héros du film, Martin Roy, a douze ans en 1966-1967. Le film raconte ses souvenirs d’enfance : vie scolaire, relation agitée avec ses parents, transformation de la campagne en banlieue, apparition de la contre-culture, émois amoureux, amour du sport (du hockey). On apprend à la fin qu’il est devenu adulte : son père est mort depuis quinze ans, sa mère, la veille.

Martin assouvit sa passion du hockey avec le frère aîné de son père, Maurice. Celui-ci aime le hockey et Maurice Richard. C’est souligné dans deux scènes. Les deux sont nocturnes. Dans la première, Martin s’apprête à se mettre au lit, quand Maurice lui offre une radio miniature en forme de fusée (rocket), achetée en Floride, pour qu’il suive les matchs dans sa chambre. L’enfant dit à son oncle : «Heye, mononc’, raconte-moi l’histoire du Rocket.» L’oncle Maurice racontera ce qui s’est passé au Forum de Montréal le 8 avril 1952. L’histoire de l’oncle est interrompue ce soir-là, puis reprise quand Maurice, victime d’un «infractus», se retrouve à l’hôpital. Le filleul («le kid») est étendu sur le lit de son oncle, qui continue à lui décrire «un des plus beaux jeux qui s’est jamais vu dans l’histoire des séries de la coupe Stanley». Martin et Maurice ne partagent pas qu’un moment d’intimité; ils prolongent une conversation qu’ils ont eue plusieurs fois, puisque Martin complète avec facilité le récit de son oncle. C’est la preuve qu’il l’a déjà entendu, qu’il l’a appris par cœur et qu’il ne s’en lasse pas. (Sur le plan événementiel, l’oncle Maurice se trompe partiellement dans son récit : le match se terminera 3 à 1, et non 2 à 1, comme il le croit.)

Maurice Richard est un héritage qu’on se transmet dans les familles québécoises.

P.-S. — L’Oreille tendue a consacré tout un livre au numéro 9 des Canadiens, les Yeux de Maurice Richard (2006).

 

[Complément du 5 juin 2025]

Jean Pierre Savard, le narrateur du roman Saved de Jack Falla (2007), est échangé aux Canadiens. Dans le bureau de son nouvel entraîneur, il découvre une reproduction de la photo de la poignée de main entre Richard et Henry, «the most revealing hockey photograph ever taken» (p. 196). Il décrit longuement ce qui s’est passé le 8 avril 1952, avant de conclure sur ces mots : cette photographie «captures the dignity, chivalry, violence, and bravura of our game as does no other» (p. 197).

 

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

 

Références

Carrier, Roch, le Rocket, Montréal, Stanké, 2000, 271 p. Réédition : le Rocket. Biographie, Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2009, 425 p. Version anglaise : Our Life with the Rocket. The Maurice Richard Story, Toronto, Penguin / Viking, 2001, viii/304 p. Traduction de Sheila Fischman.

Falla, Jack, Saved. A Novel, New York, Thomas Dunne Books, St. Martin’s Press, 2007, ix/276 p.

Histoires d’hiver / Winter Stories, film de fiction de 105 minutes, 1998. Réalisation : François Bouvier. Production : Aska Film.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill. Nouvelle édition : Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Todd, Jack, «The Lion in Winter», The Gazette, 9 mars 1996, p. C1 et C6.

Histoires d’hiver / Winter Stories, film de fiction de 105 minutes, 1998