Jeu de main

Le Secrétaire des amoureux, 1917, couverture

Lu ceci dans un manuel épistolaire québécois de 1917 :

«Monsieur,

Je ne puis être que fort honorée de la lettre par laquelle vous m’offrez votre main, mais à mon âge j’ai dû la communiquer à ma tante qui est toute ma famille» (p. 17).

On se demande ce que la tante a bien pu faire de cette main.

 

Référence

Le Secrétaire des amoureux et des gens du monde contenant des modèles de correspondance[,] des conseils pour faire un bon mariage et un guide pour toutes les formalités et cérémonies, Montréal, Librairie Beauchemin limitée, 1917, 69 p.

Tu ?

Les études sur l’usage du tutoiement en littérature sont peu nombreuses (voir deux références ci-dessous). Il faut donc se réjouir de la parution récente d’un article de Catherine Volpilhac-Auger sur cette question, plus précisément sur l’utilisation du tu et du vous dans la traduction des textes antiques au XVIIe et, surtout, au XVIIIe siècle. Conclusions : «Étranger, et étrange, le tutoiement autorise les nuances, mais se présente aussi comme l’exception chez la plupart des traducteurs […]» (p. 561); «on ne peut que constater l’usage parcimonieux d’un tu réservé à des cas très exceptionnels […]» (p. 564).

Autre leçon à tirer de ce texte : «C’est dire que l’usage complémentaire du vous et du tu est ressenti, et cela sans grand changement jusqu’à l’époque révolutionnaire, comme une des ressources les plus fécondes du français, ou plutôt que le tutoiement, ressenti comme exceptionnel, ressortit à un mode toujours particulier d’expression, et toujours digne d’intérêt» (p. 557).

Spécialistes des lettres anciennes et modernes, au travail.

 

Références

Bray, Bernard, «Quelques remarques sur la deuxième personne épistolaire et sur son mode d’emploi», dans Anne Chamayou (édit.), Éloge de l’adresse. Actes du colloque de l’Université d’Artois. 02-03 avril 1998, Arras, Artois Presses Université, coll. «Cahiers scientifiques de l’Université d’Artois», 14, 2000, p. 15-25.

Grimaud, Michel, «Tutoiement, titre et identité sociale. Le système de l’adresse du Cid au Théâtre en liberté», Poétique, 77, février 1989, p. 53-75.

Volpilhac-Auger, Catherine, «De vous à toi. Tutoiement et vouvoiement dans les traductions au 18e siècle», Dix-huitième siècle, 41, 2009, p. 553-566.

À tu et à vous et à toi et à vous et à tu

Jeudi soir dernier, dans un centre commercial de l’île de Montréal :

Carrefour Angrignon, 23 juillet 2009

Pourquoi ce passage du tu au vous dans la publicité ?

Si l’on était dans un roman épistolaire classique, on y verrait un effet d’insistance amoureuse, comme dans l’incipit de la lettre CXLVIII des Liaisons dangereuses de Laclos, quand le chevalier Danceny écrit à la marquise de Merteuil : «Ô vous, que j’aime ! ô toi, que j’adore ! ô vous, qui avez commencé mon bonheur ! ô toi, qui l’as comblé» (éd. de 1964, p. 333).

Dans une chanson, ce pourrait être un exercice de style, comme dans «Rendez-vous courtois» de Jérémie Kisling, sur l’album le Ours en 2006. Tous les vers y mêlent tutoiement et vouvoiement. Cela donne lieu à des phrases déjantées : «Allez viens vous asseoir, il faut pas que vous te barre / Sous mon toit, vous serez à ton aise / Donne-moi votre main, couchez-moi contre ton sein / Je t’avoue que je vous aime bien.»

Les intentions des propriétaires de la boutique de jeux électroniques EBGames sont un peu moins claires.

(L’absence de s à «usagé» fait désordre.)

 

Référence

Laclos, Pierre Choderlos de, les Liaisons dangereuses, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «G-F», 13, 1964, 379 p. Chronologie et préface par René Pomeau. Édition originale : 1782.