Ne me dites rien pour l’instant

L’Oreille tendue faisait du ménage dans son escarcelle à néologismes quand elle est tombée sur le mot intricide. Un moteur de recherche populaire renvoie à une première occurrence en 2013, sur un réseau social beaucoup fréquenté.

Pourquoi ce mot ? Pour traduire l’anglais spoiler, cette vilaine habitude de révéler à l’avance une scène à venir dans un film (par exemple). L’intricide renvoie à l’assassinat (-ide) de l’intrigue.

Ce mot n’a pas été retenu par l’Office québécois de la langue française, qui lui préfère divulgâcheur :

Définition
Information divulguant une partie importante de l’intrigue d’une œuvre de fiction, qui gâche l’effet de surprise ou le plaisir de la découverte.

Notes
L’œuvre de fiction peut être, par exemple, un film, une télésérie, un roman ou un jeu vidéo.
Dans le cas d’un jeu vidéo, la révélation d’éléments importants sur le déroulement du jeu (ex. : rebondissements, solutions des énigmes, dénouement de l’histoire) est considérée comme un divulgâcheur.
Sur Internet, les divulgâcheurs sont généralement signalés au lecteur, qui peut choisir de les lire ou non. Le divulgâcheur est notamment une fonction présente sur les forums, qui permet de cacher une partie du message afin que les autres ne la voient que s’ils le désirent.

Intricide ou divulgâcheur ? Spontanément, l’Oreille aurait penché pour le premier, qu’elle trouve moins artificiellement construit que le second. Ici et , sur Twitter, on a exprimé son désaccord.

P.-S. — D’un néologisme qui n’a pas été adopté doit-on dire qu’il a été victime d’un néologicide ?

Parlons manger

L’Oreille tendue ne veut pas faire la fine bouche, mais elle a du mal à s’extasier sur le contenu d’une assiette et, surtout, à partager cette extase urbi et orbi. Ce n’est donc pas une cuisinomane : «Personne qui se passionne pour la nourriture et l’art culinaire», selon le terme que l’Office québécois de la langue française préfère à foodie.

Cela étant, il lui arrive de s’intéresser à la langue culinaire, notamment pour déplorer l’obsession de l’épicurisme (le mot) ou les cocasseries de la langue de margarine.

En outre, elle s’intéresse aux néologismes de cette langue.

Récemment, elle a ainsi croisé l’orthorexie, cette «fixation sur l’ingestion d’une nourriture saine», dixit Wikipédia. On peut supposer que ce genre de pratique est particulièrement compatible avec la consommation de mocktails, ou «cocktails sans alcool» (mock comme dans simili, faux).

Reste une question : cela relève-t-il de la culture bistronomique ? On peut en douter.

Du mononc’

Étymologie simple : mon oncle => mononcle => mononc’. C’est affaire de prononciation.

Parmi les mononc’, il y a celui qui est réputé lent. Il doit lasser sa place aux plus pressés : «Tasse-toi mononcle, viens-t-en le jeune !» (la Presse, 12 mars 2001)

Ce fut à une époque une publicité télévisée de Volkswagen. Sur Twitter, Marie-France Bazzo s’en est souvenue quand le président de la firme automobile a récemment (été) démissionné.

Tweet de Marie-France Bazzo, 23 septembre 2015, «Le PDG de #Volkswagen démissionne : “Tasse-toi mononcle !”»

Il y a aussi, chez les mononc’, le libidineux. On lui doit des jokes de mononc’. Le terme a beaucoup été utilisé pour parler de Marcel Aubut, ci-devant président du Comité olympique canadien, qui vient d’abandonner son poste à la suite de plaintes pour harcèlement sexuel. Dans le Journal de Montréal d’hier, son vieil ami le journaliste Réjean Tremblay a écrit un texte sur l’affaire Aubut. Il n’a pas été très bien reçu. Marie-France Bazzo, encore, sur Twitter, encore :

On connaît encore celui qui n’est plus à la mode, le ringard : «Mononcles et matantes s’abstenir» (la Presse, 10 février 2002).

Ces catégories ne s’excluent pas l’une l’autre : on peut être lent, libidineux et vieux.

P.-S. — Toujours sur Twitter, le chroniqueur politique Vincent Marissal a proposé le néologisme mononclatisation à la suite de sa lecture du texte de Réjean Tremblay. (L’Oreille tendue ne parierait pas sur le succès de celui-ci.) Pour sa part, @revi_redac le traite de «TurboMononcle».

P.-P.-S. — Il faut être pas mal mononc’ pour publier un communiqué de presse dans lequel, au lieu du mot femmes, on parle «de certaines personnes de la gent féminine».

P.-P.-P.-S. — Plus banalement, mononc’ est un hypocoristique : «Heye, mononc’, raconte-moi l’histoire du Rocket.»

P.-P.-P.-P.-S. — Il a déjà été question du mononc’ ici.

 

[Complément du 22 septembre 2017]

Accueillons un nouveau membre de la famille : celui qui corrige les fautes de langue des autres.

Ce «mononc»-là est un défenseur de la Charte de la langue française du Québec, la ci-devant loi 101.

 

[Complément du 9 juillet 2018]

Il y a (eu) mononclatisation. Il y a aussi mononclisation, par exemple dans ce tweet.

 

[Complément du 7 février 2020]

Dans le Devoir du jour, on peut lire une occurrence de mononcle comme adjectif : «un personnage exagérément mononcle». À l’oreille de l’Oreille, cet usage paraît peu fréquent. (Elle peut se tromper.)

 

[Complément du 17 mars 2021]

Autre adjectif, encore chez Marie-France Bazzo : «droite identitaire “mononquesque”» (Nous méritons mieux, p. 119).

 

[Complément du 20 juin 2024]

Dans la Presse+ du jour : «Place aux vacances pour les élus. Entre ingérence, incurie et “mononcleries”.»

 

[Complément du 23 juin 2024]

Sur Twitter : «mononclisme».

 

Référence

Bazzo, Marie-France, Nous méritons mieux. Repenser les médias au Québec, Montréal, Boréal, 2020, 213 p.

Chauffons-nous

Patrick Nicol, la Nageuse au milieu du lac. Album, 2015, couverture

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) donne deux définitions régionales («Canada») du mot chaufferette : «(1931) […] Radiateur électrique, chauffage d’appoint»; «(1943) […] Dispositif de chauffage (d’une automobile).»

On trouve le premier sens chez Marie-Hélène Poitras :

Dans la roulotte garée tout près, l’homme qui veille sur [les chevaux] a passé les dernières semaines à jouer au crib contre lui-même en attendant que la nuit passe et que sa petite chaufferette sèche enfin le bout de ses bottes humides (p. 14),

et le second chez Patrick Nicol :

J’ouvrirais bien la fenêtre, mais la neige risque de s’engouffrer dans l’habitacle. J’actionne les essuie-glaces, et la mince couche de flocons s’efface. J’allume la chaufferette (p. 72).

Restons dans les usages automobiles : des chercheurs allemands travaillent à une nanochaufferette pour voiture électrique, dixit la Presse+ du 14 septembre.

On n’arrête pas le progrès.

 

Références

Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, série «QR», 85, 2015, 154 p.

Poitras, Marie-Hélène, Griffintown, Québec, Alto, coll. «Coda», 2013, 209 p. Édition originale : 2012.