[Ce texte s’inscrit dans la série Tombeau d’Ella. On en trouvera la table des matières ici.]
«Now the song is different
And the words don’t even rhyme»
Ella Fitzgerald,
«Desafinado (Slightly Out of Tune)» (1962)
Qu’une chanson soit rimée n’étonnera personne. La plupart de celles d’Ella Fitzgerald le sont, et de façon prévisible. Puis, au détour d’un texte, apparaît une rime inattendue, comique, bizarre.
Il y a les rimes alimentaires dans «A Fine Romance» (1957) : «hot tomatoes» / «mashed potatoes»; «my good fellow» / «I’ll take jello». Voir aussi «me» / «spaghetti», dans «I Got a Guy» (1937).
En matière d’amour, l’imagination n’est pas moins forte. «Deadlock» fait la paire avec «wedlock» («What Is There To Say ?», 1954) et «affair», avec «care» («Please Be Kind», 1954).
Chacun, bien évidemment, choisira la rime de son cœur. L’Oreille tendue confesse un faible pour «Was dyspeptic» / «Now my heart’s antiseptic» («Betwitched», 1956) et pour «She had a most immoral eye» / «They called her Lorelei» («Lorelei», 1960).
Une chanson, tel un col, est hors catégorie : «You’re the Top» (1956). Malgré la dénégation initiale («At words poetic / I’m so pathetic»), Ella Fitzgerald y multiplie les rimes les plus imprévues, celles de Cole Porter : «Strauss» / «Mickey Mouse», «Gandhi» / «brandy», «Spain» / «cellophane», «a Waldorf salad» / «a Berlin ballet» (!), «Astaire» / «camembert».
Il faut s’incliner devant pareil tour de force.
P.-S. — Ella Fitzgerald n’a jamais hésité à prendre des libertés avec l’homophonie. Un autre exemple que «salad» / «ballet» ? Dans «Halleluja I Love Him So» (1962), «door» rime avec «know».
[Les dates entre parenthèses devraient être celles des enregistrements. Elles ne sont pas toujours fiables.]
Illustration : Ella Fitzgerald, détail, 1981, photo déposée sur Wikimedia Commons