Ironie de départ : tenir une «Exposition d’œuvres et de document [sic] d’archives de Voltaire» au Centre d’archives Mgr-Antoine-Racine du diocèse de Sherbrooke ne manque pas de sel quand on connaît la fibre antireligieuse de l’écrivain. Ironie d’arrivée : coller au mur des toilettes une affichette «Bien vouloir éteindre les lumières en sortant» montre l’importance des majuscules en français (on ne confondra pas «les lumières» et «les Lumières»).
«Sa vie / sa plume / Voltaire / son influence au Québec / Plus de 60 documents originaux» est une exposition de la commissaire invitée Chloë Southam, assistée de Pierre Hébert et Peter Southam à la recherche et à la rédaction. Beaucoup des pièces de l’exposition proviennent de la collection familiale de Peter Southam. Comment se sont-elles retrouvées au Québec ? Jean-François Nadeau, dans le Devoir, l’explique ici; le principal intéressé, là.
La salle d’exposition donne à voir trois choses : une statue de Voltaire (par Émile Lambert), de grands portraits de Voltaire posés sur des colonnes (accompagnés de légendes : «Aux maux les plus affreux le ciel nous abandonne. 1713»; «Je ne suis pas chrétien, Mais [sic] c’est pour t’aimer mieux. 1722»; «Immortelle Émilie, Disciple [sic] de Newton et de la vérité. 1736»; «Il faut cultiver notre jardin. 1759»; «Écrasons l’infâme. 1763-78»), huit vitrines. Les six premières présentent la vie de Voltaire : I. La jeunesse parisienne (1694-1726); II. Les premières années d’exil (1726-1744); III. L’historien et le courtisan (1745-1757); IV, V et VI. Ferney (1758-1778). Les deux dernières portent sur la fortune québécoise de Voltaire (VII) et sur la censure (VIII) — le lien entre cette question et l’œuvre de Voltaire aurait pu être mieux démontré. Dans ces deux vitrines, les rapports de Voltaire à la franc-maçonnerie sont évoqués plus d’une fois.
On peut voir des plans (Paris, 1739; Fontenoy, 1745; Ferney, 1761), des manuscrits de Voltaire et des copies (lettres, poèmes, essais), des éditions de ses œuvres (curieusement appelées «livres-artéfact»), des gravures, des dessins, des portraits (Jean-Baptiste Rousseau, le chevalier de Rohan Chabot, Mme du Châtelet, Frédéric II, le cardinal Quirini, La Harpe, Paul-François Quélen, le marquis de Villette, Mme Denis), des documents administratifs, des affiches, des pages de titres, des ouvrages qui lui ont été consacrés, des missives à lui adressées. Six capsules audio sont disponibles sur place et sur le Web.
Quelques pièces sont étonnantes et rares : les plans de la ville de Versoix conçus par Voltaire, des documents de l’affaire Decroze en 1761, d’autres concernant l’émancipation des serfs du Jura, une publicité des bières Molson’s de 1954 («Qui a dit… ? “Quelques arpents de neige”»), une couverture de la Petite Revue de mai 1900 représentant Voltaire, Diderot, Rousseau, Thomas Paine et Renan (?).
Un esprit tatillon pourrait regretter des coquilles gênantes dans les cartouches, les documents d’accompagnement et les capsules audio : «entend» pour «entends», «agi» pour «agit», «pendent» pour «pendant», «Seigneur» pour «seigneur», «Jondelle» pour «Jodelle», «jardine» pour «jardin», «Marquise» pour «marquise», «lamente» pour «déplore». Un cardinal s’appelle tantôt «Querini», tantôt «Quirini». La rencontre de Voltaire avec Jean-Baptiste Rousseau est d’abord datée de 1710, puis de 1722, sur le même panneau… La découverte positive de Shakespeare par Voltaire dans les années 1730 est évoquée, mais pas ses positions plus critiques des années 1770.
L’exposition, par sa brièveté, satisfera plus le grand public que le spécialiste. On ne saurait le lui reprocher.
Elle est ouverte jusqu’au 23 juin 2022.
https://youtu.be/tRBGIsqRHLY
[Complément du 25 janvier 2023]