Autoportrait de lectrice-cueilleuse

Chantal Thomas De sable et de neige, 2021, couverture

«J’appartiens à l’âge de la cueillette. Une sorte de blocage archaïque m’a arrêtée à ce stade. Et quand j’ai commencé non de pouvoir lire mais de prendre le goût de lire, j’ai pensé que j’irais à travers des milliers de pages animée de l’esprit de cueillette, j’empilerais au fur et à mesure de leur découverte des mots, des phrases, des tournures dans un baluchon extensible, qui aurait la vertu de s’alléger tout en s’accroissant.»

Chantal Thomas, De sable et de neige, avec des photos d’Allen S. Weiss, Paris, Mercure de France, coll. «Traits et portraits», 2021, 199 p., p. 177.

Éloigné tout près

Les Radios francophones publiques coproduisent l’émission les Chedid : les chiens ne font pas des chats. Comment rendre l’expression les chiens ne font pas des chats en anglais ? The apple does not fall far from the tree. En français, des animaux; en anglais, un fruit. La traduction des tournures idiomatiques est, pour l’Oreille tendue, source d’étonnement renouvelé.

Quelqu’un n’arrive pas à faire quelque chose parce qu’il n’est pas très malin. Au Québec, on dira que ça ne prend pourtant pas la tête à Papineau. Dans le monde anglo-saxon : ce que cette personne a à faire is not exactly rocket science.

Termium plus, «La banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada», donne c’est en forgeant qu’on devient forgeron pour practice makes perfect (merci à @jeansylvaindube).

Vous voulez faire avorter un projet ? Vous le tuez dans l’œuf. Autrement dit, you nip it in the bud.

Des heures de plaisir.

Les vitesses tuent

En première page de la Presse hier : «Un droit à deux vitesses.»

Une seule vitesse ? En effet, ça ne paraît plus se faire.

Deux vitesses ? Ce serait de plus en plus courant et ce serait une menace.

«médecine à deux vitesses» (la Presse, 6 décembre 2000; la Presse, 9 décembre 2003, p. A9; la Presse, 2 novembre 2012, p. A14).

«système de santé à deux vitesses» (la Presse, 12 août 2001).

«une ville à deux vitesses ?» (la Presse, 15 novembre 2001).

«De la mari à deux vitesses» (le Devoir, 20-21 juillet 2002).

«Même la miséricorde est à deux vitesses» (le Devoir, 20 mars 2003).

«L’aide juridique à deux vitesses» (le Devoir, 14-15 juin 2003).

«Une école à deux vitesses» (le Devoir, 4-5 octobre 2003).

«La justice québécoise à deux vitesses» (le Devoir, 24 novembre 2003).

«des hausses à… deux vitesses» (la Presse, 21 janvier 2004, p. A1).

«alimentation à deux vitesses» (la Presse, 15 février 2012, p. A16).

«loi des mines à deux vitesses» (la Presse, 10 février 2012, p. A5).

«un pays à deux vitesses de croissance» (le Devoir, 8 décembre 2011, p. B3).

«Tolérance à deux vitesses» (la Presse, 15 octobre 2005, p. A27).

Trois vitesses ? Ce ne serait pas impossible, mais c’est rare.

«Vers un système de santé à trois vitesses ?» (la Presse, 6 février 2001).

«Une école à trois vitesses» (le Devoir, 28-29 septembre 2002).

Remarque. Les exemples ci-dessus sont tous québécois. Le mal serait cependant plus étendu s’il faut en croire Renaud Camus, qui parle de «l’inévitable “France à deux vitesses”» (Répertoire […], p. 170).

 

[Complément du 16 avril 2020]

S’il faut en croire le narrateur du roman la Ballade de Rikers Island (2014), cette affaire de vitesses existerait aussi en matière de turgescence : «Les pilules coûtaient cher, il ricanait en pensant que selon leurs moyens les seniors durcissaient ou restaient pantois. Une érection à deux vitesses, tant que le brevet du remède ne serait pas tombé dans le domaine public» (p. 22).

 

Références

Camus, Renaud, Répertoire des délicatesses du français contemporain. Charmes et difficultés de la langue du jour, Paris, Points, coll. «Points. Le goût des mots», P2102, 2009, 371 p. Édition originale : 2000.

Jauffret, Régis, la Ballade de Rikers Island. Roman, Paris, Seuil, 2014, 425 p.

De l’animal au végétal

Jean Echenoz, 14, 2012, couverture

On sait que les chiens parlent chez Jean Echenoz.

Malheureusement pour eux, les palmiers ne peuvent pas les entendre : «[Blanche] a aussi évité, mais avec moins de précautions, la silhouette du jardinier boiteux, voûté, aussi sourd que le palmier, et qui arrose une plate-bande : elle s’est bornée à réduire le crissement du gravier jusqu’au portail en fer forgé» (p. 25-26).

 

[Complément du 3 décembre 2014]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 3 décembre 2014.

 

Référence

Echenoz, Jean, 14. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2012, 123 p.

Du postcool

Selon des sources filiales (parfois) sûres, il ne serait plus cool d’être cool. Quelle qualité faut-il désormais avoir ? Qu’est-ce qui est mieux que le cool ? Le swag.

Le mot vient évidemment de l’anglais. Voir ici les définitions du Urban Dictionary, par exemple celle-ci : «Swag is a subtle thing that many strive to gain but few actually attain. It is reserved for the most swagalicious of people.»

Pour résumer : n’est pas swag qui le veut, mais qui l’est en tire gloire.

Remarque grammaticale : swag peut être tantôt susbstantif — T’as du swag —, tantôt adjectif — Il est swag.

«Je suis swag», dessin

 

[Complément du 25 août 2011]

Exemple tiré de Twitter : «Ça fait drôle d’entendre une ado de genre 12 ans dire “j’peux pas sortir avec lui, y’a pas assez de swag”.»

 

[Complément du 28 décembre 2011]

Disons-le tout net : cette entrée est la plus consultée du blogue. Pourquoi ? se demande l’Oreille tendue. Deux éléments de réponse. D’une part, la plupart des visiteurs sont redirigés ici à partir de Google.fr. D’autre part, dans les chaumières parisiennes aussi, on pratique le swag, comme l’indique ce tweet : «Je viens d’entendre à l’instant une copine de ma fille employer le terme. Donc, on a du swag aussi à Paris…» Swag n’est pas donc pas seulement québécois; il est aussi français, voire francophone.

 

[Complément du 25 avril 2012]

Pour 18 € TTC, vous pouvez acheter le tampon «#swag» de la Tamponneuse. Mais est-ce swag de l’utiliser ?

 

[Complément du 4 novembre 2012]

Le swag est (aussi) girondin.

«Swag», Saint-Émilion, novembre 2012

Photo : Maude Brisson, Saint-Émilion, novembre 2012

 

[Complément du 25 novembre 2012]

Swag est-il un acronyme de Secretly We Are Gay ? Non, dit Snopes.com, preuves à l’appui.

 

[Complément du 4 décembre 2012]

Ça y est : même Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, s’y met.

Du swag à la Bibliothèque nationale de France

[Complément du 21 décembre 2012]

On ne confondra pas le swag et le shag, cette «toison pectorale» (le Devoir, 26 mars 2004, p. B8).

 

[Complément du 21 mai 2012]

Il n’est dorénavant plus possible de laisser de commentaires sur cette entrée du blogue l’Oreille tendue. Merci à tous.