L’Oreille tendue fait colloque ces jours-ci. Elle voit donc défiler des PowerPoint.
Elle constate que les diapos, quand elles traversent l’Atlantique, deviennent des slides, au féminin, voire au masculin. C’est comme ça.
« Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler » (André Belleau).
L’Oreille tendue fait colloque ces jours-ci. Elle voit donc défiler des PowerPoint.
Elle constate que les diapos, quand elles traversent l’Atlantique, deviennent des slides, au féminin, voire au masculin. C’est comme ça.
C’est connu : les bibliothécaires gèrent des collections. C’est moins connu : dans ces collections, il y a des néologismes. Allons-y voir.
Le travail des bibliothécaires a été bouleversé par l’arrivée du numérique, puis, plus récemment, par celle des usagers nés dans l’univers numérique. En anglais, on parle de digital natives. En français, on voit, mais rarement, digiborigène (aborigène digital) ces personnes qui ont grandi «avec l’ordinateur et les écrans portables, le Web et les réseaux sociaux», dixit le Devoir du 7 février 2015. Sur Twitter, @revi_redac faisait remarquer, à la suite de la parution de cet article, que le mot numéborigène (aborigène numérique) aurait été plus juste en français.
Les bibliothécaires ne travaillent pas que pour ces natif numériques (le Devoir, bis). Ils s’adressent à toutes sortes de clientèles et doivent leur offrir de nouveaux services. Parmi ceux-ci, il y a le prêt de tablettes numériques, tablettes dont les bibliothécaires se servent eux aussi pour aider les usagers, notamment, mais pas exclusiement, pour la référence nomade. Dès lors, pourquoi ne pas parler, avec @bibliomancienne, de tablothèque et donc de tablothécaires (les tabletarians), travaillant auprès des tablonautes ? S’agissant d’applications, on parlera d’applithécaire. On imagine donc facilement qu’ils doivent désormais développer des compétences techiques, devenir, pour certains, des informathécaires biblioticiens.
Cela étant, la mission des bibliothécaires dépasse la simple gestion d’outils. Ils sont là pour lutter, entre autres maux, contre l’illectronisme, cette fracture numérique, et pour donner accès à l’information sous toutes ses formes.
Plusieurs de ces néologismes sont rarement utilisés, du moins pour l’instant. Ce n’est pas le cas de curation (et de microcuration) et de curateur, voire de curationnisme, de curatorial ou de curator (en France, en français) auxquels il faut faire une place à part, vu leur succès.
Ces mots viennent de l’anglais, où on a pu les entendre sous diverses formes : curation (et auto-curation), curator, curationism, curatorial. Dans Vicky Cristina Barcelona, le film de Woody Allen (2008), quand ses hôtes l’interrogent sur ce qu’elle compte faire dans la vie, Vicky, jouée par Rebecca Hall, répond : «Maybe teaching maybe curating.»
Son sens ? Voici la définition qu’en proposait Nathalie Collard dans la Presse du 12 mars 2012 («Le curateur est-il un créateur ?», cahier Arts, p. 8).
Il n’y a pas si longtemps, le terme «curateur» était surtout associé au monde muséal, le curateur (ou conservateur) étant celui qui choisit les œuvres qui seront présentées dans le cadre d’une exposition.
Aujourd’hui, on a étendu la définition de la «curation» — un mot très laid, il faut en convenir — à toutes sortes de contextes, dont le travail journalistique. Le curateur (traduction du terme curator ou content curator) est celui qui choisit, trie, organise, hiérarchise, met en contexte et donne un sens à des objets ou à des informations. Le curateur fouille le web à la recherche d’informations et d’images qu’il juge pertinentes et intéressantes, les organise à sa façon et les partage avec les autres internautes sur son propre site.
[…]
À la différence de l’agrégateur de contenu qui se résume en gros à un vulgaire algorithme, le curateur est un être en chair et en os, curieux et passionné, qui passe des heures à explorer le web à la recherche de perles.
Sur le site RG Mobility, le 28 juin 2013, on proposait de distinguer la curation de l’agrégation et de la syndication :
Chaque fois que vous publiez un lien de contenu vers un autre site ou sur votre réseau social ou peut parler de curation s’il s’agit d’une action «manuelle» alors que si vous collectez et partagez automatiquement ce que vous trouvez à partir de mots clés, on parlera plutôt d’agrégation (Netvibes, Google Reader…). Quant à la syndication il s’agit plus d’une technologie qui permet de rendre disponible une partie du contenu de votre site ou blog afin qu’elle soit utilisée par d’autres sites où lecteurs de flux RSS.
Tout le monde n’aime pas la chose elle-même — «La curation, nouvelle tarte à la crème du web ?», «Non à la “curation”» — ou le mot et ses dérivés. On les retrouve sur la «Lake Superior State University’s 40th Annual List of Banished Words». Certains leur préfèrent médiateur (@audreyrozowy), webinier (@francispisani), éditeur (@LucGauvreau), conservateur (ce serait volontiers le choix de l’Oreille tendue), commissaire, voire fluxeur (@fbon).
Comme d’habitude, c’est l’usage qui tranchera, en bibliothèque et au-delà.
P.-S. — Merci à @bibliomancienne, dont deux tweets — ici et là — ont inspiré cette entrée de blogue.
[Complément du 5 juin 2015]
Oups ! Comment oublier la bibliodiversité (L’éditeur indépendant de création, un acteur majeur de la bibliodiversité, 2006) ?
[Complément du 13 décembre 2015]
Les Français aiment les mots en -ing, qu’il s’agisse de mots venus de l’anglais (parking) ou de mots inventés de toutes pièces (brushing, footing, caravaning). Puisqu’il y avait la curation, il fallait s’attendre à voir apparaître le curating. Voyez cet article des Inrocks du 11 décembre pour diverses occurrences du mot. (Merci à @MatthieuDugal pour le lien.)
Référence
Colleu, Gilles, Éditeurs indépendants : de l’âge de raison vers l’offensive ? L’éditeur indépendant de création, un acteur majeur de la bibliodiversité, Paris, Alliance des éditeurs indépendants, 2006, 151 p.
«Twitter, especially, is an ideal
incubator for neologisms»
(Ian Crouch, The New Yorker).
Algorédacteur : «journaliste» assisté (Thierry Berthier).
Bluedildonique : vibrateur (dildo dans la langue de Shakespeare) couplé à une connexion Bluetooth (la Presse+).
Copinaute : «J’ai entendu “copinautes”, pour amis du web. Étrangement, j’aime bien» (@revi_redac).
Crowdcensoring : «“Chine : 2 M d’agents en charge de censurer Internet” Après le sourcing et le funding, le crowdcensoring» (@piotrr70).
Pour traduire crowdfunding, on a proposé sociofinancement. Sociocensure pour crowdcensoring ? Non.
Cyberdildonique : voir Bluedildonique.
Gallicanaute : «internaute utilisant Gallica et participant activement à la diffusion des documents de la bibliothèque numérique sur le Web (blogs, réseaux sociaux)» (Lettre de Gallica, 40, 15 mai 2013).
Métajournalisme : «Ce métajournalisme se situera à la racine du traitement algorithmique et assurera la supervision et l’orientation des systèmes de rédaction automatisés» (Thierry Berthier).
Racketiciel : logiciel que le consommateur est obligé d’acheter en achetant son ordinateur (Non aux racketiciels).
So-Lo-Mo : «À l’heure du So-lo-mo (social-local-mobile), la radio est le MÉDIA de choix selon l’animatrice» (la Presse, 13 août 2011, cahier Arts et spectacles, p. 3).
Télédildonique : voir Bluedildonique.
Textambulisme : «art de texter pendant son sommeil» (@FabienDeglise).
Torrenter : télécharger avec le protocole BitTorrent, selon le Nicolas Dickner de Six degrés de liberté (p. 321).
Webnaliste : «Le webnaliste n’existe pas encore officiellement, mais cela ne saurait tarder. Il combinera les expertises du journaliste à celles de l’analyste, mais dans un contexte numérique» (François Descarie).
Référence
Dickner, Nicolas, Six degrés de liberté, Québec, Alto, 2015, 292 p.
Les 21 et 22 avril se tiendront, à l’Université de Montréal, deux journées d’études sur le thème «Éditorialisation et nouvelles formes de publication». Elles sont organisées par Marcello Vitali-Rosati, Michaël Sinatra et l’Oreille tendue.
Pour tout savoir, on clique ici.
À certains égards, l’Oreille tendue n’est pas de son temps. (Ça ne l’inquiète pas outre mesure.)
Ainsi, quand, essentiellement pour des raisons familiales, il lui arrive de texter, elle ne laisse tomber aucun code de ses modes habituels de communication. Elle met toutes les majuscules, elle n’utilise jamais d’abréviation, elle ponctue soigneusement (et avec mesure), aucune binette n’est jamais apparue (ni n’apparaîtra) sous son clavier.
Et elle met un point final. Vous imaginez son étonnement quand elle a appris que ce simple geste, parfaitement banal pour elle, est potentiellement lourd de significations.
Des exemples de gens évoquant ce risque de faux pas ?
Ben Crair, dans The New Republic, le 25 novembre 2013, dans l’article «The Period Is Pissed. When did our plainest punctuation mark become so aggressive ?». (Merci à @jdesjardins1861.)
Des élèves ayant pour la plupart fini leur secondaire, témoignant sur Facebook.
@aurelberra, sur Twitter : «Remarque entendue : le sentiment de la ponctuation change et le point final est perçu comme froid dans les SMS, les courriels».
Jessica Bennett, dans le New York Times du 27 février dernier, dans le texte intitulé «When Your Punctuation Says It All (!)». (L’Oreille remercie @Nonym7 pour le lien, même si elle n’a pas tout bien compris.)
Un banal point final pourrait donc être déplacé dans certaines situations de communication ? Perdre sa neutralité ? Être synonyme de froideur, voire de refus de dialoguer ?
Le fossé des générations se creuse sous nos pas.
[Complément du 10 juin 2016]
Le New York Times d’hier, avec l’aide de David Crystal, remet ça : «Period. Full Stop. Point. Whatever It’s Called, It’s Going Out of Style.»
[Complément du 22 octobre 2021]
Plus tôt cette semaine, l’Oreille tendue est allée voir un match des Canadiens de Montréal — c’est du hockey — en compagnie d’un de ses fils. À l’entracte, il a fallu penser ravitaillement. D’où cet échange :
Ledit fils a été outré : «C’est quoi cette histoire de mettre un point après “Oui” ? Ça va pas la tête ?» (version édulcorée)
Pour le fossé des générations, les choses ne vont pas s’améliorer.