Pierre Foglia et le numérique

Pierre Foglia, le chroniqueur de la Presse, a annoncé ce matin qu’il était à la retraite depuis l’automne. Cela explique son absence quasi totale des pages du quotidien depuis quelques mois.

Comme beaucoup, l’Oreille tendue le lisait systématiquement depuis plusieurs lustres. Il lui est même arrivé de parler de lui en classe, pour décrire les conditions particulières de la lecture numérique. Explication.

L’Oreille est, à ses heures, historienne de la littérature, et plus particulièrement encore de la lecture. À ce titre, elle insiste toujours sur l’importance fondamentale des supports de lecture. On ne lit pas le journal comme un roman, à l’écran comme sur du papier.

Les lecteurs peuvent aujourd’hui aller chercher, dans une base de données, les chroniques de Foglia sans avoir besoin de tenir dans leurs mains le journal où elles ont paru à l’origine. Or la lecture que l’on fait de ces chroniques n’est pas exactement la même dans les deux cas.

Dans une base de données, les lecteurs pourront bien sûr découvrir l’article dans lequel le chroniqueur raconte la mort d’une jeune fille renversée par un chauffard alors qu’elle rentrait chez elle (à bicyclette ?), écouteurs aux oreilles.

S’ils se contentent de la base de données, ils ne sauront pas que cette chronique a paru, dans la version papier du journal, à côté d’un fait divers racontant la mort d’une autre jeune fille qui rentrait chez elle (à bicyclette ?), écouteurs aux oreilles. Bref, dans des circonstances identiques.

La base de données, ce sont des écrits isolés. Le journal, c’est un lieu vivant, dans lequel les chroniques sont (involontairement) en dialogue avec les articles qui les entourent, jusqu’à l’ironie noire de pareille juxtaposition.

L’Oreille pourra continuer à utiliser cet exemple, mais pas, malheureusement, à attendre les nouvelles chroniques de l’auteur.

P.-S. — On a souvent déploré le fait que Pierre Foglia n’ait pas rassemblé ses chroniques en recueil. L’aurait-il fait, qu’il les aurait sorties de leur écosystème. Cela aussi aurait déterminé leur lecture.

P.-P.-S. — L’Oreille cite de mémoire. Si elle se trompe, il n’est pas indispensable de le lui dire.

Autopromotion 163

Colloque «(Re)négocier les frontières», 27 février 2015, affiche

Le vendredi 27 février 2015, à partir de 9 h 30, se tiendra à l’Université de Montréal la journée d’étude «(Re)négocier les frontières. Dialogue entre littérature et numérique». L’Oreille tendue y causera.

Au programme…

René Audet : Comment se numérise la littérature québécoise ?

Marianne Côté-Beauregard : Mise en scène de soi et hyperspectacle dans Nous voir nous (Cinq visages pour Camille Brunelle)

Sophie Marcotte : La sociabilité numérique comme ressort de la fiction

Benoît Melançon : Communautés littéraires et numérique

Élisabeth Routhier et Jean-François Thériault : Remédiation, coopération et pratiques numériques : l’exemple d’Hongrie-Hollywood Express d’Éric Plamondon

Chloé Savoie-Bernard : Communauté, solitude et médiatisation chez Guillaume Morissette

Michaël E. Sinatra : Lire à l’ère du numérique le Nénuphar et l’araignée de Claire Legendre

Marcello Vitali-Rosati : Littérature numérique et production de l’imaginaire

Lieu :

Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ)
Université de Montréal
Pavillon Lionel-Groulx
3150, Jean-Brillant
Montréal (Québec)
Salle C-8119

 

[Complément du 28 février 2015]

Twitter a rendu compte des communications et des discussions. Voir ici.

Heureuse découverte sur Twitter

L’Insoutenable Gravité de l’être (ou ne pas être), 2015, couverture

«Tempus fugit, tabarnac.»

Twitter sert à toutes sortes de choses : ne pas regarder #TLMEP (quoi que soit TLMEP), partager ses commentaires sur le sport, découvrir des textes et des auteurs.

Parmi les découvertes de l’Oreille tendue, il y a d’abord eu les tweets de @machinaecrire, puis le petit recueil qu’il a tiré de ses tweets de 2010 à 2014, l’Insoutenable Gravité de l’être (ou ne pas être).

«Pseudonyme : Se faire un nom», peut-on y lire (p. 52). Ici, il y en a trois. Derrière @machinaecrire et son alter ego @nanopoesie se dessine Nicolas Guay, informaticien de son état. On ne s’étonnera donc pas de le voir multiplier les allusions à l’informatique dans ses textes : «“Je fais de l’informatique dans le nuage”, dit-il. Elle sourcilla et répondit : “Moi je suis travailleuse sociale. Dans la vraie vie”» (p. 73).

@machinaecrire et @nanopoesie sont particulièrement doués pour les définitions («Petit dictionnaire imaginaire», p. 49-53). Un exemple (de saison) ? «Intégrisme : Avertissement de foi intense» (p. 50). Un autre (numérique) ? «Dictature : Système d’exploitation» (p. 50). Ils aiment prouver l’absurde par l’absurde : «Plus rien ne sera comme avant mais plus ça change, plus c’est pareil» (p. 13) ou «Le franglais, c’est full overrated» (p. 98), au moins autant que débusquer le paradoxe : «l’air bête de l’employée du comptoir de courtoisie» (p. 68) ou «en mode veille, l’ordinateur dort» (p. 92).

Ils connaissent leurs classiques. La mièvrerie du Petit Prince, ce n’est (heureusement) pas pour eux (p. 31-32). En revanche, ils s’amusent de (avec) Sartre, Jarry, Hergé, Mary Shelley, Shakespeare, Gainsbourg, Homère, Rimbaud, Defoe (ou Tournier), Baudelaire.

Quelques-uns des textes rassemblés, plutôt que de seulement jouer sur les mots, jouent aussi sur les sonorités : «Elle rit créole. Il rit collant» (p. 28). Pour comprendre «Le poète paranoïaque s’imagine que les odes sont contre lui» (p. 56), il faut, de plus, connaître l’anglais (the odds are against him).

@nanopoesie — son pseudonyme le dit — fait dans la poésie condensée. Ses courts poèmes ne sont toutefois pas que des pirouettes stylistiques. On y lit aussi des propos critiques :

La poésie fait dire
Qu’elle n’aime pas les poèmes
Qui ont pour thème
La poésie (p. 85).

Bref, suivez @machinaecrire et @nanopoesie, lisez-les.

P.-S. — Et il y a le blogue.

 

Référence

Guay, Nicolas, l’Insoutenable Gravité de l’être (ou ne pas être), 2015, 100 p. Deuxième édition. Édition numérique.

Tuer deux fois Place de la toile ?

Pendant des années, France Culture a diffusé une passionnante émission de radio sur le numérique, Place de la toile. (Merci à toi l’inventeur du podcast, ô bienfaiteur de l’humanité !)

À la fin de la saison 2013-2014, l’émission a cessé d’exister. Pleurs et grincements de dents.

Puis, discrètement, une chronique Place de la toile est apparue, à l’automne 2014, dans le cadre de l’émission le Rendez-vous, encore à France Culture. Xavier de La Porte était toujours au micro — pour quatre ou cinq minutes, plutôt que pour les 50 de l’ancienne version de l’émission. Réjouissances, malgré la brièveté et les interventions sans intérêt de l’animateur du Rendez-vous.

Depuis deux semaines, toutefois, au lieu de faire entendre Xavier de La Porte, l’émission donne la parole à un certain Thomas Clerc, qui ne parle pas du tout de numérique. (Il est peut-être des gens que ses interventions intéressent.) Nouveaux pleurs et grincements de dents.

Ironiquement (?), cela se passe au moment où un séminaire de l’École des hautes études en sciences sociales (ÉHÉSS) était consacré, le 19 janvier, à «8 ans de “Place de la toile”» (voir le storify ici).

Place de la toile vient-elle de mourir de nouveau ?

 

[Complément du 24 janvier 2015]

Sur Twitter, @franceculture explique que Xavier de La Porte intervient dorénavant, toujours à l’enseigne de Place de la toile, le vendredi matin (on peut (ré)entendre sa chronique du 23 janvier à l’émission de Laurent Goumarre ici). Nouvelles réjouissances.

En revanche, les abonnés du podcast Place de la toile sur iTunes et les visiteurs du site de l’émission n’ont pas accès à cette chronique, mais à celle de Thomas Clerc. Pleurs et grincements de dents, encore.