Jouer avec Voltaire

Jeu Trivial Pursuit, version québécoise, coffret

Dans le Devoir du jour, Éric Desrosiers et Isabelle Porter racontent l’histoire du jeu de société Trivial Pursuit, sans évoquer sa double dimension voltairienne. Allons-y voir.

D’une part, le jeu, uniquement dans sa version québécoise, s’appelait à sa création Quelques arpents de pièges. (En France, c’était Remue-méninges. C’est dorénavant, partout, le titre anglais qui prime.)

L’allusion voltairienne est directe. Au début du vingt-troisième chapitre de Candide, le conte de Voltaire publié pour la première fois en 1759, «Candide et Martin vont sur les côtes d’Angleterre; ce qu’ils y voient», au moment où Candide discute avec Martin sur le pont d’un navire hollandais, on lit : «Vous connaissez l’Angleterre; y est-on aussi fou qu’en France ? — C’est une autre espèce de folie, dit Martin. Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut.» (Pour une vidéo explicative sur l’expression «arpents de neige», c’est ici. Pour un florilège, .)

D’autre part, sur le coffret de l’édition 1983 du Trivial Pursuit («Jeu maître – Édition Genus», Horn Abbot Ltée, Downsview, Ontario, Canada), il y avait cette inscription répétée deux fois : «Le superflu, chose très nécessaire, Voltaire.» On aura reconnu un vers célèbre du Mondain (1736).

Où est Voltaire ? Voltaire est partout.

P.-S.—En anglais, on renvoyait aussi au XVIIIe siècle : «“What mighty contests rise from trivial things.” Alexander Pope.»

P.-P.-S.—L’Oreille tendue a publié un petit texte sur cette double allusion en 2003 et elle le reprend partiellement dans un livre à paraître le 27 janvier 2020, Nos Lumières.

 

[Complément du 4 janvier 2020]

L’Oreille est parfois oublieuse. Ne faisant pas confiance à sa mémoire, elle conserve donc toutes sortes de choses. Ceci, par exemple, tiré de la Presse+ du 28 février 2016, dont elle avait oublié l’existence au moment de rédiger les lignes ci-dessus…

Trivial Pursuit, la Presse+, 28 février 2016

 

[Complément du 25 janvier 2023]

 

Références

Melançon, Benoît, contribution au dossier «Enquête sur la réception de Candide. Coordonnée par André Magnan», Cahiers Voltaire, 2, 2003, p. 251-252.

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Tetris romanesque

Tetris

Soit deux citations tirées d’un excellent roman québécois qui vient de paraître, les Manifestations, de Patrick Nicol (2019).

«Paul fixe le vide et dans le vide voit des formes. La fenêtre est un carré, la rangée de chaises est un losange. Paul imagine qu’un autre losange, qui descendrait du plafond, pourrait se glisser, à la verticale, dans l’espace entre les chaises et la fenêtre. Paul joue au Tetris avec le mobilier de l’hôpital» (p. 233).

«—Je trace mentalement les contours des objets, des personnes, des meubles… Puis j’imagine que des formes descendent du plafond. Des cubes, des rectangles que je dois faire glisser ou pivoter pour qu’ils s’emboîtent parfaitement dans l’espace entre les silhouettes des deux personnes devant moi, ou entre la table à café et le divan.
— Vous jouez au Tetris.
— Oui» (p. 304).

Où le roman et le jeu se rejoignent.

 

Illustration : jeu de Tetris, image déposée sur Wikimedia Commons

 

Référence

Nicol, Patrick, les Manifestations. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 135, 2019, 442 p.

L’oreille tendue… de Resident Evil 2

Resident Evil 2, jeu vidéo«Comme nous le disions, Resident Evil 2 abandonne le rendu des décors en 2D pré-calculé pour une 3D bien plus immersive. Graphiquement, le titre est très beau, fourmillant de détails et avec une habile gestion de la lumière. On se retrouvera à plusieurs reprises dans le noir, et c’est arme au poing, l’oreille tendue, qu’on avance dans les sinistres couloirs du commissariat» (source).

Suggestion de cadeau de Noël

Bingo de colloque, première carteQuoi offrir à l’universitaire qui a déjà tout ? Ce «Bingo de colloque. Pour colloques de littérature et de sciences humaines. 50 feuilles détachables. 10 cartes différentes», une création de Mathieu Arsenault et François Rioux, disponible ici.

Voici la première phrase de la présentation du jeu : «Même quand le thème était proche de leur sujet de recherche, ils finissaient inévitablement par s’ennuyer en colloque.»

L’Oreille tendue connaît trop bien ce sentiment; voyez . Dorénavant, elle aura de quoi s’occuper.

Du jeu comme mode de vie

Quiconque suit l’excellente émission Place de la toile de France Culture a déjà entendu le mot gamification dans la bouche de son animateur, Xavier de la Porte (@xporte).

Gamification ?

Fabien Deglise (@fabiendeglise), dans le Devoir, parle de ludification (la traduction est bienvenue). Il s’agit de «l’art de transformer tout et rien en jeu», de l’assassinat d’Oussama ben Laden au viol dont est accusé Dominique Strauss-Kahn, cela afin «d’appréhender le complexe d’une époque en mutation». Ce phénomène répondrait «à la dictature de la mise à jour» et au «présentisme» — «l’incapacité à appréhender autre chose que l’instant présent, sans vision du futur ni perspective historique» — des réseaux sociaux (21-22 mai 2011, p. D4). À lire.