Nouvelles (des) capitales

Mercier, capitale du vol de voitures

Il y a jadis naguère, l’Oreille tendue aimait collectionner les capitales et leurs variantes (voir ici). Depuis, elle s’est (un peu) calmée. Pas complètement.

«Montréal, capitale des effets visuels» (la Presse+, 27 janvier 2015).

«Montréal, capitale de l’investissement responsable» (le Devoir, 20-21 septembre 2014, p. G1).

«Montréal pourrait devenir la capitale mondiale du numérique» (le Devoir, 26-27 octobre 2013, p. C8).

«Montréal métropole financière» (la Presse +, 27 mai 2013).

«Montréal nouvelle Mecque des effets spéciaux» (la Presse, 23 février 2013, cahier Affaires, p. 1).

«Technologie. Montréal, métropole isolée» (la Presse, 22 février 2013, cahier Affaires, p. 1).

«Montréal sacrée “Métropole amie des aînés”» (la Presse, 20 octobre 2012, cahier publicitaire «Chez soi 55+»).

«Montréal, champion des embouteillages» (la Presse, 12 octobre 2012, cahier Affaires, p. 1).

«Montréal, métropole universitaire : la communauté montréalaise se mobilise pour soutenir ses universités» (@chambredemontreal).

«Montréal, métropole culturelle du 21e siècle ? Le verdict de mi-parcours bientôt !» (@culturemontreal).

Et ça, ce n’est que pour Montréal. Ouf.

P.-S. — Merci à @machinaecrire pour la première des deux illustrations.

 

Montréal, capitale des remorquages

Les zeugmes journalistiques du dimanche matin

Une opération «lui avait fait perdre le menton et la voix» (la Presse, 28 juin 2014, cahier Cinéma, p. 10).

«Antoine de Baecque met une veste d’historien et des notes en bas de page» (Libération, 19 mars 2014).

Ils «ont craché leur fiel sur un policier ou sur l’internet» (la Presse+, 15 janvier 2015).

«“Je suis Charlie” et sous haute surveillance» (France Inter, 11 janvier 2015).

«Le NPD perd un député… et des plumes» (le Devoir, 17 décembre 2014).

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

La chasse est ouverte

Les journalistes, les chroniqueurs, les publicitaires (etc.) aiment les lieux communs, les formules toutes faites, les mots du jour.

Certains de leurs lecteurs s’amusent à en faire des florilèges. Il y a les collectionneurs…

…d’urbains (Vivez la ville urbaine).

…d’ovnis (Des ovnis et des journalistes).

…de tsunamis (Des tsunamis et des journalistes).

…de passions (Passionnées de passion).

Vous pensez à autre chose ? L’Oreille est preneuse.

P.-S. — Merci à @revi_redac pour la découverte de Passionnées de passion.

Changez-en

Un collègue de l’Oreille tendue, Pierre Popovic, le dit depuis des années : en études littéraires, il faudrait cesser de parler inconsidérément de posture.

Deux exemples lus ces jours-ci ?

Dans le plus récent numéro de la revue Liberté (306, hiver 2015) — par ailleurs excellent —, l’une parle de «non-posture» (p. 46), l’autre de «posture temporelle singulière» (p. 55).

On crée un moratoire ?

P.-S. — Un de ces jours, l’Oreille ajoutera le mot posture ici.

 

[Complément du jour]

Dès le 21 août 2011, Pierre Assouline moquait les «experts en posturologie». (Merci à @revi_redac pour le lien.)

 

[Complément du 29 avril 2016]

La presse généraliste commence itou à se méfier du mot, guillemets à l’appui : «Est-ce qu’on peut dire ça sans que ce soit une “posture” ?» écrit Yves Boisvert dans la Presse+ du jour.

Oui, méfions-nous.

 

[Complément du 14 juillet 2016]

Annonce de colloque du jour : «Féministe et étudiant.e : une posture engagée

 

[Complément du 1er décembre 2016]

L’État français s’y met. (Merci à @cgenin.)

Message de Vigipirate (France)

[Complément du 12 décembre 2016]

Julien Clerc s’y met. Il vouvoie sa (jeune) compagne ? s’interroge Paris Match. Réponse : «C’est venu comme ça et c’est naturel désormais. Mais je comprends que cela soit difficile à croire, que l’on puisse y voir une posture.»

 

[Complément du 24 septembre 2017]

La posture serait-elle un siège ?

 

[Complément du 16 décembre 2017]

C’était couru : les romanciers s’y sont mis, par exemple David Turgeon, dans le Continent de plastique (2016). Parfois, posture et position sont en concurrence : «Il n’y avait bien qu’une poignée d’aigris pour lui reprocher sa posture… sa position peut-être un brin hégémonique» (éd. de 2017, p. 14). À d’autres moments, on attendrait l’un et on a l’autre : «Toute cette saison-là j’appréhendai d’entrer dans une librairie : je savais que le livre de mon rival y serait, et en bonne posture […]» (p. 50); «Il s’était placé en posture d’attente» (p. 168). Des heures de plaisir.

 

[Complément du 8 octobre 2018]

Extrait d’un entretien, paru en 2011, entre David Martens et Jérôme Meizoz :

«D. M. — Dans le détour par lequel tu passes avant de répondre à cette première question, tu évoques le “puissant effet agrégatif” du concept de posture “sur les recherches consacrées à la figure d’auteur”, et tu considères que cela “suscit[e] une forme d’engouement presque dérangeant”. Peux-tu nous en dire plus sur ce qui te paraît dérangeant dans cet engouement ?

J. M. — D’abord, je ne peux que me réjouir d’un engouement de pas mal de chercheurs, au Québec et en Belgique, par exemple, pour ce que permet la notion de posture d’auteur. Cela signifie pour moi que les nouvelles recherches sur l’auteur, après une éclipse au temps du structuralisme, disposent désormais de bons outils pour penser l’articulation entre un sujet biographique (une personne civile), un rôle social (un écrivain) et un énonciateur textuel. Cela est dû à la conjonction progressive de recherches d’horizons divers et donc d’un véritable effet interdisciplinaire : notamment, les travaux de Ruth Amossy sur l’ethos (2010), ceux de Dominique Maingueneau sur la scénographie (2004) et les miens sur la posture d’auteur ont permis un véritable dialogue, très fécond, entre nos points de vue de chercheurs. Ceci dit, l’engouement peut conduire à un usage tous azimuts de la notion de posture (elle-même coûteuse à distinguer d’un terme du langage courant, par exemple dans le journalisme, “la posture agressive de Sarkozy”, etc.) qui risque d’affaiblir ses usages techniques précis. Je pense aussi à la notion de “champ” chez Pierre Bourdieu, qui apparaît à la fin des années 1960. Des les années 1990, tout le monde se met à voir des “champs” partout et n’importe quel enseignant d’histoire littéraire dit aujourd’hui “le champ littéraire” là où il  aurait dit, il y a trente ans, la vie littéraire ou le milieu littéraire. Or, on ne change pas une conception de la pratique littéraire avec un seul mot. Si l’ancienne conception demeure au-dessous de termes nouveaux, c’est raté. L’effet heuristique du “champ” ou de la “posture” n’est plein que lorsque toute la conception sous-tendue par la notion est investie dans l’analyse. À cause de ces effets de mode verbale, je crains que le mot “posture” ne serve bientôt à désigner tout et n’importe quoi, c’est-à-dire, d’un point de vue épistémique, rien» (p. 203).

En effet.

 

Références

«La fabrique d’une notion. Entretien avec Jérôme Meizoz au sujet du concept de “posture”. Propos recueillis par David Martens», Interférences littéraires / Literaire Interferenties, 6, mai 2011, p. 199-212. http://www.interferenceslitteraires.be/index.php/illi/article/view/606/474

Turgeon, David, le Continent de plastique. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 16, 2017, 298 p. Édition originale : 2016.

De l’utilité des lieux communs

Hier, la Ligue nationale de hockey a acheté une pleine page de publicité dans le quotidien la Presse (p. A21) pour rendre hommage à Jean Béliveau (1931-2014). Au-dessus d’une photo du joueur portant la coupe Stanley et du logo de la LNH, on lit ceci :

Aucun livre des records ne peut mesurer, aucune image ne peut dépeindre, aucune statue ne peut exprimer la grandeur du remarquable Jean Béliveau.

Son élégance et son talent sur la patinoire lui ont valu l’admiration du monde du hockey tandis que son humilité et son humanité dans la vie de tous les jours lui ont attiré l’affection des partisans de partout.

Malgré tous les accomplissements et toutes les récompenses, il a toujours été et restera le garçon dont l’unique rêve était de jouer avec les Canadiens de Montréal. Le hockey se porte mieux aujourd’hui en raison de la réalisation de ce rêve.

Le départ de Monsieur Béliveau laisse un vide incommensurable au sein de la famille du hockey. Alors que nous pleurons sa disparition, nous chérissons son héritage : un sport à jamais élevé par son caractère, sa dignité et sa classe.

Comment appelle-t-on ce joueur «remarquable», ce membre admiré de «la famille du hockey», cet homme pour lequel tous ont de «l’affection» ? «Monsieur Béliveau.»

Quels sont les mots qui le caractérisent ? «Grandeur», «élégance», «talent», «humilité», «humanité», «héritage», «dignité», «classe».

On ajouterait à cette liste «gentilhomme», «gentleman», «prestance», «grâce», «loyauté», «fidélité» et «générosité», et on mentionnerait son «esprit d’équipe» ou sa «force tranquille» : on aurait alors le portrait que donne le Canada de Jean Béliveau depuis l’annonce de sa mort.

Ce qui frappe, en effet, dans cette série de mots, c’est leur récurrence : tout le monde dit la même chose, à peu près de la même manière.

On pourrait expliquer cela par la justesse du portrait : tout le monde dirait la même chose parce que tout le monde s’entendrait.

On pourrait invoquer un autre facteur d’explication : tout le monde dirait la même chose parce que tout le monde aurait besoin de se retrouver autour de mots partagés, ce que l’on appelle, en critique littéraire, des lieux communs, des stéréotypes, des clichés.

Alors que la littérature, depuis environ deux siècles, cultive la méfiance envers les lieux communs, quand elle ne les récuse pas, parfois avec violence, le discours sportif se nourrit d’eux. Qu’on le saisisse dans les médias, chez les amateurs ou au sein de la population en général, ce discours, rassembleur par essence, repose sur le recours constant aux mêmes mots et expressions.

C’est à la fois sa force et sa faiblesse. Sa force : il unit les membres d’une communauté (pour faire partie d’une communauté, il faut connaître son lexique). Sa faiblesse : il est constamment menacé de banalité et de répétition.

On entend l’une et l’autre, la force et la faiblesse, le resserrement d’une communauté comme le caractère rebattu de son hommage, dans le discours commémorant la vie et la carrière de Jean Béliveau.

Il n’y a lieu ni de s’en étonner ni de s’en offusquer.