Nouvelles (sportives) du passé

Des lecteurs de l’Oreille tendue, connaissant son intérêt pour la culture sportive, viennent de lui transmettre deux documents qui ne pouvaient que l’intéresser.

Il existe une poésie hockeyistique, à laquelle l’Oreille a consacré quelques articles : à propos de Maurice Richard, par Ford, Metro (sans accent) et Guy Lafleur, autour de Walt Whitman et de Jean Béliveau. Un éditeur ferronien vient de découvrir, signé Russell Young, de Grand-Mère (Québec), un poème honorant, au moment de sa mort, le gardien de but Georges Vézina, celui qui a donné son nom au trophée remis annuellement au meilleur cerbère de la Ligue nationale de hockey. (Le surnom que portait Vézina a durablement marqué les esprits : comment oublier «Le concombre de Chicoutimi» ? Ce surnom ne renvoyait pas à son teint, mais à son lieu de naissance et à son calme : He was cool as a cucumber, pour reprendre une expression commune de la langue de Gump Worsley.) Cet éloge funèbre paraît le 8 avril 1926 dans le St. Maurice Valley Chronicle (Vézina est mort le 27 mars).

Georges Vezina, Goal-guardian brave

Now lies silent in the grave.

Peace be o’er his resting soul.

He has reached life’s greatest goal.

Through life he played the game.

Till disease his health did claim

But all must go to that Promised Land.

Whether life be low or grand.

Le gardien de but («Goal-guardian») est dans sa tombe («grave»), mais il a atteint son but («life’s greatest goal») et rejoint la Terre promise («that Promised Land»).

Voilà pour la première trouvaille. La seconde concerne le lieu où se déroulent les matchs. Aujourd’hui, un joueur puni se rend au banc des punitions, également appelé cachot. Le Courrier de Saint-Hyacinthe du 21 décembre 1945 préfère parler de «frigidaire» (rubrique «Nouvelles de la région», article «Les compteurs du Saint-Hyacinthe»). On y aurait envoyé un «badman», le défenseur Marcel Larochelle, s’y rafraîchir les idées. Pourrait-il néanmoins y réchauffer le banc ? Ce serait paradoxal.

L’Oreille tendue se réjouit d’avoir des lecteurs à l’ouïe si fine et elle les remercie.

Bestiaire managérial

Une lettre ouverte sur la gestion de la maladie mentale aux États-Unis parue dans la livraison du 4 juillet du New Yorker contient une phrase sibylline : «the monkey falls onto the backs of increasingly stressed families and friends». Qu’est-ce que c’est que cette histoire de singe sur le dos («monkey […] onto the backs») ?

Il s’agit d’une allusion à un article célèbre de 1974, «Management Time : Who’s Got the Monkey ?», notamment reproduit dans la Harvard Business Review en 1999, repris en livre en 1984, et signé par William Oncken Jr. et Donald L. Wass. Pour résumer : celui qui a un problème à gérer a un singe sur les épaules; son réflexe normal est de faire sauter l’animal sur les épaules de quelqu’un d’autre, ce quelqu’un d’autre pouvant être son supérieur hiérarchique; libéré de son singe, il n’a plus de problème à gérer; son supérieur a été eu. Autrement dit, qui dit singe dit responsabilité, et responsabilité non partagée.

La langue a de ces raisons que la raison ne connaît pas.

P.-S. — La même livraison du New Yorker contient un article sur un baseballeur étonnant, Sam «Super Sam» Fuld : petit, diabétique, juif, fils d’un universitaire et d’une sénatrice, et diplômé en économie de Stanford. Aux murs du vestiaire de son équipe, les Rays de Tampa Bay, il peut lire des citations d’Alan Greenspan, de Virgile et de Camus. Ça ne s’invente pas.

 

Référence

Oncken Jr., William et Donald L. Wass, «Management Time : Who’s Got the Monkey ?», Harvard Business Review, vol. 77, no 6, novembre-décembre 1999, p. 178-186. Commentary by Stephen R. Covey. Édition originale : 1974.