Dans son livre à lui

Sébastien Raymond, Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, 2012, couverture

«On a tous notre heure de gloire
On a tous écrit une page
Du grand livre d’histoire
D’une ligue de garage»
Éric Lapointe, «Rocket (On est tous des Maurice Richard)», 1998

 

Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, qu’a publié récemment Sébastien Raymond, fait se rejoindre deux façons de concevoir le hockey de plus en plus visibles dans la société québécoise.

Depuis quelques années, on a étudié le «sport national» à partir de la théologie (Bauer et Barrot, 2009; Bauer, 2011), de l’histoire culturelle (l’Oreille tendue, 2006), de la psychologie (Grondin, 2012), des sciences humaines en général (Laurin-Lamothe et Moreau, 2011) — et de la philosophie (Baillargeon et Boissinot, 2009).

Dans le même temps, il a été beaucoup question, notamment dans la culture populaire, des ligues de garage. Le meilleur exemple de cela est la série de films, puis d’émissions de télévision, les Boys.

Qu’est-ce qu’une ligue de garage ? La définition suivante est proposée par un des ailiers droits du Patriote de la Vieille Capitale, par ailleurs fidèle lecteur de l’Oreille tendue :

une organisation dont les équipes sont formées de mécaniciens (d’où vient son nom, je suppose), de travailleurs de la construction, de couvreurs, d’électriciens, de commis bancaires, de profs de français ou de philo. Trois particularités dans ce genre d’organisation : les noms d’équipes anglais y sont légion (c’est plus sérieux… encore que Angry Beavers), les matchs ont lieu à des heures impossibles et il faut payer pour y jouer (les lock-out sont peu probables).

Il n’est dès lors pas très étonnant de voir aujourd’hui paraître un ouvrage cherchant, dans ce type de hockey, des «slapshots philosophiques». (Slap Shot n’est seulement un titre de film; c’est aussi un type de lancer, le «lancer frappé».)

En quatrième de couverture, on dit de l’ouvrage qu’il «s’intéresse à l’un des aspects les plus emblématiques de la société québécoise» et qu’il est constitué «de citations glanées dans les chambres de joueurs» et de «photographies originales». Il s’agirait de poser «un regard artistique et plein d’humour sur l’univers des ligues de garage», de montrer comment «la testostérone et la philosophie font bon ménage».

L’entreprise est cependant bien décevante. Sauf exception («Moi, je me considère en bonne forme, malgré que je sois petit pour mon âge»), les «textes» restent au ras des pâquerettes et beaucoup de photos souffrent de leur composition sur deux pages (le lecteur n’arrive pas à voir le centre de l’image). D’autres sont sous-éclairées ou floues.

Les joueurs cités ou photographiés seront peut-être contents du livre. Les autres, pas. L’analyse philosophique des ligues de garage reste à faire. (Il est vrai que ce n’était pas le but de Sébastien Raymond.)

P.-S. — Interrogation linguistique. Dans la phrase «À 5’9” et 175 livres mouillées, tu rentres pas trop fort dans le lard d’un gars qui pèse 50 livres de plus que toi et à qui tu passes en dessous des épaules…», l’accord de «mouillées» attire le regard. Des «livres mouillées» ? L’Oreille tendue aurait préféré le masculin singulier : c’est le joueur dont il est question implicitement qui est «mouillé», pas les livres qu’il pèse.

 

Références

Baillargeon, Normand et Christian Boissinot (édit.), la Vraie Dureté du mental. Hockey et philosophie, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, coll. «Quand la philosophie fait pop !», 2009, xiii/262 p. Ill. Préface de Jean Dion.

Bauer, Olivier et Jean-Marc Barreau (édit.), la Religion du Canadien de Montréal, Montréal, Fides, 2009, 182 p. Ill.

Bauer, Olivier, Une théologie du Canadien de Montréal, Montréal, Bayard Canada, coll. «Religions et société», 2011, 214 p. Ill.

Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, 214 p. Ill.

Laurin-Lamothe, Audrey et Nicolas Moreau (édit.), le Canadien de Montréal. Une légende repensée, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2011, 144 p.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Raymond, Sébastien, Bâton élevé, mises en échec verbales et slapshots philosophiques, Montréal, Les 400 coups, 2012, [n. p.]. Ill.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Glisser sur les mots

Soit ce passage d’un article paru dans la Presse du 25 février 2013 :

S’il y a consensus, c’est plutôt sur les tergiversations du gouvernement qui ne semble absolument pas savoir où il s’en va avec ses skis ou comment se débarrasser d’une patate chaude qu’il a lui-même fait chauffer (p. A14).

Avec ses skis ? Cela paraîtra étrange à qui ne connaît pas l’expression avec ses skis dans son bain.

Que signifie-t-elle ? Quand, au Québec, on demande à quelqu’un Tu t’en vas où avec tes skis dans ton bain ?, c’est que cette personne est manifestement perdue, au littéral comme au figuré. Ce n’est généralement pas bon signe.

P.-S. — Ces «tergiversations» auraient été celles du gouvernement du Québec au moment de son Sommet sur l’enseignement supérieur. C’était avant les chantiers qui en sont nés.

Spin ta langue

Au Québec (et au-delà), on a beaucoup entendu parler ces derniers jours du zèle de quelques fonctionnaires de l’Office québécois de la langue française. (On se prend parfois à penser que l’OQLF est l’Office québécois de la langue fantasmée.)

Il a d’abord été question d’un restaurateur auquel on reprochait d’avoir, pour parler de cuisine italienne, utilisé le mot «pasta». (Voilà pourquoi la levée de boucliers qui a suivi l’annonce de cet écart linguistique s’est appelée le «pastagate».) Un autre, a-t-on appris depuis, dans sa brasserie d’inspiration parisienne, avait désigné ses toilettes par «W.-C.» (pour le parisianisme «water-closets») et ses steaks par… «steaks» (au lieu de «biftecks»); cela n’a pas été apprécié. Pas plus, chez un troisième, que le fait de trouver le mot «exit» sur une décoration murale.

Le zèle des fonctionnaires concernés a été condamné par tous, y compris par l’OQLF et par la ministre responsable de la Charte de la langue française, Diane De Courcy.

En revanche, sauf erreur, on n’a pas entendu la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Marie Malavoy, rabrouer les fonctionnaires qui ont autorisé au moins une école montréalaise à participer au programme «SPIN ton stress». Elle aurait dû.

Le recours à l’anglais et au tutoiement intempestif, à l’école, est bien plus déplorable que la présence d’un mot italien sur le menu d’un restaurant italien.

Marguerite Blais, députée de la circonscription Saint-Henri-Sainte-Anne

Prémonition ?

Le Sommet sur l’enseignement supérieur du gouvernement du Québec s’est terminé tout à l’heure. Qu’aura-t-il enfanté, outre un mécontentement généralisé ? Des chantiers.

En 2004, on pouvait lire ceci dans le Dictionnaire québécois instantané, à l’article «chantier» : «Forme conviviale du sommet. Chantier sur l’éducation» (p. 38).

Plus ça change, moins c’est différent.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Le fondement du monde contemporain

On ne le dira jamais assez : la vie moderne est une affaire de boulons dont il fau(drai)t se défaire.

Des exemples ? Ils pleuvent.

Dans les piédestaux, il y a des boulons : «Pour déboulonner le piédestal de Mère Thérésa» (@RobertBlondin).

Dans les clichés, il y a des boulons : «Binyanga Wainaina déboulonne les clichés perpétrés par les étrangers qui écrivent à propos de l’Afrique» (@plusonlit).

Dans les idées reçues, il y a des boulons : «Idées reçues déboulonnées» (la Presse, 23 janvier 2013, cahier Affaires, p. 7); «Quels mythes entourent la participation cultur. des jeunes à MTL ? Une nvlle étude déboulonne les idées reçues» (@CultureMontreal).

Dans les perceptions, il y a des boulons : «déboulonner cette perception» (le Devoir, 10-11 novembre 2012, p. A12).

Dans les préjugés, il y a des boulons : «Il y a beaucoup de préjugés à déboulonner en fonction de notre image publique» (le Quotidien, 22 février 2013, p. 18).

Dans la figure du père, il y a des boulons : «Son but, qu’il ne rate surtout pas : déboulonner la figure du père» (le Devoir, 16-17 février 2013, p. F4).

Dans les thèses, il y a des boulons : «Paul McRae a créé des liens vers une vingtaine d’articles et documentaires déboulonnant la thèse du réchauffement de la planète» (le Droit, 16 février 2013, p. 6).

Dans les symboles, il y a des boulons : «plusieurs nouvelles déboulonnent les symboles de la religion catholique» (le Soleil, 16 février 2013, p. 35).

Dans les argumentaires, il y a des boulons : «stipule Pétrolia, tentant de déboulonner l’argumentaire du maire de Gaspé» (le Devoir, 6 février 2013, p. B1).

Dans la gouvernance, il y a des boulons : «une gouvernance mieux boulonnée» (le Devoir, 23-24 février 2013, p. A7).

Dans les mythes — surtout dans les mythes —, il y a des boulons : «@CultureMontreal déboulonne les mythes. Le 1er : Les jeunes ne lisent plus !» (@jouimette); «Le mythe de la prima donna déboulonné» (la Presse, 8 août 2012, cahier Affaires, p. 7).

À vos clés !

 

[Complément du 25 janvier 2023]

Il arrive à l’Oreille tendue d’oublier qu’elle a déjà écrit sur un sujet; c’est le cas ici.