Citation culinaire et sibylline du jour

Joseph Chung et Pierre Fortin sont professeurs d’économie à l’Université du Québec à Montréal. Dans le Devoir du 23 novembre, ils signent un texte d’opinion : «Intégration des immigrants. La francisation seule ne suffit pas» (p. A9).

Cela se termine ainsi : «La seule politique d’intégration qui va québéciser véritablement l’immigrant à long terme, c’est celle qui va susciter chez lui l’amour du Québec. L’argent aide, mais c’est l’amour qui est déterminant. Kimchi si tu veux, mais kimchi du Québec.»

Kimchi ? Selon Wikipédia, il s’agirait d’un plat coréen. Or il n’a été question ni de la Corée ni de sa cuisine dans le texte. Pourquoi alors ce mot ?

Si peu de jours, tant de questions.

Un centenaire inutile

Patricia Pitcher, Artistes, artisans et technocrates dans nos organisations, 1994, couverture

Soit les deux phrases suivantes.

«Jamais, pas même dans cent ans» (Artistes, artisans et technocrates dans nos organisations).

«Jamais dans cent ans !» (Sauvetage en forêt, p. 23)

Dans cent ans ? Au Québec, la durée de l’impossibilité.

 

[Complément du 1er décembre 2021]

«Cent ans» a au moins 68 ans :

— Alors, vous avez dû en voir des choses depuis ce temps ? Dans un endroit comme celui-là, vous ne devez pas vous ennuyer.
— Jamais dans cent ans. On a des bons «shows» des fois (Meurtre au Forum, 1953, p. 23).

 

Références

MacGregor, Roy, Sauvetage en forêt, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 16, 2012, 164 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2003.

Pitcher, Patricia, Artistes, artisans et technocrates dans nos organisations. Rêves, réalités et illusions du leadership, Montréal, Québec/Amérique, coll. «Presses HEC», 1994, 261 p. Ill. Traduction de Jean-Pierre Fournier. Préface de Henry Mintzberg.

Verchères, Paul [pseudonyme d’Alexandre Huot ?], Meurtre au hockey, Montréal, Éditions Police journal, coll. «Les exploits policiers du Domino Noir», 300, [1953], 32 p.

Néologisme du jour

En avril 2011, à la suggestion de son fils aîné, l’Oreille tendue mettait en ligne un texte sur le mot swag. Cela a attiré une foule d’internautes (près de 420 000 [!!!!!], en date d’hier), dont beaucoup ont commenté le contenu de l’article. Est cependant arrivé un moment où l’Oreille a décidé de clore les discussions : ça dérapait.

Dans ces discussions, il était fréquemment question de l’étymologie supposée du mot swag : Secretly We Are Gay. Cette étymologie est fausse (démonstration ici).

Elle constituerait, dit Wikipédia, un rétroacronyme : «Acronyme expliqué après coup alors que ce n’en est pas un à l’origine, ou fantaisiste pour donner un nouveau sens à un acronyme existant.» Exemples : SOS ne voudrait dire ni Save Our Souls ni Save Our Ship.

Signalant l’existence de rétroacronyme sur Twitter, l’Oreille a eu droit à d’autres suggestions : CRS = Cars Remplis de Salauds ou Compagnie de Répression Sanguinaire (@petaramesh); RATP = Rentre Avec Tes Pieds (@C_licare). Puis, le lendemain, le hasard s’en est mêlé : «PhD: Philosophiæ doctor ou Procrastinatrice hautement Douée?» se demandait @LLambertChan.

Pour le dire d’un mot : ONU (Ô Néologisme Utile !).

 

[Complément du 28 novembre 2012]

Rappel à l’ordre de la part de @PimpetteDunoyer : «vous oubliez un des 1ers rétroacronymes qu’on puisse découvrir : le “Cornichons Diplomatiques” de Haddock pour la plaque CD.» Mea maxima culpa, en quelque sorte.

Le cri de la chair au féminin (et en Norvège, peut-être)

Jo Nesbø, le Sauveur, 2012, couverture

L’Oreille tendue, c’est là son moindre défaut, aime mettre de côté tweets et citations : ça peut toujours servir.

Le 10 janvier 2011, pour prendre un exemple (pas tout à fait) au hasard, elle recopia ceci, de @SidoineB_ : «Dans les S.A.S. (Gérard de Villiers), en certaines circonstances, toutes les femmes “feulent” (années 70, le vocabulaire a peut-être changé).»

Feuler. Le Petit Robert (édition numérique de 2010) ne relève pas de sens semblable, qui se contente de «Crier (tigre)» et «Grogner (chat)», et renvoie à rauquer. (Feulement n’est pas plus connoté : «Cri du tigre (=> rauquement); bruit de gorge que fait entendre le chat en colère.»)

Les narrateurs du romancier norvégien Jo Nesbø (du moins en traduction) n’ont pas ces pudeurs.

«“Tu vas pouvoir t’en aller, feula-t-elle. Mais d’abord, tu vas me sauter. C’est compris ?”» (le Bonhomme de neige, p. 15).

«“Oh, allez !” feula-t-elle avec colère en enserrant son membre» (le Sauveur, p. 119).

Feuler, donc.

P.-S. — Sauf erreur, dans l’amour, il n’y a que la femme qui feule.

 

Références

Nesbø, Jo, le Bonhomme de neige. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 575, 2008, 583 p. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2007.

Nesbø, Jo, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2005.

A trasher ou pas ?

Son utilisation en français n’est pas nouvelle : on en trouve des exemples depuis plus de dix ans.

«Avec ses scènes de sexe explicites et ses meurtres carabinés, cette espèce de Thelma & Louise version hardcore, qui se situe entre road movie sanguinolent et film de cul trash-qui-fesse-dans-le-dash, est à déconseiller aux âmes sensibles» (la Presse, 15 septembre 2000).

«Trad, néo-trad, trash-trad et trad trad» (le Devoir, 29 décembre 2003).

«album trash extrême» (le Devoir, 20-21 novembre 2004, p. E5).

«Bougon, colon ou trash. Nous sommes tous affreux, bêtes, sales et méchants» (le Devoir, 26 mars 2004, p. B8).

Cette utilisation n’est pas propre au français du Québec. Allez sur le site du magazine français les Inrocks et tapez «trash» dans le moteur de recherche; vous aurez des heures de lecture. Téléchargez la huitième livraison du Bulletin de la coopérative d’édition publie.net et vous lirez ceci, sous la plume de François Bon : «Allez, je laisse ça tout à trash comme je l’ai reçu !»

Pourquoi alors écrire sur un mot si banal ? Simplement parce que sa popularité ne se dément pas. Cinq exemples, repérés au cours des dernières semaines :

«Trash dramaturgie» (le Devoir, 17 octobre 2012, p. B9).

«Une autofiction trash qui rentre dedans, qui secoue le lecteur» (la Presse, 20 octobre 2012, cahier Arts, p. 3).

«“Portrait intime de la chanteuse folk trash Lisa LeBlanc”, propose MusiMax» (le Devoir, 20-21 octobre 2012, p. E7).

«Yeah! J’ai reçu mon catalogue de Noël 2012 du Rossy !!! #NoelTrash http://t.co/PaHUi5tt» (@mcgilles).

«Un couple de jeunes (20 ans environ) gothiques-trash s’approche de moi […]» (la Presse, 16 novembre 2012, cahier Arts, p. 5).

Le trash ne se démode pas. À cet égard, il est comme son antonyme, le vintage.