Mission impossible

«Précision», la Presse+, 29 janvier 2016

On le sait : au quotidien montréalais la Presse, on préfère préciser plutôt que rectifier. En revanche, au Devoir, on n’hésite pas à publier des «Rectificatifs».

Mais il y a plus fort. Il arrive que l’on demande à ses lecteurs de lire ce qui n’a pas été écrit. Exemple, tiré de la Presse+ du jour : «Il aurait fallu lire que le marché de la mode masculine devrait atteindre 40 milliards de dollars en 2019, et non 40 millions comme il était indiqué.»

«Il aurait fallu lire» ? Mais comment lire autre chose que ce qui est écrit ? S’il est «indiqué» qu’il s’agit d’une somme de «40 millions», par quel tour de magie les lecteurs pourraient-ils lire «40 milliards» ?

L’Oreille tendue aurait besoin de précisions là-dessus.

 

[Complément du 2 février 2016]

L’Oreille y perd ses petits. Le Devoir du jour publie, non pas un «Rectificatif», mais une «Précision» :

Il aurait fallu lire «…l’un affichant une sensibilité à l’inflation basse, l’autre une sensibilité élevée». Et non «…l’un étant sensible à une inflation basse, l’autre à une inflation élevée» (p. A10).

«Précision», «Il aurait fallu lire» : c’est le monde à l’envers.

Des nouvelles du plongeon arctique

Un huard, le dollar canadien

Le 11 mars 2010, puis le 27 juillet 2011, l’Oreille tendue disait un mot du huard, le dollar canadien.

Celui-ci piquant du nez ces jours-ci, regardons comment il se porte.

Son plumage ?

«Vivre avec un huard déplumé» (la Presse+, 8 janvier 2016).

«Le huard perd encore des plumes» (la Presse+, 9 décembre 2015).

«Le huard risque de perdre encore quelques plumes, selon des économistes» (le Devoir, 17 juillet 2015, p. A7).

Son vol ?

«Voyager là où le huard vole haut» (la Presse, 25 avril 2015, cahier Affaires, p. 1).

«Le huard doit voler de ses propres ailes» (le Devoir, 17 septembre 2014, p. B3).

«Vents contraires pour le huard» (la Presse+, 15 septembre 2014).

«La chute du huard en quatre questions» (la Presse, 9 janvier 2014, cahier Affaires, p. 5).

«Le huard poursuit sa descente» (la Presse, 23 février 2013, cahier Affaires, p. 4).

«Le huard reprend son envol» (la Presse, 22 août 2012, p. A1).

«Le huard monte encore…» (la Presse, 27 janvier 2012, p. A1).

«Les cambistes conservent leur calme devant l’envolée du huard» (la Presse, 27 juillet 2011, cahier Affaires, p. 1).

Sa personnalité ?

«Pourquoi le huard devrait-il mieux aimer 2016 ?» (la Presse+, 2 janvier 2016)

«Ne laissez pas le huard gâcher vos vacances» (la Presse, 1er février 2014, cahier Affaires, p. 6).

«Une année moche attend le huard» (la Presse+, 29 décembre 2013).

«Le huard se fait malmener» (le Devoir, 4 décembre 2013, p. B1).

Levez les yeux au ciel.

P.-S. — L’éditeur favori de l’Oreille tendue déteste cette utilisation du mot huard. Ce billet est pour lui.

P.-P.-S. — Il y a le plumage du huard et il y a celui des autres : «Le huard fait perdre des plumes aux transporteurs aériens» (le Devoir, 29 janvier 2014, p. B4).

Autopromotion 218

Sélection du Reader's Digest, 1971

 

Quand elle était petite, l’Oreille tendue lisait Sélection du Reader’s Digest. Elle se souvient notamment de sa chronique médicale, dont un certain «Georges» était le héros : «Je suis la vessie de Georges»; «Je suis le poumon de Georges»; «Je suis la glande surrénale de Georges»; etc.

Devenue grande, elle donne, dans le numéro de janvier 2016 de cette revue, une entrevue à Sophie Mangado, «Le déclin du français ? Un mythe !» (p. 12-14), au sujet de son plus récent livre, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue).

Question du jour : est-elle la langue de Georges ou son oreille ?

 

Référence

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

L’insuffisance du moderne

Certains ont l’œil; ce n’est pas le cas de l’Oreille tendue. Cela étant, celle-ci ne désespère pas, un jour, peut-être, de comprendre quelque chose à la peinture. Elle va donc à l’occasion au musée, histoire de ne pas rester complètement sourde picturalement.

Hier, elle était au Musée des beaux-arts de Montréal pour l’exposition la Couleur du jazz. Une modernité des années 1920. Montréal, le Groupe de Beaver Hall. Elle y a (re)vu les scènes urbaines d’Adrien Hébert, un autoportrait de Lilias Torrance Newton (1931), un étonnant nu de Prudence Heward, Jeune femme sous un arbre (1931).

Lui est aussi revenue une des grandes vérités adverbiales : moderne, c’est plouc; résolument moderne, c’est mieux.

Exemples (il y en avait peut-être d’autres).

Exposition la Couleur du jazz. Une modernité des années 1920. Montréal, le Groupe de Beaver HallExposition la Couleur du jazz. Une modernité des années 1920. Montréal, le Groupe de Beaver HallExposition la Couleur du jazz. Une modernité des années 1920. Montréal, le Groupe de Beaver Hall

Un adverbe vous manquerait et tout serait dépeuplé.

P.-S. — Ce n’est pas la première fois que l’Oreille est résolument attirée par cet adverbe. Voir ici.

 

[Complément du 27 janvier 2016]

Le sport aussi peut être «résolument moderne», dixit la Presse+ du jour.

Résolument moderne, dit la Presse+ du 27 janvier 2016

 

[Complément du 4 mars 2018]

Une cuisine ? Une cuisine, dixit la Presse+ d’hier.

Une cuisine «résolument moderne», la Presse+, 3 mars 2018

 

[Complément du 1er septembre 2019]

Musée du jour : Pointe-à-Callières et son exposition «À table ! Le repas français se raconte». Surprise ! On était déjà «résolument moderne» au XVIIIe siècle !

Exposition «À table !», Montréal, 2019

 

[Complément du 22 juin 2020]

Le mal n’est pas tout récent si on se fie à un polar de 1968, Chauffé à blanc : «Le blanc et le bordeaux dominaient dans la pièce au mobilier résolument moderne» (p. 58).

 

[Complément du 18 septembre 2022]

Plus fort que le «résolument moderne» ? La Presse+ d’hier proposait «résolument très moderne».

«résolument très moderne», la Presse+, 17 septembre 2022

 

Référence

Coe, Tucker, Chauffé à blanc, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1176, 1968, 250 p. Traduction de M. Elfvik.

Un avion en papier

Roger Angell, portrait, 2015

Roger Angell est né en 1920. Il a publié son premier texte dans The New Yorker en 1944. Il y collabore toujours, à 95 ans, notamment au blogue du magazine. Pourquoi le blogue ? Il s’en explique à David Remnick dans la septième livraison de la baladodiffusion The New Yorker Radio Hour (à partir de la 31e minute).

It’s sort of like making a paper airplane. […] I used to love to make paper airplanes. I made great paper airplanes. You throw it out the window, and it takes, it goes a little ways, or it turns and curves beautifully, and it goes out of sight, and it’s forgotten forever. And that’s like a blog.

Certains disent que toute publication est une bouteille à la mer, pas Angell, qui préfère le vol imprévisible de l’avion en papier et sa disparition (son oubli).

P.-S. — On s’en souviendra : Angell est aussi l’inventeur d’un célèbre palindrome sportif.