Chronique musicale

Quand l’Oreille tendue était petite, cela s’appelait de la musique folklorique. Il était aussi question de folk (ce n’était pas seulement de la musique folklorique, mais c’était aussi cela).

Puis elle a appris que c’était devenu de la musique traditionnelle, du (de la ?) trad, celle-ci prenant plusieurs formes : «Trad, néo-trad, trash-trad et trad trad» (le Devoir, 29 décembre 2003).

Elle en découvre aujourd’hui une nouvelle : «Maître des instruments scandinaves, le musicien J.-F. Bélanger lance ces jours-ci Les vents orfèvres, un superbe disque de trad de chambre» (@louiscornellier).

 

[Complément du 9 octobre 2014]

Merci à @revi_redac d’élargir la culture musicale de l’Oreille en lui faisant découvrir l’électrotrad.

Affiche d’un spectacle d’électrotrad

 

Causons musique, comme

Claude Dionne, Sainte Flanelle, gagnez pour nous !, 2012, couverture

Il y a jadis naguère, une collègue, et néanmoins amie, de l’Oreille tendue s’interrogeait sur la popularité du bémol.

Je suis allée dans l’Oreille, pour voir si elle ne s’était pas tendue vers quelques bémols. (Le «bémol» tout seul a quelque chose de loufoque, m’enfin).
Je n’en ai pas trouvé.

Corrigeons la situation, car il est vrai que le mot est populaire. Exemples entre mille :

«Bémol sur les manques des universités» (la Presse, 26 mars 2014, p. A8).

«La victoire, mais un bémol» (la Presse, 24 décembre 2013, p. A1).

«Baseball avec bémol» (la Presse+, 14 décembre 2013).

«Toutefois, elle prit soin de mettre un bémol au portrait accompli que je traçais de cette femme inconnue» (Sainte Flanelle, gagnez pour nous !, p. 131).

On ne s’étonnera pas (trop) de le trouver sous la plume de critiques musicaux.

«Ma recension à bémol léger du Maurane Live» (@_scorm).

«Dans une interview parue le jour même de la création attendue, Lefèvre avait loué la nouvelle œuvre en des termes dithyrambiques que le compositeur lui-même avait réduits d’un bémol» (la Presse, 16 juillet 2012, cahier Arts, p. 4).

À quoi sert-il ? À mettre de la distance. Qui formule un bémol pense nuance, restriction, différence, doute, voire désaccord.

Ce sens n’est pas recensé dans le Petit Robert (édition numérique de 2014), qui connaît les deux suivants : «Signe d’altération […] qui abaisse d’un demi-ton chromatique la note de musique devant laquelle, sur la ligne ou sur l’interligne de laquelle il est placé»; «Mettre un bémol : parler moins fort; radoucir son ton, ses manières; être moins arrogant, moins exigeant.»

Comment qualifier le bémol ?

Il y a le «grand bémol» (blogue Littéraires après tout, 7 septembre 2014).

Il y a son antonyme : «Mince bémol sur une riche inventivité» (le Devoir, 7-8 juin 2014, p. B2).

Il y a plus petit encore : «Nadine comprend sans le moindre microbémol le geste de l’actrice» (la Presse, 15 mai 2013, p. A6).

Quand on hésite, on peut dire «certain bémol» (Assieds-toi et écris ta thèse !, p. 75) ou «à quelques bémols près» (le Devoir, 2-3 novembre 2013, p. G3).

Quand on n’hésite pas, on peut les multiplier : «Immigration. Le paradoxe québécois. Derrière une apparente ouverture, beaucoup de bémols» (le Devoir, 6 décembre 2011, p. A1).

P.-S. — À l’émission le Masque et la plume (France Inter) du 21 septembre 2014, dans la bouche de Jérôme Garcin, ceci : «léger mébol».

P.-P.-S. — On sait que le mot peut s’accorder en nombre. En genre, c’est plus rare, Passion bémole étant peut-être la seule exception connue.

 

[Complément du 13 novembre 2014]

L’Oreille s’interroge. Si bémol signifie bel et bien nuance, restriction, différence, doute, désaccord, peut-on vraiment parler de «sérieux bémols» (la Presse+, 13 novembre 2014) ? N’est-on pas à la limite de l’oxymore ?

 

[Complément du 20 juillet 2024]

Vous avez une hésitation ? Surveillez le bémol.

«Premier week-end de la construction : un bémol à surveiller», application de MétéoMédia, juillet 2024

 

Références

Belleville, Geneviève, Assieds-toi et écris ta thèse ! Trucs pratiques et motivationnels pour la rédaction scientifique, Québec, Presses de l’Université Laval, 2014, 125 p. Ill.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

66 secondes de Count Basie

Count Basie, Straight Ahead, Dot, 1968

L’Oreille tendue ne connaît pas grand-chose à la musique. Bien évidemment, cela ne l’empêche pas d’en parler à l’occasion, soit dans des textes portant sur la chanson, soit dans une série — qu’il faudrait bien poursuivre un jour — sur Ella Fitzgerald.

Parmi les (rares) pièces auxquelles l’Oreille revient sans cesse, il y a le début d’une pièce instrumentale de Count Basie et de son orchestre, «It’s Oh, So Nice».

Cette pièce, l’Oreille l’a découverte il y a très longtemps, du temps où elle servait d’indicatif à l’émission Jazzland, de Don Warner, à la radio anglaise de Radio-Canada. (L’émission a été retirée des ondes en… 1997.)

L’Oreille se souvenait de l’interprète de la pièce, mais pas de son titre. Pendant des années, elle l’a cherché, d’abord en achetant des disques de Basie. Puis, un jour — merci aux échantillons que permet d’écouter Apple sur la plateforme iTunes —, elle a retrouvé ce qu’elle voulait réentendre.

Sur l’album Straight Ahead (étiquette Dot, 1968), la pièce, composée et arrangée par Sammy Nestico, dure 4 minutes 13 secondes. Pour l’Oreille, il n’y a que les 66 premières secondes qui comptent; le reste la laisse de glace (la subtilité s’est envolée).

C’est Count Basie, au piano, qu’on entend le moins : une fois passée l’ouverture, il place quelques notes de-ci, de-là, et c’est tout. Un début lent, un dialogue des cuivres (saxophone, trompette, trombone [?]) où une section cède sa place à l’autre, une basse rythmique (batterie et basse) qui donne sa cohérence à l’ensemble, de lentes montées sans cesse reprises (et qui, malheureusement, culminent à la 66e seconde) : une merveille (retrouvée).

Et l’Oreille ne sait pas la dire.

L’Oreille sort du placard (à musique)

Vous voulez attendrir l’Oreille ? Qu’elle ait le mo(t)ton ? C’est facile.

Vous lui passez la scène de «La Marseillaise» dans Casablanca, le film de 1942 de Michael Curtiz.

Vous lui faites entendre «It’s Only a Paper Moon» dans l’interprétation d’Ella Fitzgerald (1945).

Vous mettez dans ses balados celle du 23 novembre 2013 de l’émission de radio The Vinyl Cafe, «Christmas Medleys». (Si si : c’est vrai aussi avec de la musique de Noël.)

Vous lui demandez d’assister à un concert du chœur de son fils aîné.

Cela marchera à tous les coups : pour elle, il n’est rien de tel, musicalement, que l’harmonie des voix. Elle ne saurait expliquer pourquoi.

 

[Complément du 21 octobre 2017]

L’Oreille a assisté tout à l’heure à une des dernières représentations de la production montréalaise de Demain matin, tout le monde m’attend, la comédie musicale de François Dompierre (musique) et Michel Tremblay (texte), dans une mise en scène de René Richard Cyr. Rien à faire : dans un des premiers numéros collectifs, elle a été émue, sans que le sujet abordé ait été particulièrement dramatique. Ça doit être physiologique.

 

[Complément du 11 mars 2018]

Une autre occurrence ? Devant l’installation vidéo multiécran I’m Your Man (A Portrait of Leonard Cohen) de l’Allemande Candice Breitz (2017), qu’on peut voir au Musée d’art contemporain de Montréal dans le cadre de l’exposition consacrée à Cohen. Dix-huit hommes, de toutes conditions, chantent, a cappella, du Cohen (I’m Your Man, 1988). On marche devant leur image. C’est magnifique.

 

[Complément du 12 mars 2024]

Hier soir, à la finale de la sixième édition du concours d’éloquence Délie ta langue, rebelote en découvrant Édelène Fitzgerald et son scat (entre autres belles choses).