En direct de la cour d’école 003

«l’inconnu avait des sourcils épais
formant une véritable barre
au-dessus de ses yeux»
Georges Simenon,
le Voleur de Maigret
, 1967

Le Petit Robert (édition numérique de 2007) de l’Oreille tendue ne le connaît pas, mais ses enfants et Wikipedia, si : le monosourcil, cette «paire de sourcils ayant entre eux une pilosité suffisamment forte pour donner l’illusion d’un seul long sourcil sous le front. Beaucoup de personnes, ne trouvant pas cela esthétique, se font épiler ou s’épilent eux-mêmes. Mais par contre si les sourcils sont très fournis, il n’est pas recommandé de se raser car cela se voit.»

On arrête difficilement le progrès : le lexical, le numérique — et le pilaire.

 

[Complément du 21 décembre 2012]

On voit aussi «unisourcil» (Sauce brune, p. 10).

 

[Complément du 26 décembre 2012]

Voici encore la chose, sans le mot : McCormack «n’était pas dans son assiette, piétinait plus lourdement que d’habitude, et ses sourcils broussailleux qui se rejoignaient formaient comme une dépression grise à la naissance de son nez» (l’Homme chauve-souris, p. 273).

 

[Complément du 7 septembre 2016]

Chez le Flaubert du «Dictionnaires des idées reçues», le monosourcil (permanent ? occasionnel ?) est un révélateur de l’intimité : «Jalousie. — Toujours suivie de effrénée. Passion terrible. Les sourcils qui se rejoignent, preuve de jalousie» (éd. de 1966, p. 363).

 

[Complément du 29 avril 2020]

Exemple littéraire anglo-saxon : «His eyebrows shot together made a dam between his forehead and his face» (Sexing the Cherrry, p. 50).

 

Références

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Flaubert, Gustave, «Dictionnaire des idées reçues», dans Bouvard et Pécuchet, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 103, 1966), 378 p., p. 333-378. Chronologie et préface par Jacques Suffel. Édition originale : 1881 (posthume).

Nesbø, Jo, l’Homme chauve-souris. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 366, 2012, 473 p. Traduction d’Élisabeth Tangen et Alex Fouillet. Édition originale : 1997.

Simenon, Georges, le Voleur de Maigret, Paris, Presses de la cité, coll. «Maigret», 44, 1967, 182 p.

Winterson, Jeanette, Sexing the Cherry, New York, Vintage International, Vintage Books, coll. «Literature/Fiction», 1991, 167 p. Ill. Édition originale : 1989.

Au tournant du siècle dernier

Sylvie Brunet, les Mots de la fin du siècle, 1996, couverture

Quels étaient les mots, les usages et les images populaires à la fin du XXe siècle ? Sylvie Brunet en avait dressé la cartographie dans les Mots de la fin du siècle (1996).

L’ouvrage n’a perdu ni son intérêt ni son actualité. Certains des «modismes» (expressions à la mode) repérés alors ont toujours cours : grave, j’te dis pas, délocaliser, quelque part. Les propos sur le tutoiement (p. 193-197), et notamment celui de Patrick Bruel (on est en 1996…), font mouche, aujourd’hui comme hier. L’économie des mots de liaison sévissait déjà (p. 156-159). L’emprise des médias n’a pas changé : «Notre koinè à nous, c’est le médiatique» (p. 248). Les exemples sont nombreux et bien choisis.

À la lecture, un constat s’impose : l’état de discours que décrit Sylvie Brunet est encore, pour une bonne part, celui dans lequel nous vivons, en France comme au Québec.

Une citation, pour terminer ce bref éloge : «La mayonnaise qui prend évoque un phénomène d’adhésion collective, spontanée et aléatoire, et revient à “réussir dans une entreprise” tandis que le soufflé qui retombe signifie “échouer dans quelque chose”. Étrange langue que celle des images où le soufflé peut incarner l’antithèse de la mayonnaise !» (p. 88)

 

Référence

Brunet, Sylvie, les Mots de la fin du siècle, Paris, Belin, coll. «Le français retrouvé», 29, 1996, 254 p.

Nook, blook, vook

Avant même que Barnes & Noble ne lance son livre électronique, le nook, les Anglo-Saxons avaient un nouveau mot pour désigner un livre tiré d’un blogue : blook (blog + book). Et un autre, pour les fichiers mêlant de la vidéo et du texte : vook (video + book).

Blivre et vivre ?

 

[Complément du 11 janvier 2010]

David Pogue du New York Times interroge ses lecteurs sur les noms des liseuses électroniques à venir ici.

 

[Complément du 16 novembre 2012]

Vous tombez sur un faux blogue ? C’est un flog (la Presse, 14 novembre 2012, cahier Affaires, p. 2).

Ludolinguistique

Vocabulax, logo

Vocabulax est un site consacré à la langue, dans une perspective ludique : Étymotest, Cure termale, Définition in vitro, Jargonite, quiz divers (prononciation, grammaire, orthographe, argot, etc.).

On peut consulter le site ou en suivre les activités sur Twitter.

Extension du monarcoplatal

Carte du Québec adjacent, Dictionnaire québécois instantané, 2004

La Presse de ce samedi s’interroge : «Le prochain “Plateau”. Hochelaga-Maisonneuve ou le Sud-Ouest ?» (cahier Mon toit, p. 2)

La question n’est pas nouvelle : «Saint-Henri, nouveau plateau ?» (la Presse, 6 janvier 2004, cahier Arts et spectacles, p. 3); «Un Plateau à Longueuil ?» (la Presse, 3 octobre 2005, p. A15)

Plateau ? En fait, Plateau Mont-Royal : quartier de Montréal en demande, car jugé branché, jeune, pluri-tout. Constitue le centre de l’univers connu, et au-delà. A même droit à son mot — substantif et adjectif —, créé par Pierre Popovic : monarcoplatal.

On se l’arrache, intra et extra muros.

 

Références

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. La «Carte du Québec adjacent» reproduite ci-dessus se trouve p. 13.

Popovic, Pierre, Liberté, 280 (50, 2), avril 2008, dossier «Dictionnaire culturel & politique du Québec», p. 21-24. https://id.erudit.org/iderudit/34680ac