Il y a bien deux semaines que l’Oreille tendue n’avait pas redit sa détestation de l’emploi absolu du verbe quitter. Ça lui manquait.
L’école d’un de ses fils lui en offre l’occasion.
Merci.
« Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler » (André Belleau).
Il y a bien deux semaines que l’Oreille tendue n’avait pas redit sa détestation de l’emploi absolu du verbe quitter. Ça lui manquait.
L’école d’un de ses fils lui en offre l’occasion.
Merci.
Depuis quelques semaines, des usagers de la Bibliothèque des lettres et sciences humaines de l’Université de Montréal discutent de linguistique. Cela semble irriter quelqu’un :
Voilà une façon bien abrupte de mettre fin au débat.
Comme tant d’autres guerres, celle de quitter est peut-être en train de dégénérer. Voici où en était l’affichette du septième étage de la Bibliothèque des lettres et sciences humaines de l’Université de Montréal ce lundi :
Jusqu’à maintenant, le débat était essentiellement linguistique : peut-on, ou bien point, employer le verbe quitter sans complément d’objet ? Avec ce «sucer aussi», le ton devient licencieux.
Par ailleurs, sur le plan de la langue, ça se discute, ce «aussi», comme ne manque pas de le faire remarquer le Petit Robert. Sucer est transitif, y lit-on, mais il existe aussi un autre emploi : «Absolt, Fam. Consommer du combustible. Voiture qui suce beaucoup.»
Il semble à l’Oreille tendue que l’on pourrait mieux circonscrire l’usage à partir d’exemples différents — cités de mémoire —, de la bande dessinée Chick Bill («Toute la ville suçait en cœur») à la poésie belge («Je ne décore plus je suce»).
Mais cela nous entraînerait trop loin du front.
Recette : dans des décors transcontinentaux — de Shanghaï aux pyramides, en passant par Paris et New York —, chorégraphier maints combats de kung-fu entre robots extraterrestres appelés Decepticons (les méchants) et Autobots (les bons); saupoudrer de souvenirs de westerns et de films de guerre; évoquer, explicitement et implicitement, les attentats du 11 septembre 2001; déshabiller — mais pas trop — quelques jeunes personnes, dont les costumes seront inspirés de publicités de bière; mettre le volume sonore au maximum. Résultat ? Le film Transformers 2. La revanche de Michael Bay.
La version française fait se tendre l’oreille.
L’accent des acteurs qui doublent les voix est neutre, ni spécialement français, ni particulièrement québécois.
Le lexique, en revanche, n’hésite pas à avoir recours à quelques québécismes. Sam, le héros, a une «blonde», Mikaela. Celle-ci doit protéger son «chum» des avances d’Alice, qui invite Sam à «avoir du fun» avec elle. La même Mikaela se prend d’affection pour un Decepticon canin, car elle le trouve «cute». Sauf erreur, le mot «poutine» est même prononcé une fois.
Surtout, pendant une visite au Smithsonian National Air and Space Museum de Washington, un agent de sécurité exige d’un visiteur qu’il sorte du Musée. Que lui dit-il ? «Je vous demanderais de quitter.»
L’Oreille tendue se réjouissait, il y a peu, de compter quelques alliés dans sa lutte, perdue d’avance, contre l’emploi intransitif du verbe quitter. Si Hollywood s’en mêle, le combat devient par trop inégal.
Le 18 juin, l’Oreille tendue notait qu’à l’Université de Montréal elle n’était pas la seule à regretter l’emploi intransitif du verbe quitter. Un usager de la Bibliothèque des lettres et sciences humaines — ce n’est pas l’Oreille, elle le jure — avait écrit «faute !» sur une affichette qui comportait les mots «quitter pour l’été».
L’Oreille repasse hier devant la même affichette. Celle-ci porte les traces d’un dialogue :
À côté de «faute !», quelqu’un a ajouté «Non !», puis quelqu’un d’autre a mis son grain de sel, mais avec pédagogie : «Oui. Quitter est un verbe transitif (demande COD)».
La guerre fait rage. Pour d’autres informations du front, ne quittez pas.