Avec pas d’tête

Ad. J. Charon, Poules qui pondent, 1927, couverture

Déclaration récente du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet : «Il y a quelqu’un qui a fabriqué avec [Donald Trump] ce message-là dans le but de nous envoyer encore une fois courir dans toutes les directions, comme des poules décapitées» (le Devoir, 17 décembre 2024).

Les Québécois auront reconnu dans ces «poules décapitées» les poules pas de tête de leur langue populaire.

Ces poules pas de tête auraient pour caractéristique de courir sans véritable direction. Ce faisant, leurs actions seraient inutiles et représenteraient une perte de temps et d’énergie.

À votre service.

P.-S.—Nous avons jadis croisé — n’est-ce pas ? — le crosseur de poule(s) morte (s). On peut supposer que quelques-unes de ces poules mortes n’avaient pas de tête(s).

P.-P.-S.—Mike the Headless Chicken aurait survécu 18 mois sans tête. C’est Wikipédia qui le dit.

P.-P.-P.-S.—Pourquoi «Avec pas d’» ? Parce que.

Aimer le français ? Mais pourquoi ?

Conjugaison du verbe aimer au présent et à l’imparfait de l’indicatif

Le gouvernement du Québec et la Fondation pour la langue française publient une publicité dans le quotidien le Devoir : «Partagez votre amour du français auprès d’un nouvel arrivant allophone» (16-17 novembre 2024). Le même quotidien intitule un éditorial «Pour l’amour du français» (6-7 janvier 2024). Le 23 juin 2022, fête nationale oblige, le Journal de Montréal rassemble «24 déclarations d’amour à la langue française». Un lecteur de la Presse+, le 10 décembre 2020, annonce que le temps «est venu de passer à une nouvelle étape dans nos politiques linguistiques en donnant à chacun une chance égale de maîtriser et d’aimer la langue française». Un an plus tôt, dans le magazine l’Actualité, un économiste écrivait : «nous devons aimer notre langue et en être fiers» et il ajoutait : «Pour que nous l’aimions, elle doit être belle.» En 2016, dans son recueil le Point sur la langue, Louis Cornellier disait aimer la langue française, son «esprit», voire son «génie».

La chose irait donc de soi : au Québec, au XXIe siècle, le français est une langue qu’il faudrait aimer. Mais pourquoi ?

On ne demande pas aux États-Uniens d’aimer l’anglais, pas plus qu’on n’exige des Philippins qu’ils aiment le tagalog. Cette liberté ne semble pas s’appliquer aux Québécois francophones. La principale raison de cette injonction est simple : le français serait en «déclin» au Québec — partout, sur tous les plans — et il faudrait le «défendre». L’«amour du français» répondrait à ce «péril» supposé.

Or, sur le plan collectif, la langue n’est pas une affaire d’amour, ni de beauté, ni de clarté, ni de pureté. Chacun est libre, sur le plan individuel, d’affirmer qu’il aime sa langue, qu’il la trouve belle, claire ou pure. Il y a même des personnes qui se vantent d’aimer le français «pour ses beautés et ses complexités» (le Devoir, 28 novembre 2020), comme si le degré de difficulté d’une langue était le signe de sa valeur. On ne convaincra toutefois personne d’adopter une langue pour de pareilles raisons. Une langue ne s’impose, dans l’espace public, que si elle est nécessaire à la vie commune.

Au lieu de «Partagez votre amour du français auprès d’un nouvel arrivant allophone», on pourrait imaginer des slogans d’une nature différente.

Partagez le français avec un nouvel arrivant allophone éviterait de mettre en lumière l’amour et insisterait sur le partage.

Parlez français avec les nouveaux arrivants aurait le double mérite de la précision et de la brièveté.

On pourrait encore pousser l’expérience plus loin et imaginer d’autres messages collectifs.

Défendez le français ferait plaisir aux assiégés de toutes espèces qui occupent les tribunes médiatiques québécoises. Ils n’ont pas besoin de cela pour se crinquer.

Vivez en français, mieux : vivez le français, rappellerait qu’une langue n’existe que si on la parle.

Choisissez le français serait peut-être la meilleure injonction. Sur le marché des langues, dans la sphère publique, des choix s’offrent. Choisir le français, c’est rappeler son caractère indispensable. Ne pas choisir le français, c’est laisser sous-tendre qu’une autre langue — l’anglais, mais pas nécessairement l’anglais — ferait aussi bien l’affaire. Au Québec, en 2024, ce n’est pas le cas.

Les langues, quelles qu’elles soient, sont des outils formidables, le français comme les autres, ni plus ni moins. Parlons-le. Tout simplement. L’amour n’a rien à voir là-dedans.

P.-S.—Le tagalog ? Histoire, une fois de plus, de rendre hommage à André Belleau : «Nous parlerions le bachi-bouzouk, le tagalog, le rhéto-roman ou une langue que nous serions les seuls à connaître, que nous devrions avoir en tant que peuple les mêmes droits, la même politique linguistique, la même Loi 101, sans avoir à nous excuser ou à nous justifier» (éd. de 1986, p. 118).

 

Référence

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Néologismes négatifs du jour

«Solidarité féministe contre le violarcat», graffiti, 2016

Tout va mal ? Les néologues sont d’accord avec vous, en anglais comme en français.

Le gouvernement états-unien est dominé par des potes oligarques ? Parlez de broligarchy.

La pollution s’associe au pouvoir ? Dénoncez les pollutocrates.

Le harcèlement des femmes noires fait rage ? Méfiez-vous du misogynoir.

Le déni climatique épouse la misogynie ? Fuyez la pétromasculinité.

La violence sexuelle rejoint le patriarcat ? Vous devez vous en prendre au violarcat et à la manosphère, voire à la raposphere.

Les frontières entre le travail et la vie personnelle s’effacent ? Prémunissez-vous contre le blurring.

Un richard explique à un pauvre comment sortir de la pauvreté ? Ne le laissez pas richespliquer.

Le travail que vous pratiquez vous déplaît ? Peut-être souffrez-vous de ressentéisme.

Certaines personnalités politiques mésusent des réseaux sociaux ? Désabonnez-vous des trolliticiens.

À votre service.

Autopromotion 794

André Belleau, Surprendre les voix, éd. de 2016, couverture

L’Oreille tendue a fait son devoir (de littérature). Ça s’intitule «Quel français pour le Québec de 2024 ?» et ça paraît dans le quotidien le Devoir aujourd’hui. Il s’agit de relire (une fois de plus) André Belleau.

«Une fois de plus» ? En effet, ce n’est pas la première fois que l’Oreille réfléchit aux questions de langue chez cet essayiste.

 

Références

Melançon, Benoît, «Le statut de la langue populaire dans l’œuvre d’André Belleau ou La reine et la guidoune», Études françaises, 27, 1, printemps 1991, p. 121-132. https://doi.org/1866/28657

Melançon, Benoît, «Quel français pour le Québec de 2024 ?», le Devoir, 16-17 novembre 2024, p. B11. https://www.ledevoir.com/societe/le-devoir-de/823813/quel-francais-quebec-2024

Melançon, Benoît, «Sur un adage d’André Belleau», Études françaises, 56, 2, 2020, p. 83-96. https://doi.org/1866/28559

Du bon usage des coins

Soit la phrase suivante, dans un entretien donné par René Homier-Roy :

«Quand je me suis mis à faire des entrevues, j’avais tendance à tourner les coins ronds dans l’écoute, à faire mine d’écouter sans vraiment y mettre l’intensité nécessaire» (p. 33).

Au Québec, qui va trop vite en affaires est réputé couper / tourner les coins ronds. Exemples ici et .

Conséquence ?

«En France, M. Legault est suivi par l’immigration à cause de ses déclarations faites avant son départ. Les journalistes lui demandent de clarifier ses idées. Un certain brouillard demeure. Ses solutions se démarquent encore par la rondeur de leurs coins» (la Presse+, 4 octobre 2024).

Joli.

P.-S.—Couper / tourner les coins ronds, ce n’est pas bien. Travailler fort dans les coins, c’est le contraire. Oui, c’est de la langue de puck.

 

Références

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso.

«Les principes qui guident René Homier-Roy. Propos recueillis par Catherine Genest», Nouveau projet, 26, printemps-été 2024, p. 32-33.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture