Capitanat et langue à Montréal

Portrait de Nick Suzuki durant sa première entrevue en français

Depuis 1975, cinq francophones ont été capitaines des Canadiens de Montréal — c’est du hockey : Yvan Cournoyer, Serge Savard, Guy Carbonneau, Pierre Turgeon, Vincent Damphousse. Un anglophone pouvait s’exprimer en français : Bob Gainey. Au cours de ces cinquante ans, dans plus de la moitié des saisons, le représentant officiel du Tricolore ne parlait pas la langue de la majorité de ses fans. C’est le cas depuis plus de 25 ans. (Les autres joueurs ? N’en parlons pas.)

Pour les entraîneurs, la situation est un peu différente. Il est attendu d’eux qu’ils parlent français. L’embauche d’un unilingue anglophone en 2011, Randey Cunneyworth, avait d’ailleurs causé un scandale politicosportif.

La question refait surface dans l’actualité ces jours-ci. Nick Suzuki, qui entreprend sa septième saison à Montréal et sa quatrième comme capitaine de l’équipe, vient d’accorder une très brève entrevue en français, sa toute première.

Qu’en penser ? Plus tôt aujourd’hui, l’Oreille tendue est allée discuter de la question au micro d’Annie Desrochers, dans le cadre de l’émission le 15-18 de la radio de Radio-Canada. Ça s’écoute ici.

La prochaine étape ? Que plusieurs joueurs des Canadiens de Montréal maîtrisent la langue de puck.

P.-S.—On ne peut évidemment pas aborder ce sujet sensible sans avoir une pensée pour mademoiselle Miron.

P.-P.-S.—Dans le CH et son peuple (2024), Brendan Kelly aborde à plusieurs reprises le statut changeant du français au cours de l’histoire de l’équipe montréalaise. Le livre se termine d’ailleurs sur un appel aux joueurs à apprendre la langue majoritaire de leur ville (p. 211-212).

 

Références

Kelly, Brendan, le CH et son peuple. Une province, une équipe, une histoire commune, Montréal, Éditions de l’Homme, 2024, 211 p. Ill. Préface de Claude Legault.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture

Lecture normande

Giuliano da Empoli, l’Heure des prédateurs, 2025, couverture

Il y a du pour.

Dans l’Heure des prédateurs (2025), Giuliano da Empoli est très habile à mettre en lumière les comportements politiques contemporains. «Il y a des phases dans l’histoire où les techniques défensives progressent plus vite que les techniques offensives» (p. 46), écrit-il; aujourd’hui les techniques offensives dominent. Il faut toujours agir, de préférence de façon irréfléchie, si on veut rester en position de domination (p. 62-63) : «le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants» (p. 75). Les tenants de la gauche (les «avocats») sont de plus en plus dépassés par les événements : «Une ère de violence sans limites s’ouvre en face de nous et […] les défenseurs de la liberté paraissent singulièrement mal préparés à la tâche qui les attend» (p. 49). Cela est particulièrement vrai du développement, non régulé par les États, de l’intelligence artificielle. Le classement des situations politiques qui va, en descendant, de The West Wing à House of Cards puis à The Thick of It ou Veep amuse (p. 23). Des rappels sont utiles : «il n’y a pratiquement aucune relation entre la puissance intellectuelle et l’intelligence politique» (p. 77).

Il y a du contre.

Le livre serait écrit «du point de vue d’un scribe aztèque et à sa manière, par images, plutôt que par concepts, dans le but de saisir le souffle d’un monde, au moment où il sombre dans l’abîme, et l’emprise glacée d’un autre, qui prend sa place» (p. 13); ce «scribe aztèque» est une affèterie, dont l’auteur aurait pu faire l’économie sans aucun mal. Montrer sa culture, c’est bien; l’étendre, un brin moins. Faut-il vraiment, dans un livre aussi bref, histoire de contrer la «vague illibérale» (p. 86), convoquer à la barre Sándor Márai, Curzio Malaparte, Prosper Mérimée, Dany Laferrière, Stendhal, Jean Renoir, Gustave Flaubert, Woody Allen, Ortega y Gasset, Thomas Hobbes, Léon Tolstoï, Federico Fellini, Johann Wolfgang von Goethe, Alezandre Kojève, Vasari, Léonard de Vinci, François Guichardin, Roger Nimier, Plutarque, Suétone, William Shakespeare, Dante, Fénelon, Daniel Halévy, Jean Guéhenno, Thomas Mann, Joseph de Maistre, Jean-Paul Sartre, William Gibson, Søren Kierkegaard, Italo Calvino et Franz Kafka (l’Oreille tendue s’excuse par avance auprès de ceux qu’elle aurait oubliés) ? Machiavel est indispensable à la démonstration — nous vivons entourés de personnes inspirées par César Borgia, les «borgiens» —, mais les autres, c’est moins sûr. L’énumération ci-dessus ne comporte pas les noms des politiques innombrables avec qui fraie l’essayiste, de capitale en capitale : il fréquente du beau monde et il accumule les air miles; on a compris.

Il y a du triste : le mot «digitale» mis pour «numérique» (p. 74), l’absence de majuscule à «Mémoires» (p. 81). Chez Gallimard…

 

Référence

Da Empoli, Giuliano, l’Heure des prédateurs, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2025, 151 p.

Quiz du jour

«Échenillons notre langue», publicité linguistique, Québec, avant 1951

Soit la phrase suivante : «Notre rival — l’Anglais —, jadis et aujourd’hui encore, trop souvent, est le même.»

Quand cette phrase a-t-elle été écrite ?

En 1725 ?

En 1825 ?

En 1925 ?

En 2025 ?

Réponse dans le Devoir.

 

Illustration : J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951, 143 p., p. 86. Deuxième édition.

L’oreille tendue de… Mark Fortier

Mark Fortier, Devenir fasciste. Ma thérapie de conversion, 2025, couverture

«Et ça fonctionne. Lisez vos journaux, tendez l’oreille, regardez les médias sociaux, partout sur le globe la démagogie sonne l’hallali. La chasse est ouverte. Les réactionnaires le clament sur tous les tons, sur toutes les tribunes, tous les jours, à toute heure. Ils sentent l’odeur du sang. Ils vont la prendre, leur Bastille. Il n’y a plus que des ennemis et des intérêts communs. Et l’exécution de leurs adversaires est imminente» (p. 22).

Mark Fortier, Devenir fasciste. Ma thérapie de conversion, Montréal, Lux éditeur, coll. «Lettres libres», 2025, 137 p.